François "Félicien" Vernier est né le 10 décembre 1874 à La Chaux de Gilley, dans les hauteurs du Haut-Doubs. Il habitait à Arc-sous-Cicon, commune proche de son lieu de naissance. Il est mort jeune, à huit ans, à Lièvremont, à une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau de son domicile, tout près de la frontière suisse (à trois kilomètres exactement), dans la maison d’un non-affilié. Chose curieuse, son acte de décès n’indique que des témoins non affiliés, ce qui n’est pas courant pour un enfant. Cet enfant semble être donc mort hors de sa famille [1].
- Acte de décès de François Félicien Vernier, Archives du Doubs, NMD 1881-1890
- Acte de décès de François Félicien Vernier, Archives du Doubs, NMD 1881-1890
Par acquis de conscience généalogique, j’ai fait une recherche sans grande conviction et sans grand espoir sur Gallica. Quelle ne fût pas ma surprise de découvrir un court fait divers qui, au final, nous en apprend beaucoup sur le quotidien [2] !
- La Justice, 25 octobre 1883, p.4
Passons la mort horrible de Félicien et attachons-nous aux petits détails.
Alors que la Suisse est située à une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau de son domicile, un enfant de huit ans n’hésite pas à faire le trajet seul avec sa soeur, à priori à pied, dans un paysage montagneux (il s’agit probablement de sa seule soeur ainée, âgée de seulement de neuf ans ; les autres soeurs de Félicien ayant trois ans et un an, en 1883, à sa mort, on peut supposer que ce n’est pas elles qui l’accompagnaient sur ce long trajet). Cela va dans le sens d’autres observations que j’ai pu faire dans la généalogie de ma belle-famille : il y avait déjà au XIXe siècle d’intenses échanges entre le Doubs, particulièrement le Haut-Doubs, et la Suisse. La frontière était très poreuse et n’était qu’un tracé sur les cartes.
On se méfiait toutefois beaucoup des douaniers. Ici, pour éviter de payer les droits de douane d’une bouteille de liqueur, on a trempé le bouchon dans du pétrole pour tromper le nez des douaniers. Non seulement on y découvre la méthode des douaniers pour repérer les bouteilles d’alcool (à l’odeur !) mais on y découvre aussi une méthode originale pour contrer les pratiques douanières.
Et surtout, on découvre dans ce fait divers un garçon de huit ans qui fume la pipe sans que cela ne semble choquer le rapporteur de ce fait.
On confirme ainsi que, au XIXe siècle, les enfants étaient de petits adultes avant l’heure, parcourant seuls de longs trajets dans les montagnes pour jouer le rôle de "mules" trans-frontalières, tout en prenant des pauses pour fumer la pipe.