Le 8 septembre 1830, dans sa maison en Mâconnais, meurt à cinquante deux ans Jean Benoît VALENTIN. Veuf depuis 1826, il laisse quatre enfants jeunes. Après la désignation d’un tuteur et l’inventaire après décès, la vente de tous les " biens délaissés " est décidée.
" Ce jourd’hui, trois novembre dix huit cent trente est comparu Nicolas CORSIN, notaire demeurant à Tramayes, lequel a déclaré que demain, quatre courant, sur les huit heures du matin, au domicile où sont décédés Jean Benoît VALLENTIN et Benoîte THOMAS, au lieu de La Garde, commune de Saint Léger sous la Bussière ; il procédera à la vente par encan des objets mobiliers, denrées, bétail, harnais d’agriculture, chanvre, blé noir et autres objets délaissés par les dits défunts...à la requête de Jean REVILLET, propriétaire demeurant à Saint Point, tuteur des dits enfants mineurs VALLENTIN ".
Le lendemain a lieu la vente " en présence de Sieur Jean THOMAS, cultivateur demeurant au lieu de Poizolle, commune de Dompierre les Ormes, agissant en qualité de subrogé tuteur " et " en présence de Sieur Jean PHILIBERT, Maire de la commune de Saint Léger,y demeurant, et de Jacques MAZOYER, limonadier demeurant à Tramayes ".
La vente se fait " au plus offrant et dernier enchérisseur ".
" Tous les objets mobiliers trouvés et étant dans une maison située à Saint Léger, lieu de La Garde, où lesdits défunts demeuraient et où ils sont décédés " sont compris, d’après le procès verbal de la vente, dans l’inventaire fait par le notaire CORSIN le 23 septembre dernier.
Nous verrons qu’il y a quelques oublis... et quelques ajouts !
" Les parties ont choisi pour faire la criée des objets mobiliers à mettre en vente Sieur Jean AULAS, propriétaire cultivateur demeurant au dit Saint Léger ". Jean AULAS, probablement le voisin immédiat des VALENTIN, prête serment devant le notaire de " s’acquitter en son âme et conscience " de cette mission.
Le tuteur REVILLET, le " crieur " Jean AULAS, les témoins, " mais non le subrogé tuteur (Jean THOMAS) pour ne le savoir faire " signent le procès verbal.
La vente peut commencer :
A La Garde, il s’est trouvé " un nombre suffisant d’enchérisseurs survenu au moyen des publications qui ont été faites et des affiches qui ont été apposées pour parvenir à la dite vente mobilière dans tous les endroits voulus par la loi et lieux ordinaires dans les communes de Tramayes et Saint Léger ".
L’huissier TARLET de Tramayes a d’ailleurs constaté " l’apposition d’affiches " par exploit du 31 octobre.
Si l’inventaire compte 33 articles décrits, le procès verbal de la vente (quelques semaines plus tard) en compte 42.Les lots de la vente ne sont pas identiques à ceux de l’inventaire : certains ont été scindés, quelques objets se sont ajoutés à la première liste.
Nous allons y revenir dans quelques instants.
" Le notaire a annoncé au public que la vente était terminée. Il a été vaqué à ce que dessus jusque à cinq heures du soir " La vente avait débuté à 8 heures le matin même !
A la fin du procès verbal, le notaire " déclare qu’il n’est parvenu aucune opposition à la distribution des deniers provenant de la vente mobilière dont s’agit ".
Quelques comparaisons entre estimation et prix de vente :
Il est intéressant de comparer l’estimation faite pour un objet et le prix réellement atteint par le même objet : " l’expert appréciateur " est un paysan du cru qui connaît bien la valeur des choses. Quelle est donc la dépense qu’est prêt à faire un paysan pour acheter une chose utile ?
Des objets trouvent preneurs malgré des enchères assez élevées par rapport à leur estimation ; les acquéreurs potentiels se disputant peut être à coups d’enchères la possession de ceux ci.
Par contre, d’autres font à peine leur mise à prix.
Ce tableau comparatif appelle plusieurs remarques :
1/ Certains lots de la vente ne sont pas identiques à ceux de l’inventaire : ils ont été scindés, les objets intervertis. Ce qui augmente le nombre de lots :
- Le panier en osier répertorié à l’article 6 de l’inventaire est séparé des " corbissous " pour être vendu avec fourchettes, cuillères et écuelles en terre (lot numéro 4) Le total trouve preneur pour 70 centimes.
- Au passage, les sept couverts deviennent dix, les " cinq assiettes fayence " disparaissent de la vente !
- Les huit pots en terre sont vendus seuls (lot numéro 5) pour 40 centimes.
- Le lot 21 de l’inventaire est réparti entre quatre lots pour la vente : numéros 2 et 26 pour les poêles, 35 pour les fourches, 27 pour le pic, etc.
- Le lot 23 est lui aussi réparti sur les numéros 29, 32 et 36 de la vente !
Les lots pour la vente sont ils confectionnés avec l’intention de vendre tout ces objets " plus chers " car plus disputés aux enchères ?
2/ La désignation des mêmes objets n’est pas fait dans les mêmes termes sur les deux listes.
D’où la difficulté d’identifier les choses. Par contre, certains termes régionaux un peu obscurs de l’inventaire s’éclairent grâce au bon français utilisé pour la vente :
Ainsi l’araize, charrue sans avant train pour le labourage des terres (article 20) devient dans l’article 33 de la vente " une souchée à labourer la terre ". Marcel LACHIVER nous dit qu’en Beaujolais une " souchée " est une charrue. Ceci explique cela !
La fochée, sorte de houe peut être assimilée à la " bachale " (article 35 de la vente) terme à rapprocher du béchard : houe fourchue à deux dents plates.
3/ Quelques objets se sont ajoutés à la vente.
- Ce sont surtout des outils (oubliés lors de l’inventaire ?) : "un taille pré et une selle", "cinq cercloirs (pour les tonneaux)...et un grapin", "une coignée" (une hache) "une scie, une cheville en fer et un foret", " une cerpette ", " une fourche en bois, un flot (fléau) à battre le blé".
- Des objets très personnels : " une paire de lunettes et un razoir ".
Jean Benoît était il myope ou presbyte ? En tous cas, il ne devait pas être barbu puisqu’il avait un rasoir, peut être était il moustachu ? - Des récoltes : " douze hectolitres de pommes de terre et environ quatre kilos de chanvre " " un tonneau défoncé plain de graines de trèfle ".
4/ Au contraire, on ne retrouve pas quelques objets de l’inventaire dans les articles de la vente : " deux roues de chariot ferrées...(un) mauvais tombereau sans roue" Ont-ils été vendus avec la " commassure " ou " l’araize " ?
Les " cinq assiettes fayence " ont également disparues entre l’inventaire et la vente !
Qui achète quoi...combien et pourquoi ?
Les " biens délaissés " se répartissent entre 14 acquéreurs. Sur 40 articles vendus à un acheteur identifié, on peut dresser l’état suivant, par ordre dégressif :
Rien d’anormal pour Jean BERTAUD d’acquérir beaucoup d’objets : tout récent fermier des terres des VALENTIN, il doit s’équiper. Pour cela, il fait une dépense totale de 501,75 Francs. Plus de 36% du total de la vente !
- matériel agricole, outillage, bétail : " un char à quatre roues et une commessure " " un joug, deux fourches et une bachale " " un mauvais bois de lit et une fourche en bois, et un flot (fléau) à battre le blé"...
Et " une autre vache poil rouge " pour 80 Francs.
- meubles et ustensiles de cuisine : " une autre armoire à deux portes et deux tiroirs, avec serrure " " un mauvais banc et quatre chaises" " dix tant fourchettes que cuilliéres, un panier et six écuelles en terre" "une faut et six corbeilles à pain" " une autre marmite avec son couvercle portant numéro dix" " un fer à gauffre".
Léger BERTOUD, beau frère du décédé, acquiert "un lit garni, deux coetres balavoine, un traversin, deux draps et des rideaux" et aussi " une petite couchette d’enfant en bois (de) peuplier garnie de deux mauvais draps et une couverture (en) étoupe".
Peut être la destine t’il à sa fille Madeleine pour l’un de ses jeunes enfants né de son mariage avec Louis DARGAUD ?
Il prend aussi "sept chemises, quatre napes, une veste et un pantalon".
Avec un peu d’outillage : "cinq cercloirs, une poêle et un grapin" "une scie, une cheville en fer et un foret, le tout très mauvais " "une cerpe et une cerpette " il achète aussi "une feuillette et un tonneau défoncé plain de graines de trèfle ".
Léger BERTOUD achète pour un total de 37,85 Francs. Si ces achats lui sont certes utiles, on peut penser qu’ils sont faits aussi à titre affectif ; pour garder quelques souvenirs.
Jean Pierre VALENTIN, frère de Jean Benoît, achète "une armoire à deux portes et deux tiroirs, sans serrure" " une petite table avec son tiroir" ainsi qu’" une marmitte avec son couvercle portant le numéro trente cinq". La dépense est pour lui de 35,70 Francs.
Pierre AULAS, voisin des VALENTIN, achète : " un salloir et deux petites corbeilles" " un vesselier avec son rayon" "trois très mauvais sacs " "une coignée et un pic" et ... "une paire de lunettes et un razoir".
Peut on faire les mêmes remarques pour Pierre AULAS ; au sujet de sa vue et de sa barbe ; que celles faites pour Jean Benoît ? Pour lui, c’est une dépense de 23,30 Francs.
Mais ceux qui achètent le plus d’objets ne sont pas ceux qui dépensent le plus :
- Pierre PHILIBERT emporte l’enchère sur la génisse pour 80 Francs : une belle somme. Cela permet à ce voisin des VALENTIN d’étoffer son cheptel.
- Benoît DUBOIS, avec une seule vache achetée 55 Francs se " classe " troisième acheteur !
- Louis NAVAIZARD dépense 30 Francs pour avoir le cochon.
- Toussaint ROUX n’acquiert lui que quatre objets pour la somme de 6,45 Francs.
Faisons les comptes
Le 5 novembre 1830, lendemain de la vente, le tuteur Jean REVILLET et Jean THOMAS, subrogé tuteur, sont présents chez Maître CORSIN.
Avec lui ils arrêtent " de la manière suivante les comptes de la vente mobilière ", retirent les fonds et passent " décharge " au notaire de ce montant.
Les frais de funérailles se montent à 19,15 Francs....les " frais et honoraires " du notaire se montent, eux, à 86,60 Francs ! Ajoutés à ceux du Juge de Paix et du Greffier, les honoraires consomment presque 22% de l’argent de la vente !