- Les insignes
Année 2005... deux anciens de la Coloniale, Bernard Beauplet et Henri Darré, se retrouvent sur Internet...
Ils ont crapahuté tous les deux, sans se connaître, dans les rizières du Delta du Mékong, au cours des combats qui ont eu lieu de 1947 à 1950.
Ils racontent leurs souvenirs, leurs émotions, leurs peines et aussi leurs joies, dans cet enfer de la boue... et rendent ainsi hommage à leurs camarades, officiers, sous-officiers et hommes de troupe, tombés au champ d’honneur.
Henri Darré : Nous sommes le 10 Janvier 1949, sur le marché de SocTrang flotte cette odeur subtile, faite d’un mélange de cannelle, de bétel et de poisson séché...
Les Indochinois ne semblent pas voir notre jeep qui traverse la ville, seuls les petits cireurs nous font de grands gestes intéressés.
Le long de la rue principale, il n’y a pratiquement que des femmes, installées derrière leurs paniers de bambous contenant fruits, canards, rats et serpents de rizière.
Au camp du 2e Bataillon de Marche d’Extrême-Orient, l’atmosphère est encore fébrile, depuis la grosse embuscade Vietminh qui a eu lieu juste en fin d’année, supprimant plusieurs des nôtres dont « le Patron », le Capitaine Cardonne.
Resté longtemps la « bête noire » des Viets, dans la région de Soctrang, ce Capitaine Cardonne, considéré comme un « dur », avait une stratégie particulière qui a fait ses preuves... stratégie maintenue après son départ, pendant mon séjour au sein du 2e B.M.E.O.
- Le capitaine Cardone
Toi, Bernard, tu étais stationné dans les parages au moment de ces embuscades de fin d’année 1948 et ton Bataillon, le 1er B.M.E.O., était aussi très sollicité à cette époque ???
Bernard Beauplet : Oui, cette vaste offensive Viet, à base d’attaques multiples de postes destinées à attirer les unités françaises d’intervention, avait été déclenchée le 19 décembre 1948 (fête présumée d’Ho Chi Minh).
En réalité, comme chaque année, il s’agissait pour les Viets, de profiter de la récolte de paddy à l’arrivée de la saison sèche, en décembre, dans cette zône du Trans et du Cis=Bassac, la plus riche d’Indochine, considérée comme « le grenier à riz de l’Indochine », pour procéder à la constitution et au renouvellement des stocks, puis au transport jusqu’à la frontière Cambodgienne. Des approvisionnements en paddy de la Zône 7 (Khu) du Vietminh.
Il ne restait plus de réserve mobile opérationnelle au sous-secteur de TraVinh, puisque je venais péniblement, non sans accrochages avec des Du Kich (guérilléros) , de récupérer de nuit, la valeur de deux sections de ma compagnie, en grattant dans mes postes du quartier de CanLong.
Je devais me rendre en mission de recueil vers SocRuong, centre des combats, au nord du poste attaqué d’ApLaBan (dit ; marché brûlé), ce qui restait de la compagnie d’intervention (rattachée à la Compagnie de Commandement/1er B.M.E.O.), très éprouvée. Alors qu’elle avait reçu pour mission d’aller dégager le poste attaqué et encerclé, cette Compagnie venait d’être très éprouvée, par un sanglant choc frontal avec les bataillons ChuLuc Viets embusqués, (Trung doân TD307 et 308) dont la présence en tel nombre était une surprise, malgré les renseignements et les recommandations de prudence fournis sur place, par les populations Cambodgiennes amies.
Le Chef du Vietminh du NamBô, Nguyen Binh, était présent sur les lieux. Lors de cette action, six officiers du 1er B.M.E.O. furent tués, prisonniers ou disparus ; le sous-Lieutenant Khmer Carol fut tué en plein assaut, à la tête de sa section, ainsi que trois aspirants Cambodgiens chefs de section en stage à la Compagnie, le Lieutenant Français Stef... commandant la Compagnie, furent portés disparus et jamais retrouvés. Le médecin (contractuel CLAEO), B...., fait prisonnier au cours de l’action, fut libéré plusieurs mois plus tard à Saïgon. A noter que les Viets locaux et régionaux ne faisaient pas de prisonniers à cette époque.
Dans le même temps, mon Chef de bataillon, pour sa part, était parti de TraVinh pour SocTrang via DaiNgai sur le Bassac, en vue de tenter d’obtenir auprès du sous/secteur de ton 2e B.M.E.O., quelque renfort pour tenter d’intervenir chez nous en débarquant par le Sud et en remontant vers ApLaBan où, un commando de parachutiste coloniaux de Saïgon avait été droppé en saut d’assaut pour tenir le poste dont les effectifs étaient insuffisants : quelques partisans et un sous-officier.
Or, le 2e B.M.E.O., qui avait déjà fort à faire chez lui, avait mis cependant quelques éléments à la disposition de mon Chef de Bataillon, le Commandant Four... lui même para colo...
On ne sait pas comment se passa le débarquement de ces détachements sur la rive Nord du Bassac, côté TraVinh, en coopération avec la Marine CanTho.
J’ai simplement intercepté, le soir tombant, un seul message d’un Commandant de la Marine, expliquant qu’il ne savait même pas si nos troupes avaient pu réembarquer (il s’agissait là de mon Chef de bataillon et d’éléments du 2e B.M.E.O. ). Ton Bataillon, de son côté devait faire face, lui-même, à des difficultés analogues, à des embuscades dans lesquelles fut blessé gravement ton Chef de bataillon, le Capitaine Cardonne, lequel décéda quelques jours plus tard à l’Hôpital.
Arrivé avec mon détachement, je m’installai donc en défensive dans le village de TanLap, d’où nous pouvions rayonner pour récupérer les morts, des blessés et des armes, aidés en cela par des bonzes khmers d’une pagode khmère voisine.
Les Viets continuèrent leurs activités dans ce secteur :
- par engagement de leurs troupes régionales pour fixer nos éléments opérationnels et quelques postes clés,
- en augmentant leurs actions habituelles ponctuelles des Du Kich (guérilleros) jusqu’à la veille de Noël.
Leur but étant de permettre ainsi à leurs bataillons Chu Luc : TD 307, 308 et 309 (du corps de bataille) de rejoindre en toute sécurité leurs bases de la frontière Cambodgienne, entre NuiSam et le « bec de canard », et entre TrangBang et SvayRieng, pour y transporter les stocks de paddy.
- Déc.1948 - Route de TraVinh-VinhLong - Poste de CangLong
- CangLong
Oct.1948 - Route de TraVinh- - Le pickup anglais de B.Beauplet vient de sauter sur une mine - à ses côtés, l’adjudant Hug...
Le Commandement Vietminh au Nam Bô n’engageait les éléments de son corps de bataille, qu’à coup sûr, du fort au faible, pour des objectifs importants. Le reste du temps, ces bataillons, en stationnement comme en déplacement étaient encoconnés, protégés, appuyés et soutenus par les troupes régionales, dont c’était la mission permanente d’assurer leur sécurité, en les maintenant constamment en sûreté... un peu comme chez nous, lorsque nos éléments de secteur accueillaient nos troupes d’intervention de réserve générale qui intervenaient au profit de nos secteurs territoriaux.
Henri Darré : Je pense, Bernard, qu’il peut-être intéressant de parler des Hoa Hao, cette importante secte bouddhique laquelle, je me souviens, avait dû signer, en 1947, une convention avec l’armée Française... convention non respectée puisque ces Hoa Hao qui pensaient exercer le contrôle sur la Cochinchine (grenier à riz), se retrouvèrent avec nous contre le Vietminh puis, contre le Vietminh et contre nous et enfin, avec le Vietminh, carrément contre nous...
Il reste évident qu’il est difficile de s’y retrouver dans cette affaire et, nous avons dû combattre outre le Vietminh mais aussi ces Hoa Hao qui disposaient des armes que la France leur avait cédées au moment de la convention...
- La Marine de Cantho veille sur les bras du Mékong
- liaison SocTrang-CanTho
Bernard Beauplet : Les Hoa Hoa, comme les CaoDaï et les BinhXuyen, ont été des sectes disposant de milices, ce qui en faisait des « seigneurs de la guerre » avec lesquelles les négociations ont été difficiles. Elles se ralliaient pour toucher des armes ou des munitions puis, désertaient pour opérer des actions ou exactions de rapine, puis se ralliaient de nouveau. Le chef des Hoa Hao était le Général à une étoile Tran Van Xoaï (la mangue) dont le port d’attache et le P.C. se trouvaient dans la région de ChauDoc.
Les Hoa Hao disposaient notamment de détachements de femmes combattantes , pompeusement nommés « dai doï » (compagnies Hoa Hao), qui ignoraient l’existence de la Convention de Genève...
Un autre seigneur de la guerre de cette secte s’appelait Ba Cut (parce qu’il s’était coupé le 3e doigt de la main, le majeur, simplement par défi de ses ennemis)... il sévissait aussi entre ChauDoc, NuiSam et la frontière Cambodgienne.
Pour les Caodaistes, il y avait une douzaine de sectes, dont les principales étaient celles de TayNinh et de BenTré. Une communauté s’est ralliée à mon poste de BacTrang en fin 1949. Les négociations avec ces gens étaient difficiles.
Enfin, il y eut les fameux BinXuyen, qui se rallièrent en 1948 au Général Boyer de Latour, commandant les troupes françaises de Cochinchine. (Troupes Françaises de l’Indochine Sud), leur chef était Lê Van Viên (dit Baï Vien).
- 1948
Lt Vietminh LANH (Tonkinois) fait prisonnier.
- 1949
BacTrang - La rizière
Henri Darré : En résumé, nous avons eu, nous les BMEO, à lutter contre le Vietminh mais aussi, souvent contre les sectes religieuses. Cependant, les Caodaïstes, affectés surtout par l’occupation japonaise, se sont finalement plus ou moins ralliés à l’armée Française. Certains se sont même ralliés à ton Bataillon...
Bernard Beauplet : Les principaux Caodaîstes sont à TayNinh, au sud de la frontière cambodgienne, près de la montagne de la « vierge noire » Nui Ba Den, ils ont, là-bas, une cathédrale un peu baroque . Leur religion a adopté Jésus Christ, Victor Hugo et Jeanne d’Arc. Ils avaient un colonel commandant leurs troupes, Trinh Minh Tê, qui a fait exploser des pompes à bicyclettes sur des vélos, dans Saîgon, du temps de Ngo Dinh Diêm... Les Caodaïstes se sont effectivement ralliés à notre B.M.E.O.
B. Beauplet avec à sa droite, le Lt Vietminh LANH, fait prisonnier quelques mois auparavant et, devenu adjudant des partisans au 1er BMEO.
- MayThuc 1948
Retour d’opération avec victimes et blessés.
- Prises d’armes Vietminh
document pris sur le cadavre d’un officier Viet
B. Beauplet avec l’adjudant CaoDaï et son fils interprète, ralliés.
Bernard Beauplet, 1° B.M.E.O., stationné à TraVinh.
Beauplet Bernard, Lt Colonel TDM(R) - Administrateur civil HC (h)- Sous-directeur honoraire, Ministère de la Défense. Maîtrise et DES Sciences économiques (Lauréat 1965 de la faculté Paris Assas Panthéon - Dess Gestion IAE Paris.
Maquis du Lot, Groupes Veny ( 01/44 à 08/44 ). Guerre contre Allemagne 8e R.I./19e D.I (09/44 à Mai/45). EMIA Coêtquidan, (promotion Victoire) 1945 + Application EAI Auvours 1946 /1947). 3e RTA Constantine, puis 1ER BICM à Miliana et Ténès ((1947/1948). Indochine : Chef de section, commandant de compagnie et OR de secteur : 08/1948 à 12/1950 et de 07/1952 à 10/1954. Algérie :1958/59 - 1961/62 ( stagiaire et commandant de compagnie).
- B. Beauplet à son retour d’Indochine.
France : SIECA (devient SIRPA) Ministère Défense : 59e BI PARIS (1963/1968). Chargé de Travaux dirigés à l’IAE - Université de Paris 1 : (1970/1980). Quitte l’armée en 1968. 1969 - admis dans le corps interministériel des administrateurs civils. Ministère de la Défense (Finances) 1968 à 1980 puis 1982 à 1988 : Sous-directeur d’administration centrale . Ministère de l’Industrie : DICA : secrétaire-général : 1980-1982.
Henri Darré, Caporal, 2°B.M.E.O., stationné à SocTrang.
Engagé volontaire fin 1941, pour la durée de la guerre - été successivement - Armée de l’Air - déserteur de l’armée (devenue l’armée de Vichy) - Résistant dans les Forces Françaises de l’Intérieur, dans la forêt de l’Etoile (Hte-Marne) - Terroriste (aux yeux des Allemands) -Artilleur au 1° R.A.C. (1re Division Française Libre du Général Garbay)) - Marsouin dans la 2e D.B. du Général Leclerc (1° Régiment de Marche du Tchad) -
Embarqué sur le « Pasteur » en 1947, pour l’Indochine - Musicien au Théâtre Aux Armées à Saïgon - Opérateur au Cinéma Aux Armées à Saïgon et finalement, Marsouin au 2e Bataillon de Marche d’Extrême-Orient (2° B.M.E.O.) à Soctrang (Cochinchine)... rapatrié sur « l’ATHOS II » en août 1949 - démobilisé à Toulon, au Centre des troupes Coloniales.
Officier Administratif, en Australie, dans un groupe Français de Travaux Publics - de 1952 à 1959.
U.S.Army - France et Etats-Unis - Responsable civil des approvisionnements moteurs et turbines, pour l’Europe et le Moyen-.Orient, de 1962 à 1967. De 1968 à 1995 - Directeur et créateur d’une usine de fibres métalliques (Loiret) destinées à l’anti-pollution (filtration et insonorisation).