Le premier document officiel dans la quête des origines de notre Ernest DOURLET peut être sa fiche matricule (Bureau recrutement Lyon Sud, année 1883, fiche n°226) : les informations y sont lacunaires : « présumé né en 1861 à Beauvais, Oise, fils de inconnus »… La recherche d’un acte de naissance à Beauvais autour de cette année1860 n’a pas abouti pour l’instant.
Ce document peut nous interroger quant au recensement militaire d’Ernest.
En toute logique s’il est né ou « présumé né » en 1861 il aurait dû faire partie de la classe 1881 or il est enregistré dans la classe 1883. S’est-il désintéressé volontairement ou pas de son recensement par l’autorité militaire ? Les TOUILLEUX, les agriculteurs chez lesquels il vit et travaille à Longes au hameau de Dézimieux (Rhône), devaient, de leur côté, montrer bien peu d’intérêt quant aux obligations militaires que leur « domestique » avait à remplir (AD Rhône, recensement Longes 1881).
Cinq ans auparavant, au recensement de 1876 (AD Rhône, recensement Longes 1876), Ernest vit déjà chez les TOUILLEUX au même lieu. Cela ressemble à un placement dans cette famille d’agriculteurs comme quantité de jeunes sans parents quelle qu’en soit la raison.
Son patron est Jean Pierre TOUILLEUX, célibataire, né en 1842 à Longes. Ce dernier vit avec sa mère Jeanne Marie REMILLIEUX, 59 ans, veuve de François TOUILLEUX.
Dans ce recensement de 1876 le patronyme d’Ernest est écrit « DOUGLAY » ; ce dernier a 14 ans et exerce le métier de berger. Cela correspondrait à son année de naissance présumée (1861).
L’interrogation cette fois-ci vient de la case « Nationalité/Lieu de naissance » ; l’agent recenseur a écrit puis barré le mot « frontière » avant de réécrire à côté « alsacien né en Alsace ». Pas de mention d’une naissance à Beauvais donc sur ce document.
Les renseignements fournis par les TOUILLEUX sur ce jeune berger qui est à leur service sont pour le moins imprécis : le nom DOURLET devient DOUGLAY, l’origine géographique est bien peu sûre, en témoigne la rature dans la case de droite…
Ernest est-il né dans l’Oise comme le dit sa fiche matricule avant de partir en Alsace durant sa prime jeunesse ? Quitte-t-il l’Alsace pour se retrouver dans le Rhône suite au Traité de Francfort du 10 mai 1871 comme des dizaines de milliers de Français qui ne souhaitent pas devenir allemands ? Si cela a été le cas, avec qui ?
Ernest effectue son service militaire de décembre 1884 à septembre 1887 (Bureau recrutement Lyon Sud, année 1883, fiche n°226).
Il ne semble pas retourner à Longes chez ses premiers patrons après le service. On le retrouve à Ampuis (Rhône) au hameau de Verenay en tant que cultivateur domestique chez les DURAND comme l’atteste le recensement de 1891 (AD Rhône, recensement Ampuis 1891) :
C’est en mairie d’Ampuis, le 21 novembre 1891, qu’il épouse Joséphine Françoise DUTAL, fille de maçon née à Ampuis et vivant à Verenay dans le même hameau que lui (AD Rhône, Etat civil Ampuis, mariage 1891) :
La date de naissance est bien entendue absente tout comme sa filiation : il est « présumé né en 1861 à Beauvais (Oise) fils de père et mère inconnus » ; l’acte de mariage reprend en fait les informations de l’acte de notoriété nécessaire au mariage et établi en mairie d’Ampuis le 11 septembre 1891 :
Ernest DOURLET « est dans l’intention de contracter mariage mais (…) se trouve dans l’impossibilité absolue de se procurer son acte de naissance pour le motif qu’il ignore en quel lieu il est né ».
« A cet égard les seuls renseignements qu’il puisse donner sont ceux énoncés sur son livret militaire qu’il nous a présenté lequel porte les mentions suivantes : Dourlet Ernest présumé né en 1861à Beauvais (Oise), fils de inconnus ».
Ces informations ne nous apprennent rien de bien nouveau par rapport à ce que l’on connaît déjà si ce n’est qu’en septembre 1891 son patron chez qui il travaille et loge n’est plus DURAND père et fils mais Jean-Baptiste BERNARD toujours à Verenay hameau d’Ampuis.
L’acte de mariage DOURLET / DUTAL précise qu’un contrat de mariage a été passé devant le notaire de Condrieu (Rhône), Me Brossy, le 20 juin 1891 (AD Rhône 3E38219).
Peu d’originalité dans ce contrat, chacun des époux amène cent francs dans le ménage ; par contre l’information inattendue et surprenante provient de l’état civil d’Ernest au début de l’acte :
« … ont comparu M Ernest DOURLET, cultivateur, demeurant à Verenay commune d’Ampuis, majeur, fils légitime de Ferdinand DOURLET et Louise ARDOUIN, tous deux décédés… » !!!
Ainsi donc Me Brossy a connaissance des parents d’Ernest !!! Par quel moyen ? Document fourni par le futur marié ? Déclaration orale ?
Pourquoi cette filiation n’a-t-elle pas été annoncée à l’autorité militaire au moment du recensement ? Ne pouvant être prouvée est-ce la raison pour laquelle elle ne figure pas dans l’acte de mariage et dans l’acte de notoriété (ce dernier étant toutefois nécessaire pour pallier à l’absence d’acte de naissance) ? Ernest n’aurait donc pas été en possession d’un document officielle l’attestant.
Autre énigme (secondaire celle-là) sur cet acte : Ernest signe en bas de celui-ci d’une écriture malhabile certes, mais il signe, alors qu’à la mairie pour son mariage il déclare ne pas savoir signer …
Les premières recherches de ce couple Ferdinand DOURLET / Louise ARDOUIN ne donnent rien. De longues investigations dans les registres de recensement et de l’Etat civil de l’Oise permettent toutefois de découvrir une Louise ARDOUIN qui vit en 1851 à Fontaine Chaalis (6 km à l’E de Senlis, Sud-Est de l’Oise) (AD Oise, Recensement Fontaine-Chaalis, 1851).
Elle s’avère être née à Creil (12km au NO de Senlis) et être enregistrée avec le prénom de Rosalie à l’Etat civil (AD Oise, Etat Civil Naissances Creil, 1846).
Rosalie (Louise) ARDOUIN, ° Creil (Oise) 16/08/1846, + Creil 01/06/1900.
Fille de Antoine Joseph ARDOUIN, manouvrier, journalier, ° Humbercourt (Somme), + av 1856 et de Aspasie (Rosalie) PERET, ° Fontaine-Chaalis 09/04/1807, + ap 1872 ; parents mariés à Fontaine-Chaalis 30/09/1837.
Rosalie (Louise) ARDOUIN a trois frère et sœurs :
• Joseph Isidore, ° Borest (Oise) 05/07/1838
• Rosalie, ° Fontaine-Chaalis 06/03/1841
• Augustine, ° ca 1842
Au recensement de 1861 (année présumée de la naissance d’Ernest DOURLET) elle vit seule avec sa mère à Fontaine-Chaalis (AD Oise, Recensement Fontaine-Chaalis, 1861) :
Rosalie (Louise) ARDOUIN épouse le 27/03/1865 à Fontaine Chaalis Raymond LAVOISIER, chaudronnier, plombier, ° Boulogne sur Mer (Pas de Calais) 08/04/1839, + Creil (Oise) 07/02/1897. Sept enfants naissent de leur mariage :
• Marie Amélie Reine, ° Compiègne (Oise) 06/08/1865
• Georges Eugène , ° Compiègne 20/09/1867
• Jeanne, ° Creil (Oise) 1868
• Augustine Jeanne, ° Creil 03/10/1870
• Zélia, ° Rantigny (Oise) 27/11/1876
• Raymond, ° Rantigny 01/05/1879
• Louise, ° Rantigny 15/12/1881
La même investigation est menée en parallèle pour tenter de découvrir un Ferdinand DOURLET dans l’Oise. Ce nom et ce prénom sont repérés à Creil en 1851.
AD Oise Recensement Creil 1851 :
La consultation de l’Etat civil montre que Ferdinand est un pseudonyme, les prénoms officiels étant Louis Narcisse. Il est né dans l’extrême NE de l’Oise à Beaulieu-les Fontaines en 1842. (AD Oise, Etat Civil Naissances Beaulieu-les-Fontaines, 1842) :
Louis Narcisse (Ferdinand) DOURLET, °Beaulieu-les-Fontaines 29/01/1842, + Saint-Quentin (Aisne) 07/03/1887 ;
Fils de Jean Louis Pierre DOURLET, °Beaulieu-les-Fontaines ca 1808, + Béthancourt-en-Vaux (Aisne) 21/03/1853 et de Marie Jeanne COLLETTE , Paris Hospice des enfants trouvés °ca 1810, + Creil (Oise) 27/03/1852.
Louis Narcisse (Ferdinand) a neuf frères et sœurs. Que deviennent-ils - au moins les plus jeunes – au décès de leur mère en 1852 ? et Louis Narcisse, où est-il au recensement de 1861, année présumé de la naissance d’Ernest ? Impossible de les localiser pour l’instant :
• Marie Adèle Elvire, ° Beaulieu-les-Fontaines 07/03/1830
• Désiré, ° Beaulieu-les-Fontaines 25/03/1832
• Marie Adélaïde Armance, ° Beaulieu-les-Fontaines 15/02/1834
• Jules Eugène Narcisse, ° Beaulieu-les-Fontaines 30/09/1835
• Antoine François Victorice Léger, ° Beaulieu-les-Fontaines 15/3/1837
• Marie Rose Elvire, ° Beaulieu-les-Fontaines 11/06/1840
• Adolphe Charles Alexandre, ° Mareuil-la-Motte (Oise) 24/11/1845
• Adolphe Henry, ° Clermont (Oise) 29/01/1847
• Virginie, ° ?, ca 1848
Louis Narcisse (Ferdinand) DOURLET épouse le 21/03/1870 à Oullins (Rhône) Louise Augustine STENEGRIS, ° ca 1839, + ap 1900 Belgique ( ?). Ils déclarent habiter rue du Four à Chaux à Oullins et travaillent tous les deux dans une fabrique d’encre. Au moment de leur mariage ils légitimisent deux enfants qu’ils ont déjà ensemble :
• Adèle, ° Sourdeval (Manche) 30/11/1867
• Blanche, ° Villenauxe (Aube) 25/02/1869
Naissent après leur mariage :
• Louise Azéline, ° Baives (Nord) 02/12/1870
• Ferdinand, ° Bourg-de-Péage (Drôme) 26/01/1872
• Ferdinand, ° Clermont-Ferrand (Puy de Dôme) 16/08/1878
• Ferdinand, ° Brillon-en-Barrois (Meuse) 23/06/1883
Comme en témoignent ces naissances très dispersées, Louis Narcisse (Ferdinand) DOURLET et Louise Augustine STENEGRIS ne sont pas fixés en un lieu géographique. Ce sont des itinérants et les enfants naissent dans leur voiture au gré de leurs périples. Ils exercent différents métiers : souffletier, saltimbanque, étameur, fabricant d’encre, opticien pour Louis Narcisse ; marchande de papier à lettres, fabricante d’encre, chanteuse ambulante pour Louise Augustine…
Faisons donc le point des connaissances actuelles :
Ernest DOURLET est présumé né en 1861 à Beauvais dans l’Oise de parents inconnus (informations du registre militaire). On le retrouve dans le département du Rhône en 1876 placé/laissé (?) dans une famille d’agriculteurs. Il a 14 ans et est dit originaire d’Alsace dans le registre du recensement de population.
Contre toute attente Ernest est dit « …fils légitime de Ferdinand DOURLET et Louise ARDOUIN, tous deux décédés… » dans son contrat de mariage rédigé chez le notaire de Condrieu en 1891.
Deux personnes répondant à ces deux noms/prénoms ont bien été retrouvées dans l’Oise, contemporaines de notre Ernest et ayant vécu à un moment donné de leur enfance dans un même espace géographique autour de Senlis (Creil, Fontaine-Chaalis).
Si tel est le scénario notre Ernest a-t-il été abandonné à la naissance ? A Beauvais, à une cinquantaine de km de Senlis ? Il porte le nom de DOURLET, son père l’a-t-il reconnu et fait enregistrer à l’Etat civil ?
Le notaire de Condrieu en 1891 a-t-il connaissance des parents d’Ernest par un document fourni à ce moment-là ? Lequel ?
Beaucoup de point d’interrogation et assez peu de certitudes demeurent quant aux quatorze premières années de vie d’Ernest. La série X des archives de l’Oise (assez lacunaire) n’a pas révélé d’Ernest DOURLET abandonné, trouvé ou assisté. Est-il passé par une colonie agricole comme celle du Mesnil-Saint-Firmin dans l’Oise ou celle d’Oullins dans le Rhône, il y en avait aussi dans la Loire… Cela semble tout à fait plausible puisqu’il se retrouve « berger » à 14 ans chez ces agriculteurs de Longes (Rhône) .
Ernest DOURLET et Joséphine DUTAL ont six enfants avant que cette dernière ne décède prématurément à l’âge de 35 ans à Givors (Rhône) le 17/12/1905 :
• Joseph, ° Ampuis (Rhône) 05/04/1892
• Louise Victoire, ° Ampuis 06/08/1893
• Victor Aimé, ° Saint-Cyr-sur-le-Rhône (Rhône) 17/02/1895
• Marius Joannes, ° Ampuis 09/02/1896
• Antoine, ° Grigny (Rhône) 17/01/1898
• Jean, ° Givors (Rhône) 05/03/1900
A la suite du décès de son épouse Ernest part à Vienne (Isère) avec ses quatre enfants (Victor Aimé et Marius Joannes sont décédés en bas âge). Il ne se remarie pas. Il y décède rue Druge en 1933.
Nous avons commencé dans le flou de son origine, terminons de même ! Il a transmis à ses enfants qu’il avait été abandonné dans un tour. Je me souviens de sa petite fille, ma grand-mère, l’évoquer lorsque j’étais enfant…
Qui pourrait m’aider à éclaircir la naissance d’Ernest DOURLET et les quatorze premières années de sa vie ?
Merci à tous pour votre aide...