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Canivet, le Bourreau des crânes, et les Compagnons de la lune

Le vendredi 10 mars 2023, par Christophe Canivet

Il y a quelques années, je lisais un roman historique, Les Loups de mer boulonnais de Lucien DE LA HODDE, publié sous forme de feuilleton dans la Réforme, en 1845-1846. L’auteur était d’ailleurs un des principaux rédacteurs de ce journal républicain, tout comme du Charivari... Or, deux ans plus tard, quand la France passa de la Monarchie de Juillet à la Seconde République, on s’aperçut que DELAHODDE était en fait un espion de Monsieur le Préfet. Autant dire qu’il n’était plus en odeur de sainteté dans les milieux républicains et qu’il revint bien vite trouver refuge dans son Boulonnais natal. Mais c’est une autre histoire, qui n’enlève rien à l’intérêt de son roman... En 1886, son petit frère publiera à nouveau ce morceau de bravoure sous le titre Les aventures des corsaires boulonnais, dans son propre journal, L’Express du Nord et du Pas-de-Calais. Changement radical de lectorat oblige, le texte initial sera légèrement retouché pour le rendre plus policé... et du coup un peu moins pittoresque et peut-être un rien moins crédible.

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Source Gallica.

Les Loups de mer boulonnais sont censés retracer trois causeries qui auraient eu lieu dans une taverne du port de Boulogne, au début des années 1840. De vieux loups de mer, au crépuscule de leur vie, y racontent leurs souvenirs de jeunesse.

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Annonce publiée dans l’Express du 23 mars 1886.

Le récit se divise en trois parties :

  • une première causerie a pour objet principal plusieurs combats menés sous le commandement du Baron Bucaille, alias Jacques-Oudart FOURMENTIN (l’auteur le confondant peut-être d’ailleurs parfois avec son frère Denis), personnages bien réels.
  • la deuxième raconte le rôle pris par un corsaire boulonnais lors de la seconde expédition d’Irlande ; l’expédition a bien existé, mais un navire boulonnais y a-t-il participé ?
  • la troisième nous décrit la vie des prisonniers boulonnais sur les pontons anglais

Si on retrouve plusieurs éléments indéniablement historiques dans la première partie, nul doute que la suite est plus romancée.

Un porteur de mon propre nom illustre cette difficulté à se départager entre réalité et fiction.

Dans le feuilleton, le dénommé CANIVET est un tambour-maître [1] des armées napoléoniennes. Il est présenté comme le chef de la compagnie de la Lune, un ensemble hétéroclite de soldats du Camp de Boulogne, qui étaient tout autant réputés pour leur vaillance au combat que pour leurs brigandages dans la ville et ses alentours...

Or CANIVET et/ou les Compagnons de la Lune apparaissent également dans des ouvrages qui sont censés être des mémoires, retraçant des faits historiques.

Un vétéran du Camp de Boulogne, le capitaine COIGNET, évoquera la Compagnie de la Lune, sensiblement dans les mêmes termes [2].

VIDOCQ, le bagnard évadé devenu plus tard chef de la sûreté urbaine de Paris, cite, quant à lui un CANIVET, auto-proclamé « le bourreau des crânes » [3]

Sans jamais utiliser le terme de « Compagnie de la Lune », il décrit ledit CANIVET comme étant à la tête de tous les « mauvais garnements » de la ville, au temps du Camp de Boulogne, de tous ces individus qu’il devait éviter quand il est arrivé dans la région, non pas par vertu, mais par crainte que, parmi eux, se trouve un de ses anciens compagnons de bagne, susceptible de le reconnaître... Pour les éviter, VIDOCQ s’embarqua tout d’abord sur un corsaire boulonnais, la Revanche, jusqu’au jour où « d’après un ordre du général en chef, tous les individus qui, dans chaque corps, étaient signalés comme mauvais sujets devaient être immédiatement arrêtés et embarqués à bord des bâtiments armés en course » [4]. Cette périphrase semble bien à la fois définir la Compagnie de la Lune et correspondre à l’embarquement du CANIVET du roman. Débarrassé de « Canivet et ses affidés », VIDOCQ n’avait plus qu’à suivre le chemin inverse et à s’engager dans l’artillerie, sous une fausse identité.

Henri MALO nous dira aussi que certains anciens compagnons de la Lune ont été embarqués sur les navires corsaires [5].

Mais il reste encore à prouver formellement que, comme l’indiquent Les Aventures des corsaires boulonnais, la bande du CANIVET cité par VIDOCQ était précisément la compagnie de la Lune, que ledit CANIVET s’enrôla ensuite sur un corsaire parti faire l’expédition d’Irlande, et qu’il termina cette campagne par un séjour prolongé sur les pontons anglais... Je reste donc avide de tout renseignement complémentaire sur CANIVET et la Compagnie de la Lune qui me permettrait de déterminer son état-civil puisque visiblement c’est un personnage qui a bien existé.


[1Tambour du grade de caporal qui dirige les tambours du régiment.

[3Mémoires de Vidocq, chef de la police de sureté jusqu’en 1827 p. 135.

En note de bas de page, l’annotateur des Mémoires de VIDOCQ nous explique ainsi l’expression, au sens qu’elle avait au temps du camp de Boulogne : « Ce nom était donné, dans les régiments aux spadassins qui, à une époque où le duel était une des plaies des armées, comptaient autant de victimes qu’ils avaient eu de rencontres. » Le CANIVET de VIDOCQ s’enorgueillissait peut-être d’être invaincu en duel mais, objectivement, jusque là, il avait gagné tous ses combats.

Puis, probablement suite à plusieurs vaudevilles éponymes qui reprirent le thème, les dictionnaires du XIXe siècle n’ont plus retenu que le côté matamore, fanfaron... sans que, objectivement, le « bourreau des crânes » ne soit forcément le plus fin bretteur.

Pour faire une analogie avec les westerns, le « bourreau des crânes » au sens de VIDOCQ, c’est le tireur le plus rapide de l’Ouest ; le « bourreau des crânes » au sens des dictionnaires postérieurs, c’est celui qui prétend être le tireur le plus rapide de l’Ouest et qui, le cas échéant multiplie les duels jusqu’au jour où il trouve plus rapide que lui.

Quant au crâne, c’est bien sûr crâne au sens de « celui qui a du cran » (ou de l’imprudence, en l’occurrence) et non au sens de la « boîte crânienne ».

Pour se resituer dans le contexte, voir la nouvelle Un duel au Camp de Boulogne de J. BRUNET publié dans L’Express du Nord et du Pas-de-Calais du 22 mars 1886.

[4op. cit. p. 149-150.

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3 Messages

  • interessant à creuser mais ont ils laissés des héritiers !!!!?

    Répondre à ce message

  • Bonjour,
    Toujours passionnant avec VIDOCQ en toile de fond.
    Pas beaucoup de renseignement, CANIVET, sans prénom, seuls indices :

    • il est militaire,
    • le nom est originaire du Nord Pas-de-Calais,
    • le Camp de Boulogne en gros entre 1803 et 1815.
    • Le seul CANIVET déserteur sur "Mémoire des Hommes" ne donne pas grand-chose. Né le 11 mai 1781 à Famars 59 et déserté le 1er décembre 1806, est-ce lui ??? Pas de registres en ligne sur les AD 59.
    • S’il a embarqué sur un Navire ce sera sous un autre Nom.
    • S’il a été fait prisonnier par les Anglais il faut chercher dans les Archives Anglaises.
    • Si un historien a écrit sur ces compagnons, il va falloir trouver cet écrit.
      Bonne chance.
      Claude

    Répondre à ce message

    • Canivet, le Bourreau des crânes, et les Compagnons de la lune 10 mars 2023 18:19, par Christophe CANIVET

      Croyez bien que j’ai déjà exploré ces pistes et bien d’autres.

      Le nom CANIVET n’est pas originaire du Nord-Pas-de-Calais, même si c’est cette "région" qui en compte le plus grand nombre en France (sans oublier les Belges). Voir sur le site de la GRANDE FAMILLE CANIVET. Mes ancêtres, par exemple, sont normands. Si on prend l’évolution du nom en CHENIVET-QUENIVET-CANIVET, on retrouve ce patronyme à Caen depuis le XIe ou le XIIe s. Et vu que le camp de Boulogne rassemblait les soldats venus de toute la France, toutes les hypothèses sont possibles.

      A priori, il ne faut pas chercher les Compagnons de la Lune parmi les déserteurs. Bien, au contraire, ils étaient activement soldats et abusaient de cette « couverture ». Puisque leur embarquement était dorénavant la contrepartie de leur immunité et/ou la manière d’exécuter leur peine, ils n’avaient aucun intérêt à changer d’identité en embarquant.

      Le patronyme CANIVET est trop courant alors que j’ai trop peu d’éléments pour chercher directement cet individu. En revanche, si j’arrive à avoir plus de renseignements sur les Compagnons de la Lune, je finirais par en avoir sur leur chef. Mais, mis à part les deux ou trois sources que j’ai citées, personne ne parle de ces "compagnons de la Lune" qui semblent pourtant être si redoutables et nombreux.

      Tout mon but est de trouver des sources véritablement historiques qui citeraient, soient nommément les compagnons de la Lune, soit les différentes "bandes" qui animaient le camp de Boulogne. L’idéal serait une étude sur la délinquance gravitant autour du camp de Boulogne. A priori, ils relevaient plus de la justice militaire (donc à chercher du côté de Vincennes ?) que de la justice civile. Mais pour qu’il y ait une archive, il faudrait tout d’abord qu’il y ait eu un jugement et pas un simple arrangement verbal évitant tout procès...

      Enfin, avant de chercher CANIVET dans des sources anglaises, donc payantes, il faudrait pouvoir s’assurer que cette partie du roman est bien historique. Et là c’est plus que fumeux. Je n’ai même pas réussi à retrouver le navire-ponton, sans parler que les débarquements français en Irlande sont, de mémoire, antérieurs à la création du camp de Boulogne.

      C’est pourquoi, en l’état de mes connaissances, je me contente de considérer comme à peu près certain qu’un dénommé CANIVET était chef de bande dans le cadre du camp de Boulogne et qu’à un moment donné, on a imposé à ces compagnons de la Lune (qui pourrait n’être qu’une expression et pas le nom qu’ils se donnaient eux-mêmes) de s’embarquer sur les corsaires pour mettre fin à cette bande. Au-delà de ça c’est un beau roman, c’est une belle histoire...

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