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Bien aimée Marie-Anne

Une histoire d’amour en Cornouaille au XIXe siècle

Le vendredi 3 décembre 2021, par Pierrick Chuto

Aujourd’hui, Louis-René Thomas et Marie-Anne Cosmao, son épouse, sont bien oubliés, et leur arrière-petit-fils, s’aidant de neuf lettres d’amour datant de 1863 et de nombreux documents consultés aux archives, retrace la vie de ce couple attachant.

Introduction

Lors de travaux effectués à Bénodet dans la maison familiale, un trésor, bien caché au fond d’un tiroir poussiéreux, attendait patiemment celui ou celle qui allait le découvrir : neuf lettres écrites en 1863 par Louis-René Thomas, mon arrière-grand-père, à Marie-Anne Cosmao, sa future épouse.
Sur des feuilles ornées de motifs floraux peints à la main et presque à chaque fois différents, mon ancêtre, d’une belle écriture et dans un style très académique, correspond avec l’élue de son cœur qu’il nomme tout d’abord Mademoiselle avant de l’appeler Bien aimée Marie-Anne.
Ces lettres fourmillent de détails, souvent savoureux, sur la manière de vivre, de penser et d’aimer en Cornouaille, au milieu du XIXe siècle. Pris par l’écriture d’autres récits, j’ai longtemps différé l’étude de ces missives intimes, mais aujourd’hui, il est temps de vous les dévoiler. J’ose espérer ne pas provoquer au ciel la fureur de ceux sans qui je ne serais pas là !

Auparavant, laissez-moi vous présenter ces deux aïeux :
Louis-René Thomas, vingt-quatre ans, est le fils de Louis-René et de Marie-Jeanne-Joachine Bernard, propriétaires cultivateurs à Penhars (Finistère). En 1835, la famille Thomas est arrivée à Penhars, après avoir été contrainte de quitter les deux fermes exploitées depuis des générations à Plonéis pour le compte de M. de Carné, le châtelain qui voulait reprendre ses biens . Alors que le grand-père, Louis-Marie, s’est installé avec son fils Guillaume et sa bru à Kervalguen (Penhars), Louis-René père a vécu chez sa femme à Kerbernard (Pluguffan), avant d’acheter, en 1839, la métairie de Kerviel (Penhars), lors d’une audience publique de la criée du tribunal de Quimper, à la suite de la faillite de négociants quimpérois.

Louis-René fils parle le français. Comme les enfants de paysans aisés, il l’a appris à l’école des Likès (Quimper), établissement primaire spécial où, outre les matières générales, l’élève reçoit des notions élémentaires d’agriculture et d’économie domestique. À l’âge de vingt ans, Louis-René a échappé au service militaire de cinq ans, après avoir tiré le numéro 207, alors que les conscrits du canton étaient enrôlés jusqu’au numéro 164. Quand commence cette histoire, il travaille avec ses parents à Kerviel et cherche la compagne qui l’aidera à tenir la ferme.

Marie-Anne Cosmao, vingt ans, est la fille d’Hervé et de Marie-Anne Le Quellec, décédée alors que la petite n’a que deux ans. Élevée par sa grand-mère paternelle au village de Quillien (Plogonnec), elle passe de nombreuses années en pension chez les sœurs du Sacré-Cœur à Quimper, où elle apprend l’art d’être une parfaite épouse et maîtresse de maison.
Le décor est planté, les protagonistes sont en place, il est temps d’ouvrir le rideau sur la chambrette qu’occupe Louis-René, à l’étage de la maison principale de Kerviel.

Il va nous raconter leur histoire.

Début de la 1re partie

Lundi 9 mars 1863. 10 heures de la nuit

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Le début de la lettre

Enfin seul ! Mes parents, dormant au rez-de-chaussée, ne risquent pas de me déranger et je vais pouvoir écrire à Marie-Anne. Après avoir discuté longuement avec elle samedi dernier, je sais que c’est cette femme qui va partager ma vie, n’en déplaise à ceux qui s’obstinent à vouloir me marier avec une fille bien dotée et dont la propriété des parents serait, si possible, voisine de Kerviel. Notre ferme fait déjà plus de trente-six hectares, mais ce n’est jamais assez pour mon père qui, pourtant, préfère les longues stations au cabaret, plutôt que le travail de la terre. Ma mère est une femme indolente qui, au prix d’efforts lui paraissant surhumains, ne s’occupe que de la basse-cour et me laisse gérer l’exploitation avec cinq ou six domestiques. Le baz-valan [1]. est venu à de nombreuses reprises nous entretenir de telle ou telle jeune fille de Penhars qui serait, selon lui, un excellent parti pour moi. Chaque fois, je l’ai éconduit au désespoir de mes parents.

À les entendre, j’allais rester célibataire et, sans femme à mes côtés, la ferme allait péricliter. Fils ingrat, je ne me souciais pas de leurs vieux jours. Combien de fois ont-ils cité en exemple ma sœur Marie-Jeanne qui, en 1849, a accepté d’épouser Jean-Corentin Danion, un homme bien plus âgé qu’elle, mais riche propriétaire et surtout maire de Kerfeunteun ? De quoi satisfaire l’amour-propre paternel !

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Mariée de Kerfeunteun
François Hypolite Lalaisse. La galerie armoricaine.

J’étais prêt à leur céder, lorsque, le 29 mars de l’année passée, j’ai vu, ou plutôt aperçu Marie-Anne Cosmao. Perdue au milieu de la foule qui assistait aux obsèques de Marie-Renée Hamon, fauchée par l’Ankou [2] alors qu’elle n’avait que dix-huit ans, Marie-Anne pleurait son amie de pension. Par la suite, nous nous sommes revus à l’occasion de deux mariages et j’ai eu l’impression que je ne lui étais pas indifférent. Après bien des hésitations, je me suis décidé au début du mois de février à lui adresser un mot de billet par l’intermédiaire d’un ami commun qui ne tarissait pas d’éloges sur cette jeune fille avenante et sérieuse, ayant de surcroît un physique agréable. Certes, la ferme paternelle était moins grande que la nôtre, mais quelle importance ! Dans mon message, j’ai osé lui déclarer mes tendres sentiments à son égard et lui proposer un rendez-vous à l’issue d’un marché quimpérois, un samedi de mars. Sa réponse a tardé et je commençais à perdre espoir et à regretter mon audace, lorsqu’elle m’a fait savoir qu’elle venait seulement de prendre connaissance de mon billet, et que, désireuse elle aussi de mieux me connaître, elle acceptait une rencontre le samedi 7 mars dans un café de la rue du Chapeau-Rouge. Depuis, j’étais au septième ciel !

Il a bien fallu en redescendre et, ce samedi, levé dès cinq heures, j’ai revêtu un beau chupen (une veste) sur un jiletenn (un gilet) brodé et, en compagnie de deux domestiques, nous nous sommes rendus au marché de Quimper. Mes parents étant encore couchés, je n’ai pas eu à leur mentir à propos de ma tenue peu habituelle pour aller vendre deux génisses. Rendu sur la place du marché aux bestiaux, j’ai bien vu les regards narquois des autres paysans devant leur collègue endimanché, mais qu’importe, j’étais si heureux et impatient. Sous un ciel encombré, j’ai dû m’abriter plusieurs fois dans un des débits voisins, où j’ai conclu la vente des deux bêtes. La tête ailleurs, j’ai même accepté, après quelques palabres, d’en baisser le prix. Connaissant mon âpreté en affaires, mes valets n’en sont pas encore revenus. Vers trois heures, le mauvais temps a vidé la place et rempli les verres dans les cafés. Comme il était hors de question que je boive de trop, j’ai quitté mes domestiques, prétextant un rendez-vous chez un homme de loi.

Arrivé rue du Chapeau-Rouge, je suis entré au numéro 26 où Vincent Douaré exerce la profession de cordonnier. À l’étage, Catherine Jaffron, son épouse, tient un café. Originaire de Penhars, elle m’a bien accueilli, mis à la porte quelques soiffards, assis depuis de nombreuses heures à refaire le monde, et ainsi trouvé une table libre qu’elle a nonchalamment nettoyée avec son tablier. Après quelques minutes, Marie-Anne est arrivée et, le vacarme cessant, tous les regards se sont tournés vers cette jeune et jolie femme. Malgré une tenue toute simple, elle resplendissait et j’en ai été fort troublé. Après avoir échangé quelques banalités, parlé de notre scolarité et de nos parents, nous avons convenu de nous écrire souvent, à défaut de nous rencontrer aussi fréquemment que nous l’aurions désiré. Notre amour naissant devant rester caché, mes lettres lui parviendraient chez une amie au bourg de Plogonnec et les siennes devraient indiquer sur l’enveloppe Louis-René Thomas fils, précaution prise pour que mon père ne les ouvre pas. Si notre secret était dévoilé, ce ne serait pas un malheur mais une contrariété. Bien trop rapidement à mon goût, Marie-Anne a quitté le débit de boissons, devant retrouver sa servante et rentrer à Plogonnec.

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Rue du Chapeau-Rouge

Deux jours après cette rencontre, j’en suis encore ému et, devant ma feuille blanche, je ne sais trop quoi lui écrire. Tout d’abord, je la félicite pour sa conversation agréable et sa sincérité. Comment puis-je lui prouver que je suis sans arrière-pensée et que je tâcherai d’être aussi franc que possible ? J’écris : Dans une affaire d’une si haute importance, la réflexion peut suggérer bien des pensées, surtout lorsqu’on ne se connaît pas plus que vous me connaissiez avant ceci, mais votre candeur et votre bonne foi y ont bientôt mis un terme. Cette phrase est un peu longue et j’aimerais employer des mots plus simples, mais c’est la première fois que j’écris une lettre d’amour. Pour conclure, je lui demande de fixer le lieu, le jour et l’heure de notre prochain entretien en espérant qu’il ne sera pas à un long terme. Je signe : Je suis avec le plus profond respect votre prétendant.

La ferme de Quillien étant assez éloignée du bourg de Plogonnec, Marie-Anne ne pourra aller chercher ma lettre avant la messe de dimanche, et il va me falloir sans doute attendre huit à dix jours sa réponse.

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"Je suis avec le plus profond respect votre prétendant"

Dans ce neuvième livre, j’évoque huit autres lettres tout aussi superbes, puis je raconte la vie du couple. Ils ont tout pour réussir, mais, à Penhars comme ailleurs, la vie ne s’écoule pas toujours comme on le souhaite !

Ce livre est uniquement vendu sur mon site par CB ou par courrier
http://www.chuto.fr/


[1L’entremetteur (souvent un tailleur ou un mendiant) qui négocie les unions matrimoniales porte à la main une baguette (baz) de genêt (valan), quand il va faire des visites

[2L’Ankou, suivant la légende, est le serviteur de la Mort ; sa rencontre, annoncée aux proches par des intersignes, est fatale.

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12 Messages

  • Bien aimée Marie-Anne 3 décembre 2021 08:04, par Marlie TOUSSAINT

    Bonjour Pierrick,

    Quel régal ! ce petit livre tout de fleurs paré. J’ai lu, d’une seule traite, ce beau récit qui nous dévoile les moeurs de cette époque. On y ressent bien le poids des convenances, celui de la religion et du qu’en-dira-t-on auxquels on devait se conformer sous peine d’être crtitiqué voire exclu de la communauté. Et puis, je l’aime bien votre arrière-grand-père, Républicain courageux au grand coeur. qui, de sa belle écriture, déclare sa flamme à Marie-Anne, femme exceptionnelle, reine des comices.
    Bravo à vous ! Cordialement. Marlie

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    • Bien aimée Marie-Anne 3 décembre 2021 08:31, par pierrick chuto

      Merci Marlie pour ce beau commentaire qui me touche. il est vrai que j’ai reçu beaucoup de messages enthousiastes de la part de tous ceux qui ont déjà lu ce petit livre que j’ai écrit avec ferveur et amour.
      Imprimé en Finistère en tirage limité,j’ai choisi de ne pas le vendre en librairie mais seulement sur mon site.

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  • Bien aimée Marie-Anne 3 décembre 2021 09:38, par MeaCulpaNonEst

    Bonjour,

    Émouvants personnages qui,dans une société conformiste et fermée, savent louvoyer pour protéger ce qu’il y a de plus beau, un amour inconditionnel,s’appuyant sur ce qu’est (et ne devrait être) qu’un sentiment, le plus humain qui soit.
    Quel décalage avec notre époque ! Me revient ces paroles d’une chanson du grand Jacques (Brel) : "Ils confondent l’amour avec la gymnastique."
    Merci pour ce réconfortant rappel.

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  • Bien aimée Marie-Anne 3 décembre 2021 21:13, par Orson

    Bonsoir,

    "je suis avec le plus profond respect votre prétendant", phrase pesée, réfléchie et finalement écrite par votre aïeul de 24 ans et parfaitement interprétée par sa destinataire de seulement vingt ans, ça nous situe l’écart avec l’actuel "je te kiffe", éventuellement agrémenté de fautes d’orthographe...!

    Nos devanciers n’étaient plus plus bêtes que nos contemporains (contrairement à une idée reçue), ils adaptaient seulement leur intelligence aux réalités de leur temps, avec des ressources intellectuelles équivalentes.

    Bravo pour ce beau récit qui les honore.
    Cordialement.

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  • Bien aimée Marie-Anne 4 décembre 2021 10:08, par Colette Boulard

    Bonjour Pierrick,

    j’ai bien apprécié votre livre, qui peut devenir un plaisant cadeau de Noël. Quelle agréable sensation, en découvrant cet ouvrage, en le prenant dans les mains, d’en voir la charmante couverture : je retrouvais presque les cartes de souhaits à motifs de fleurs, parfumées à la rose ou à la violette, qui m’enchantaient dans mon enfance ! Cette impression continue en feuilletant les pages, du fait de la présentation des textes, leur légèreté, si je puis dire sans créer de confusion involontaire : Ils sont aérés, très digestes (c’est parfait pour la fin de l’année) très bien illustrés comme on le voit dans le texte que vous offrez ci-dessus. Ces illustrations, notamment les extraits de lettres, rattachent votre récit à la réalité, au très concret privé, familial, de l’histoire contée. Les autres illustrations le relient généralement à un contexte social un peu plus large. Je n’oublie pas les photos de Louis René et Marie Anne : Elle qui semble douce mais au regard vif, presque malicieux. Lui, sérieux, sûr de lui, mais si jeune encore !

    j’ai aimé que dans ce livre, vous distinguiez en italique les phrases extraites des lettres, par rapport au récit, qui est vôtre, fruit de vos recherches en archives, vos sources étant indiquées. (Ces italiques n’apparaissent pas sur le texte de ce site, c’est dommage.) J’ai apprécié les mots et phrases en breton, assaisonnement indispensable. Comme tous ceux qui ont déjà lu ce livre, j’imagine, j’ai été très sensible à la graduation que met, très volontairement, Louis René dans son approche épistolaire vers Marie-Anne. Comment ne pas craquer, même, surtout, aujourd’hui ? Et quel style recherché, quel soin ! Une leçon pour bien des hommes, jeunes ou moins jeunes !

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    • Bien aimée Marie-Anne 4 décembre 2021 11:17, par P

      Un grand merci Colette pour votre analyse si fine de mon ouvrage. Tous ceux qui l’ont lu, m’écrivent qu’il est très agréable à lire et que la couverture et la mise en page (fruit du travail de mon fils Mathieu) sont fort réussies.
      Dommage que vous habitiez si loin de "ma" Bretagne. J’aurais eu plaisir à vous rencontrer.

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  • Bien aimée Marie-Anne 4 décembre 2021 14:19, par Corinne MAZO

    Bonjour Pierrick,
    C’est un petit bijou de livre que je viens de terminer !
    Quelle belle façon d’avoir utilisé ces lettres pour en faire un récit attrayant !
    J’admire la fraîcheur et la délicatesse des motifs floraux qui rendent ces lettres encore plus précieuses.
    Un trésor !
    Félicitations pour ce joli travail !!

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  • Bien aimée Marie-Anne 4 décembre 2021 14:39, par catherine marquet

    Bonjour,

    Très touchant !!
    Les petites cartes fleuries me font penser aux courriers échangés entre mes beaux-parents dans le milieu des années 30.
    Cordialement.

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  • Bien-aimée Marie-Anne 4 décembre 2021 16:49, par Le Douget Annick

    Dans ce petit livre à la présentation raffinée, Pierrick nous réserve une belle surprise en entrouvrant la porte des amours paysannes en Cornouaille. Il nous présente les lettres de son arrière-grand-père écrites à la jeune Marie-Anne dont il veut conquérir le coeur et la main. Comment déclarer sa flamme avec retenue, respect et dignité ? Comment se dévoiler et dévoiler ses intentions, avec délicatesse, patience et pudeur ? C’est tout un art, bien maîtrisé par le prétendant Louis-René, un jeune paysan breton du Second Empire, pour approcher celle qu’il a élue, et pour lui démontrer qu’il a les qualités requises de bon mari et de fermier avisé et moderne. Le mariage aura lieu en 1863.
    La conservation des lettres par Marie-Anne jusqu’à sa mort nous révèle à quel point elle fut sensible aux déclarations fleuries de son amoureux !
    Merci à Pierrick pour ce témoignage rare et précieux.

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  • Bien aimée Marie-Anne 25 janvier 2022 17:23, par BREAND

    Histoire tout à fait romantique et respectueuse dans le contexte de l’époque.

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