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Une institution d’antan : les loueries ou louées de domestiques

Le vendredi 21 février 2025, par Christophe Canivet

Autrefois, les ouvriers agricoles se répartissaient entre journaliers, qui louaient leur force de travail à la journée ou à la tâche, et domestiques, qui se louaient à l’année, de date à date.

Les premiers étaient nombreux dans les registres d’état-civil. C’était un état de précarité qui était appelé à perdurer, parfois pendant toute une vie. L’intéressé, ne jouissant pas de sa propre exploitation ou ne disposant que d’un lopin de terre insuffisant, allait proposer ses services à un agriculteur généralement de sa commune, pour ne pas trop s’éloigner de son domicile et de sa famille.

A l’inverse, les domestiques, valets et servantes de ferme, souvent encore jeunes et célibataires, laissaient peu de traces dans les registres d’état-civil. Une fois par an, à date fixe, employeurs potentiels et candidats convergeaient vers le champ de foire. Un simple accord verbal, un simple "tope-là" ou une bonne poignée de main suffiraient à engager les deux parties pour les douze mois à venir. Avant l’aube, le domestique avait fait son paquetage, quitté la fermé qui venait de lui servir de cadre de vie depuis toute une année, et le lendemain il embaucherait dans une autre ferme, située le cas échéant dans une autre commune des environs, voire à l’autre bout du canton, avec d’autres compagnons de travail... Contrat purement verbal, il est généralement très difficile voire impossible d’en retrouver aujourd’hui les modalités. Tout au plus quand on aperçoit un domestique dans un acte d’état-civil, peut-on supposer qu’il ou elle avait été embauché(e) à la louerie la plus proche de l’exploitation de son employeur, en date et en lieu, et donc de sa commune de résidence du moment

Une fois n’est pas coutume, j’ai trouvé un acte de mariage (le 10/10/1826 à Juvigny-sur-Seulles) qui permet (indirectement) de savoir précisément quand, et donc où, le couple de domestiques en question a été recruté. Comme aucun des deux n’était natif ni domicilié dans la commune au jour de la noce, M. le maire a cru devoir préciser : « profession de domestique, demeurant depuis le vingt-deux juillet dernier en la commune de Vendes et auparavant en la commune de Juvigny ».

Autrement dit, tout s’explique par leur profession : ces deux domestiques ont changé de domicile, et donc d’employeur(s), le jour de la Sainte-Madeleine, jour de la louerie de Tilly-sur-Seulles, le chef-lieu de canton.

On notera qu’à l’époque, ladite louée de Tilly se faisait encore à date fixe, le 22 juillet de chaque année (jour de la sainte-Madeleine), en prémices de la foire de Tilly, vieille institution ressuscitée un demi-siècle plus tôt par M. de Fontette, nouveau seigneur du lieu (qu’il fit ériger en marquisat) et Intendant de la généralité de Caen. Or, bien évidemment, étant à date fixe, ledit jour pouvait tomber en semaine...

Quelques années plus tard, une âme bien pensante de la préfecture imagina qu’il serait préférable d’organiser la louerie uniquement le dimanche "le plus proche du 22 juillet". Du point de vue des employeurs qui, bien souvent, étaient aussi les élus locaux, on évitait ainsi de perdre une journée de travail...

Aux mêmes causes, les mêmes effets ! On étendit la même formulation à toutes les loueries du département. Mais cette égalité de traitement toute administrative avait oublié une contingence matérielle...

A Creully, à 10 ou 15 km de Tilly, la louerie de domestiques se déroulait jusque là le jour de la Saint-Clair, le 18 juillet, date la plus souvent retenue à travers toute la Normandie. Reprenant la susdite formulation, le même élan préfectoral avait donc décidé que la louerie de Creully se déroulerait dorénavant le dimanche "le plus proche du 18 juillet".

Aucun souci quand les foires de Tilly et de Creully se déroulaient à date fixe, et donc à quatre jours d’écart.

Hélas ! Cent fois hélas ! Le rédacteur avait "oublié" que "le dimanche le plus proche", ça veut dire avant ou après... et donc lorsque ce dimanche tomberait les 19, 20 ou 21 juillet, les deux loueries allaient se dérouler le même jour et se feraient concurrence...

Par une délibération du 13/08/1893 le conseil municipal de Creully sollicita donc une modification de l’arrêté pour que les deux loueries se déroulent dorénavant systématiquement à une semaine d’écart. Tilly fit-elle la même demande ? Malheureusement, impossible de le vérifier, les archives municipales ayant péri en 1944.

Plus de précisions sur : https://www.creully.net/2012/12/1857-creully-tilly-sur-seulles-une.html

L’exode rural du XIXe s. mit en péril cette institution. Les jeunes gens des deux sexes, partis en ville, n’étaient plus là pour se louer à l’année. L’offre se faisant de plus en plus rare, les plus compétents se louaient à prix d’or, se faisaient reconduire d’année en année et se faisaient embaucher avant la date de la foire. Pour les employeurs les moins fortunés, il fallait se contenter de ceux qui restaient...

Mais, si elles ont survécu en Normandie plus qu’ailleurs, la première guerre mondiale va porter le coup de grâce aux loueries de domestiques. En août 1909, la Revue Illustrée du Calvados publia un long reportage sur une des dernières loueries ayant eu lieu à Bayeux. Voir en ligne, sur le site des AD du Calvados

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C’est dans ce cadre géographique (le nord du futur canton de Tilly-sur-Seulles) et sociétal (les relations entre maîtres et domestiques de ferme) que s’inscrit l’Hôtel Fortuné, une des Nouvelles Normandes de Gaston LAVALLEY. La bâtisse existe toujours, nettement visible de la N13 qui relie Paris à Cherbourg. L’auteur place l’action de son roman lors du voyage de Louis XVI à Cherbourg, le seul voyage de longue durée que le roi fit en province avant la fuite à Varennes. Il s’agissait pour l’heure d’aller assister aux travaux qui, à terme, allaient doter Cherbourg de la plus grande rade artificielle du monde, en l’occurrence l’immersion d’un des cônes de la Grande Digue. Nous nous situons donc à la mi-juin 1786. Si la Saint-Clair est évoquée, ce n’est pas forcément comme foire aux domestiques mais comme terme du contrat de la bonne, annuellement reconductible.

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9 Messages

  • En pleine guerre, en 1915, Le Journal du Centre rapporte que la première des louées dans la série dite des fauchaisons et des moissons s’est tenue à Saint-Amand.
    Les prix ont variés entre 4fr50 et 5fr par journée plus la nourriture.
    Tous les gens des deux sexes qui se sont présentés ont été embauchés.

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  • Article particulièrement intéressant. Je n’avais jamais entendu parler de loueries ou louées de domestique en Normandie auparavant. Cela m’apporte une nouvelle piste d’exploration et de compréhension dans mes recherches sur l’histoire de ma famille, beaucoup de membres ayant été journaliers ou servantes.

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  • S’il est bien une source d’archives à laquelle on ne pense pas mais qui donne souvent des contrats entiers c’est celle des enfants assistés.

    Ces enfants orphelins ou abandonnés souvent surnommés "petits paris" finissaient bien souvent comme domestiques de ferme dès leurs 13 ans. Selon les pièces conservées au dossier, on peut trouver :
    * les contrats avec nom de l’employeur et dates de début/fin. Parfois il s’agit d’un document type "cerfa" pré-imprimé reprenant les obligations des deux parties
    * les livrets de caisse d’épargne (comptes de tutelle) sur lesquels étaient versés les gages mais également retirées les dépenses d’entretien comme l’habillement
    * les accidents du travail déclarés (après 1898)

    Voici le lien vers l’histoire de Jeanne, née en 1898 de parents inconnus : http://www.genealogiegometzlechatel.fr/exposes/doc/bio/Jeanne%20et%20enfants%20assist%C3%A9s.pdf

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  • Louées de travailleurs saisonniers en Cevennes 21 février 18:53, par ELSIE ZASTRIZNY

    Il y a dans les Cévennes un minuscule hameau, le hameau des Ayres, en plein cœur de la châtaigneraie lozérienne. Il se trouve à un petit col, à cheval sur deux communes : St André de Lancize et St Hilaire de Lavit. Situé sur une draille où, autrefois, passaient muletiers, marchands, et bergers. C’est un lieu de foires réputé pour ses "loues" où les journaliers - bergers, valets, servantes, batteurs de blé, ramasseurs de châtaignes...- venaient chercher du travail. "Il y avait trois loues, une « la petite loue » le dernier dimanche de septembre et « la grande loue » les deux dimanches suivants, en octobre. Dans le village de Barre des Cévennes il existe encore une place qui s’appelle « la place de la loue », située à l’entrée nord-ouest du village. En ce lieu se tenait, lors des grandes foires de printemps et d’automne, la « loue » des journaliers, des bergers, des domestiques, des scieurs de long, des sabotiers, des servantes etc…Beaucoup d’entre eux venaient de la Haute Auvergne ou du nord du Gévaudan. Pour leurs employeurs ces travailleurs saisonniers représentent une main-d’œuvre docile et efficace qui fournit un travail bien fait à des prix concurrentiels.
    Lors d’une étude que j’ai réalisée j’ai pu constater que, en Cévennes, ces migrations saisonnières ont été accompagnées par un mouvement de sédentarisation. Elles favorisent l’habitude de l’éloignement. L’appartenance géographique à plusieurs lieux de vie fait partie intégrante de la vie des migrants. La séparation de la cellule familiale devient plus naturelle. Les liens avec le pays d’origine finissent par se distendre. Dans l’intervalle des saisons, certains ne rentrent plus au pays. Au lieu de retourner dans leurs montagnes certains trouvent à se louer à l’année comme berger ou domestique. Les femmes se placent comme servantes, ou trouvent du travail dans les filatures. Ce mouvement de sédentarisation est la conséquence de la découverte d’une sécurité financière, de meilleures conditions de vie, ou de l’opportunité d’une promotion sociale. D’abord subie, la migration devient migration voulue et transplantation. Une nouvelle vie commence.
    Il est difficile de déterminer au bout de combien de temps ces travailleurs saisonniers se sédentarisent dans la paroisse qui les a accueillis, s’intègrent à la population locale, se marient avec un(e) migrant(e) originaire de la même région qu’eux ou même avec un(e) cévenol(e). Le mariage avec une autochtone est sans doute un moment clef de la vie du migrant, aboutissement d’un processus qui a parfois commencé par plusieurs périodes de migrations saisonnières ou par de nombreuses années de travail en Cévennes. Après deux ou trois générations ils oublient leur origine et sont considérés comme faisant partie de la population locale.
    De nombreux actes notariés et des actes d’état civil (baptêmes, mariages) attestent la présence de ces travailleurs saisonniers en Cévennes. Présence parfois temporaire.
    Etat civil de la paroisse de Valleraugue (Gard) : 14 avril 1779 Baptême de Pierre Pouget né le 12 courant, fils naturel et légitime de Pierre Pouget scieur de long et d’Elisabeth Pougette mariés de la paroisse de Maurine diocèse de St Flour, demeurant depuis quelque temps au lieu de Ardailles, le parrain a été Antoine Pouget, Berger, oncle maternelle du baptisé, la marraine Marguerite Chauvette
    D’autres s’installent définitivement. Un exemple parmi tant d’autres nous permet d’illustrer ce cheminement :
    Etat civil de la paroisse de St Jean du Gard : « Jean Sadoul, cardeur à la journée, originaire de Sarrus (Fridefont), diocèse de Saint-Flour, établit un contrat de mariage avec Louise Perier (originaire de Saint-Flour-du-Pompidou) le 5 juillet 1704. Ce contrat précise qu’il habite les Cévennes (Saint-Jean-de-Gardonnenque puis Saint-Martin-de-Corconac) « depuis plus de 18 ans. »
    On retrouve leurs traces dans les BMS mais aussi dans les actes notariés. Certains d’entre eux ont été nos ancêtres.
    Se déplaçant à pied, à dos de mulets ou d’ânes ils ont quitté le pays qui les avaient vus naître. Ils ont connu le déracinement et toutes ses souffrances, le froid, la peur, la faim peut-être. La fatigue sûrement, contraints à un dur labeur pour pouvoir survivre. Ils ont poussé la charrue, manié la faux, la pioche ou la truelle. Sabotiers, laboureurs, brassiers, tisserands, cardeurs de laines, maçons, bergers, servantes ou filandières. Il fallait être courageux pour laisser sa famille, son hameau, sa paroisse. Réaliser de façon périodique un voyage long et périlleux sur des sentiers souvent difficiles, adopter des habitudes différentes demande un esprit entreprenant et du courage. Je pense avec émotion à ce cortège d’hommes et de femmes qui se reformait chaque année à la fin de l’automne et descendait vers nos Cévennes pour offrir leur seule richesse : leurs bras. Après des mois de labeurs, exploités certainement, ayant économisé sou par sou pour se constituer un maigre pécule ils repartaient retrouver leur famille, leur pays, leurs habitudes. Après avoir lu des centaines de pages d’actes notariés, compulsé les registres BMS de plusieurs paroisses je ne peux plus les oublier.
    Témoignage précieux, ces documents, qui peuvent paraître rébarbatifs, fourmillent de vie. Une vie simple, rude, qui a été celle de nos ancêtres. Anecdotes émouvantes, amusantes, parfois tragiques que l’on découvre au fil des pages. Ce sont nos racines, c’est notre histoire, l’histoire « des inconnus de la terre » l’histoire de notre belle région des Cévennes, l’histoire de notre patrie : la France.

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  • Merci pour ces précisions concernant ces loueries de domestiques, dont j’ignorais cette "institution", ancêtre de France travail ...
    Cordialement

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  • j’ignorais les termes de louerie de domestiques, de louée, et ne m’étais pas posé la question du mode de tractation précis amenant une personne à devenir le domestique d’un propriétaire, dans le monde agricole. encore moins établi un lien avec certaines foires. Et pourtant,par chez moi, il y en eût, des domestiques. Un ami, aujourd’hui décédé, me parlait d’un employé de la ferme, dans les années 60 -70, en disant qu’il y était domestique. peut-être cet usage perdurait peut-être encore sous cette forme. Merci pour l’information.

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  • Je précise que l’on peut trouver beaucoup de renseignements sur les domestiques dans les recensements. Dans mon histoire familiale, mes ancêtres du Limousin étaient tous presque des journaliers ou des domestiques agricoles, (avant d’être des « colons »), et c’est comme ça que parfois les couples se formaient. C’est le cas de mes grands-parents paternels . C’est dans un recensement que je les ai vus tous les deux, bien avant leur mariage, l’une employée en tant que servante et l’autre en tant que domestique dans une ferme.

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    • Bonjour. En ville cela existait aussi. A Reims, il existe une place avec un statue équestre de Louis XV. On venait chercher la main d’oeuvre nécessaire aux tâches proposées. On appelait ces hommes (pas de femmes) du nom de la statue, c’est-à-dire des Louis XV. Leur faible niveau de vie et leurs pauvres vêtements ont fait que la notion de mendiant les a vite rattrapés, ce qui fait que l’appellation a désigné des mendiants.

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