Dans la Basse-Bretagne du XIXe siècle, les mariages sont le plus souvent arrangés. Les deux tourtereaux n’ont pas voix au chapitre et les parents négocient le contrat de mariage durant de longues semaines. Ils se retrouvent au cabaret, sur le champ de foire, chez le notaire, et étudient scrupuleusement les titres de propriété et l’importance des stus [1].
- Accord au cabaret
- Dessin d’Olivier Perrin (tirés de Breizh Izel ou la vie des bretons de l’Armorique, Paris, 1844.
Le livre que je viens de publier : " Le Maître de Guengat [2], Emprise d’un maire en Basse-Bretagne au XIX siècle relate, à partir de documents d’archives, plusieurs tractations de cette nature.
Ainsi en 1826 :
Marie-Noëlle (Chuto) sent ses forces décliner et veut absolument marier son fils avant de partir pour le grand voyage. À cinquante-huit ans, le temps presse. Il lui faut une belle-fille pour la seconder et bientôt la remplacer à la ferme. Elle présente à Pierre-Auguste la fille des Le Cornec, qui habitent la ferme de Kéranguily en Plogonnec. Leur fils Claude est un ami de Pierre-Auguste. Mais, à dix-neuf ans, ce dernier s’estime bien trop jeune pour épouser Marie-Louise, une « vieille » de vingt-sept printemps.
Sa mère estime que la jeune femme serait une parfaite épouse pour son aîné. Peu importe son âge, ce qui compte, c’est la dot. Assistée d’un "bazhvalan" [3] , le tailleur d’habits Jean Floch, elle rencontre à plusieurs reprises le couple Le Cornec. Elle demande trois mille francs de dot, et quelques meubles. Se croit-elle à la foire de Quimper en train de vendre une vache ? Devant le refus gêné de ses hôtes, elle tente de marchander à deux mille cinq cents francs. Mais Jean et Marie-Magdeleine Le Cornec ont sept enfants, dont trois mineurs, et ne peuvent constituer à leur fille qu’une dot de mille huit cents francs, dont trois cents payables seulement dans les deux ans. À cet effet, ils doivent hypothéquer la maison et les terres de Kéranguily.
La vieille mère finit par céder. Elle aurait préféré un riche mariage pour ce fils qu’elle voit promis à un bel avenir. Il est convenu qu’elle paiera annuellement au futur couple la somme de quatre-vingt-dix francs pour « leurs peines et soins à aider à son ménage ».
« Elle s’engage à les blanchir, nourrir et entretenir en hardes et chaussures tant pour l’ordinaire que pour les dimanches, en santé comme en maladie, et même les enfants qui pourraient naître de leur union ».
En 1851, Pierre-Auguste Chuto, que l’on appelle désormais Auguste, est le maire tout-puissant de la commune de Guengat. Il est aussi le tuteur de Marie-Anne Le Cornec (nièce de sa première femme) et souhaite vivement se débarrasser de ce « fardeau peu productif ». A la fête agricole de Plonéis, commune voisine :
« Il rencontre deux de ses administrés, les Galiot père et fils de Kerescard, deux cultivateurs que l’on dit sérieux et travailleurs. L’idée de marier sa petite protégée Marie-Anne Le Cornec à René Galiot, vingt-huit ans, lui vient aussitôt. Après la fête, la négociation commence au cabaret de Jean et Corentine Gac au bourg de Plonéis. Les douze ans de différence avec sa promise n’effraient aucunement le jeune homme, et les trois mille francs de la dot qu’elle s’est constituée sur les biens de la succession de son défunt père, ne laissent pas indifférent le chef de famille. Marie-Anne n’ayant pas voix au chapitre, le mariage religieux est célébré le 1er juillet 1851 ».
L’entremetteur
Dans les campagnes bretonnes, le tailleur d’habits est peu considéré. Les hommes estiment qu’il exerce un métier de fainéant et jalousent celui qui est toujours le bienvenu auprès des femmes, lorsqu’il va de ferme en ferme proposer ses services. C’est pourtant ce tailleur qui est le plus souvent choisi pour sonder le terrain et poser des jalons. Lorsqu’il estime que sa démarche d’entremetteur va être couronnée de succès, il se rend au domicile de la promise et présente la demande aux parents.
- L’entremetteur est bien reçu
- Dessin d’Olivier Perrin (tirés de Breizh Izel ou la vie des bretons de l’Armorique, Paris, 1844.
Dans les rares familles aisées de Guengat, il n’est nul besoin d’un tiers pour négocier. Auguste Chuto, du manoir de Saint-Alouarn, est devenu l’homme le plus riche de la commune. Jean Nihouarn, du village de Kerguerbé, est le deuxième contribuable. Les deux hommes ont eu des relations difficiles par le passé pour des motifs politiques ou religieux. Mais il importe de trouver de bons partis pour sa progéniture et on oublie les divergences le temps d’un arrangement. Ainsi en 1861 :
« Restés seuls, Nihouarn et Chuto, en bons négociateurs, discutaillent de la pluie et du beau temps, des affaires de la commune et de petits détails insignifiants. Aucun ne veut aborder en premier le sujet qui lui tient à cœur : le mariage de leurs enfants, Marie-Catherine Chuto et Jean-Louis Nihouarn. Ils savent que les discussions vont être longues et difficiles avant de parvenir à un accord qui unira leurs deux maisons. C’est pourquoi ils ont convenu de se revoir à Ty-Moullec, ce dimanche de mars. Les danseurs frénétiques ne leur prêtent aucune attention, trop occupés à marteler l’aire neuve [4] de leurs pas lourdement cadencés.
Auguste doit interrompre la discussion pour aider son fils Pierre, à séparer deux belligérants échauffés par la boisson. Il est fréquent que l’aire devienne une arène où les gars de différentes paroisses règlent leurs contentieux, soutenus par des compatriotes. Les filles ne sont pas en reste. Leur rôle est d’apporter à boire aux danseurs, mais il arrive qu’elles participent aux libations et s’enivrent.
Marie-Catherine Chuto est une jeune fille sage. Elle est bien loin de penser que son père veut la marier au grand maigre dégingandé, baigné de sueur, qui s’active tant au son du biniou. Alors que la surface de l’aire est totalement lisse et que les participants à la fête sont épuisés, les deux pères sont presque parvenus à un accord. Jean prie Auguste de lui rendre visite à Kerguerbé, la semaine suivante…
À la date convenue, Nihouarn fait visiter le domaine à Chuto qui le connaît pour y avoir souvent chassé. Suivant la tradition, le bétail est passé en revue : six bœufs à labeur, six bouvillons, neuf vaches, huit génisses, sans oublier sept veaux, quatre chevaux, quinze cochons et un taureau. Tous ces animaux attestent la prospérité de l’exploitation et de ses occupants. La ferme est parfaitement tenue. Ici, le tas de fumier n’est pas adossé à la maison d’habitation, près du puits, comme c’est souvent le cas.
Anne Cariou, la maîtresse de maison, reçoit le maire avec beaucoup d’égards. Après lui avoir fait les honneurs de la demeure, elle se retire afin de laisser les deux hommes finaliser l’accord. Maître Damey a estimé les biens du couple ; Kerguerbé est évalué à vingt-huit mille deux cents francs. Le moulin de Kervrouach vaut mille huit cents francs. Auguste consulte longuement les titres de propriété.
Les époux Nihouarn vont, par acte entre vifs, faire le partage de leurs biens entre leurs quatre enfants. Afin de ne pas morceler la propriété, ils ont décidé de former un seul lot et de le donner à Jean-Louis, à charge pour lui de dédommager ses frères et sœurs. Dès le 29 septembre, il jouira de la moitié des biens, les donateurs se réservant l’usufruit et la jouissance de l’autre moitié jusqu’au décès du dernier d’entre eux.
Les époux Chuto ont constitué une dot de neuf mille francs, immobilisés pour tenir lieu de bien propre à Marie-Catherine. Ils feront transporter à Kerguerbé, le lendemain des noces, des meubles et effets mobiliers jusqu’à concurrence de trois cents francs. Le contrat est signé devant notaire, le jeudi 6 juin ».
De telles négociations se retrouvent dans le livre à plusieurs reprises. Parfois, après que les parents aient négocié, les jeunes gens éprouvent de véritables sentiments l’un pour l’autre, mais combien de femmes sont soumises toute leur vie et n’ont aucun pouvoir de décision, étant le plus souvent illettrées !
Yann Brekilien dans « La vie quotidienne des paysans bretons au XIXe siècle » [5] reprend un texte de 1840 :
« Le paysan devient amoureux pour tout de bon, c’est à dire pour se marier ; un champ, un pré, une vache, de plus ou de moins dans la balance, voila qui suffit pour le séduire. Le plus gros fumier lui porte au cœur et s’il a la perspective de pouvoir élever un cochon de plus chaque année, il se fixe sans retour ».
Sans commentaires…
Dans le livre « Le Maître de Guengat », j’ai tenté, à travers la vie de mes ancêtres, de raconter la vie d’un bourg et de ses habitants, en un siècle méconnu et pourtant proche.
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