Dans l’Alsace toute proche des Vosges, le tenancier d’une grosse exploitation en métayage pour le compte d’un seigneur ou propriétaire non résidant pouvait s’appeler un Meyer (ou Meier, Maier, etc.)
Ce mot est l’adaptation germanique du latin major qui a donné en français le mot "maire."
Le Meyer du village se confondait souvent avec le Schultheiss (ou Schultz), le "responsable", c’est-à-dire l’officier seigneurial, appelé dans d’autres régions "prévôt" ou "consul" ou "maire" justement. Il était chargé de gérer les affaires courantes d’édilité et de basse justice, et présidait au conseil et tribunal du village siégeant une fois l’an au moins avec ses assesseurs (Schöffen, "échevins") dans sa ferme (dite Meyerei ou Schultzhof ou Dinghof). Cette structure sociale et administrative est restée en place jusqu’à la Révolution.
Accessoirement, le mot Meyer, hérité du Moyen-Âge, est devenu un nom de famille extrêmement répandu dans les pays de langue allemande : on dit souvent par plaisanterie que la moitié des Alsaciens s’appellent Meyer, l’autre moitié répondant au nom de Muller (le meunier).
Il me semble que ce "maire" vosgien est en effet le "consul" ou le "prévôt" du village, et peut-être en même temps un métayer seigneurial.
Quant à l’adjectif "moderne", il ne me semble pas qu’il soit le signe d’une quelconque modernité dans les pratiques agricoles ou politiques.
Il faut sans doute le comprendre au sens d’"actuel", par opposition à "ancien" ou "précédent." C’est en tout cas le sens le plus fréquent de cet adjectif dans les textes littéraires de cette époque.
Peut-être ce "maire moderne" venait-il d’entrer en fonction au moment de la rédaction de l’acte, à moins que cette désignation ne serve à le différencier de son prédécesseur encore en vie. Cette précision n’était pas subsidiaire dans la mesure où l’officier seigneurial était nommé par le seigneur (et non élu par le village), et que la fonction était parfois héréditaire ou reconduite dans la même famille sur plusieurs générations. Or, de père en fils aîné, les homonymies de prénom étaient très courantes, notamment chez les notables de village.
Enfin, dans les actes alsaciens des XVIIe et XVIIIe s., qu’ils soient rédigés en latin ou en allemand, on trouve fréquemment ce type de précision chronologique : on apprend dans tel acte de décès que M. Untel était olim praetor loci ("autrefois prévôt du lieu"), ou d’un autre qu’il est le heutige Meyer allhier (actuellement maire du lieu).
D’ailleurs, d’autres noms de familles alsaciens ou allemands forgés sur Meyer m’évoquent votre "maire moderne", comme Neumeyer ("le nouveau maire", par opposition à Altmeyer) ou encore Jungmeyer. Mais peut-être s’agit-il seulement de surnoms dans ce cas : Meyer-le-jeune ?
Je ne sais pas trop ce que vaut cette comparaison avec l’Alsace, mais l’analogie vaut d’être notée. Certes, les Vosges (le département actuel) sont séparées de l’Alsace par la montagne vosgienne et l’étaient plus encore autrefois par la barrière de la langue. Mais, depuis l’intégration de l’Alsace au royaume de France en 1648, les pratiques politiques et administratives y étaient tout à fait comparables, quel que soit le versant des Vosges (la montagne, cette fois). D’ailleurs, il existait en Alsace des seigneuries dont le seigneur pouvait être un noble lorrain, donc francophone, et bien sûr l’inverse était possible également.