Profitant de la mise en ligne, tant attendue, des registres d’état civil de la Haute-Loire, je me suis mis en quête de compléter mes recherches généalogiques sur les familles Ponson et Colombet, identifiées au XIXe siècle sur les communes de Raucoules et de Montfaucon en Haute-Loire.
J’ai commencé ma lecture du registre de Montfaucon-en-Velay (1827-1850) par la dernière page, à rebours, afin de progresser dans le temps depuis les actes les plus récents vers les plus anciens.
J’ai rapidement identifié le décès de Jean Ponson, en date du 27 novembre 1842 (Registre des décès de Montfaucon-en-Velay, 1827-1850, 6E158-07, vue 135/212) :
L’an mil huit cent quarante deux, le vingt sept du mois de novembre à deux heures après midi, par devant nous Camille Chazotte Maire officier de l’état civil de la commune de Montfaucon, canton de ce nom, département de la Haute-Loire, sont comparus Pierre Chomat, boucher, âgé d’environ 30 ans et Antoine Gire, militaire pensionné, âgé de soixante ans aussi environ demeurants tous deux à Montfaucon faubourg Notre Dame, lesquels nous ont déclaré que Jean Ponson, tailleur d’habits, âgé d’environ cinquante huit ans, époux de Marie Colombet, demeurant ensemble au lieu d’Oumey commune de Raucoules est décédé à Montfaucon dans la maison et domicile dudit Chomat comparant ce jourd’hui à six heures du matin et après lecture faite nous avons signé le présent acte de décès avec lesdits Chomat et Gire.
Ainsi donc, mon ancêtre Jean Ponson n’est pas décédé dans sa commune de Raucoules, mais dans celle voisine de Montfaucon-en-Velay, distante de la première de 1,34 km. Mais le passage le plus curieux de l’acte est celui qui nous indique qu’il est mort dans la maison d’habitation de Pierre Chomat à six heures du matin. Qu’allait-il faire à cette heure si matinale chez le boucher de Montfaucon ? Aucun lien de parenté n’étant connu entre les deux hommes, il s’agissait peut-être d’une visite d’affaire, disons dans le cadre de leurs activités respectives.
J’en restais là de mes suppositions et je repris ma lecture systématique, à rebours, des actes du registre des décès de Montfaucon. Je n’allais pas bien loin dans le même volume puisque je trouvais rapidement, 9 pages avant l’acte de décès de Jean Ponson, à la page 135, une lettre insérée entre les feuillets. Quel ne fut pas mon étonnement de constater que ce document concernait le décès de mon ancêtre Jean Ponson !
En voici le contenu (Registre des décès de Montfaucon-en-Velay, 1827-1850, 6E158-07, vue 126/212) :
Le Maire officier de l’État civil de la ville de Montfaucon, département de la Haute-Loire, sur la demande a lui faite par la famille du nommé Ponson Jean âgé d’environ cinquante huit ans, tailleur d’habits, marié, père de famille domicilié au lieu d’Oumey, commune de Raucoules, dépendante de ce canton, décédé dans la maison de Pierre Chomat, boucher à Montfaucon, ce jourd’hier à six heures du matin, d’avoir l’autorisation de faire inhumer ledit Ponson dans le cimetière de la paroisse dudit Raucoulles ; En conséquences vu que la loi ne s’oppose pas à ces autorisations lorsqu’il n’y a point de raisons contraires ; à cet effet permettons que le cadavre dudit Ponson Jean soit livré à sa femme et son père pour être transporté de suite à Raucoules et être inhumé ce jourd’hui dans le cimetière dudit lieu. Lequel cadavre sera déposé selon l’usage dans une bière fermée et clouée ; à la charge par les réclamants de rapporter décharger dudit cadavre et de son inhumation. Délivré par l’autorité locale dudit lieu. Délivré à Montfaucon en mairie le vingt huit novembre 1842.
et plus bas dans la lettre, la réponse du maire de Raucoules :
Le Maire de la commune de Raucoules certifie que le sieur Ponson Jean décédé au domicile de Pierre Chomat a été inhumé dans le cimetière communal de Raucoules aujourd’hui vingt huit novembre mil huit cent quarante deux en vertu de l’autorisation ci dessus. Raucoule le 28 novembre 1842. Le Maire (cachet de la mairie).
Certes, la cause du décès de Jean Ponson n’est pas indiquée, ni la raison de sa présence matinale dans la maison de Pierre Chomat. Il n’en reste pas moins que cette lettre, aussi inattendue que providentielle, m’apporte quelques éléments nouveaux sur la famille de mon ancêtre et sur les circonstances de son décès.
Ainsi, la lecture de la phrase suivante : « vu que la loi ne s’oppose pas à ces autorisations lorsqu’il n’y a point de raisons contraires » me suggère que la mort est sans doute naturelle, tout au moins qu’elle ne prête pas à suspicion.
Mais le plus intéressant, dans cette attestation de transport du corps d’un défunt d’une commune à une autre, réside dans la description de la procédure d’usage de restitution d’un corps à sa famille. On voit ainsi que la démarche est à la charge de la famille qui devra rendre la bière après l’inhumation.
402. L’autorisation d’inhumer est délivrée sur papier libre et sans frais. (Art. 77, C.c.) Elle doit contenir la désignation exacte de la personne décédée, et l’indication de l’heure à laquelle il sera permis de l’inhumer.
403. Dans les cas ordinaires, l’inhumation ne peut avoir lieu, et on ne doit permettre de la faire que vingt quatre heures après le décès (Art. 77, C.c.). Pour assurer l’observation de cette règle et empêcher les inhumations précipitées, il est très-important que l’Officier de l’état civil se fasse indiquer très exactement l’heure du décès, et s’assure que cette indication n’est pas mensongère.
405. Toute personne qui participe d’une manière quelconque à l’enlèvement, transport, dépôt, présentation à l’église ou au temple, ou à l’inhumation d’un corps, sans qu’il lui soit justifié de l’autorisation accordée par l’Officier de l’état civil, ou avant l’heure fixée par cette autorisation, est passible d’un emprisonnement de six jours à deux mois et d’une amende de 16 fr. à 50 fr. (Art. 358, C.p.).
406. L’inhumation ne peut être faite ni permise que dans l’un des cimetières publics de là commune où le décès a eu lieu (Décret du 23 prairial an XII, art. 2 et 15).
408. Si la propriété particulière où l’on a le projet de faire l’inhumation, est dans une autre commune, l’Officier de l’état civil veille à ce que le transport du corps soit fait avec toutes les précautions convenables. Si ce transport doit être long, il est nécessaire que le corps soit embaumé. Dans tous les cas, on doit le placer soigneusement dans un ou plusieurs cercueils assez-solidement fermés, pour qu’aucune émanation putride ne s’en échappe.
L’officier de l’état civil dresse un procès-verbal énonçant l’état du corps et du cercueil, la personne ou les personnes à qui il le confie sous leur responsabilité, et le lieu où il doit être transporté.
Expédition de ce procès-verbal est immédiatement adressée au Maire de la commune dans le territoire de laquelle doit se faire l’inhumation, afin que ce fonctionnaire puisse veiller à ce qu’elle ait lieu conformément aux règles tracées par la loi.
Enfin, il est délivré au voiturier, charretier ou conducteur, chargé du transport, une sorte de passeport, contenant la désignation du corps et du cercueil, l’indication du lieu où il doit être conduit et déposé, et des personnes sur la demande de qui l’enlèvement a été autorisé.
Si l’Officier de l’état civil a cru devoir prescrire quelques mesures particulières, dans l’intérêt de la décence ou de la salubrité publique, il en fait mention dans cette pièce.
Source : Extrait des Instructions élémentaires sur les actes de l’état civil, à l’usage des écoles normales primaires et des secrétaires de mairies, par M. Claparède (président à la Cour de Montpellier), Librairie Hachette (Paris), 1837. Disponible en ligne sur Gallica (Merci à Michel Guironnet pour l’information).
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