- Henriette Sain-Laurent à 18 ans
C’est le cas de la grand-mère de mon épouse, restée à ce jour une parfaite inconnue malgré son identité déclarée : Odette Saint-Laurent. Nous ne savons rien de plus que ce que contient l’acte de naissance de sa fille et que je résume ainsi. Le 5 février 1903 est née 92 rue Daguerre à Paris, Henriette fille de Odette Saint-Laurent âgée de dix-huit ans, modiste, 21 rue Cujas à Paris 5e et de père non dénommé. Déclaration à la mairie du 14e arrondissement de Paris faite par la sage femme Cécile Esprit femme Mourier âgée de 29 ans, sage femme 92 rue Daguerre, présente à l’accouchement, en présence de Maria Mauviel âgée de 27 ans domestique 92 rue Daguerre, et de Marie Perier, veuve Mourier, âgée de 72 ans, rentière, même adresse.
- Acte de naissance de Henriette Sain-Laurent (bureau de l’état civil, mairie du XIVe arrondissement de Paris
Nous avons cherché, sans résultat. D’abord, tout logiquement, aux Archives de Paris une éventuelle naissance de Odette Saint-Laurent vers 1884-85 : rien. Bien entendu, nous avons mis Internet à contribution : de Généanet à Filae, en passant par Family Search et bien d’autres, toujours sans résultat.
Nous avons obtenu aux Archives de Paris le dossier d’enfant assisté de Henriette Saint-Laurent. Il contient des documents relatifs à ses différents placements et pour l’essentiel les nombreux courriers échangés entre la pupille et l’administration au sujet de sa mère, car Henriette a sans cesse tenté de retrouver la trace de cette maman inconnue.
Un document précise : « abandonnée par la mère. Refuse renseignements. Intermédiaire de la sage femme », et PV du commissariat de Montparnasse. Un petit tour aux archives de la Préfecture de police me livre le constat enregistré sur la main courante le 7 février, et reprenant les éléments précédents précise « Abandon d’enfant, la dite St Laurent abandonne son enfant en raison de la misère, dit-elle, dans laquelle elle se trouve ».
- Le relevé des contrôles : le seul document officiel trouvé dans le dossier d’abandon.
L’enfant arrive au contrôle de Dampierre (Allier) par convoi du 8 février, et est placée à Beaulon (Allier) dans une première famille qui la gardera jusqu’au 31 mars ! Suivra une deuxième famille, une vraie celle-là dont elle conservera un très bon souvenir, et correspondra longtemps avec le « père Gin » . Nous avons quelques lettres émouvantes. Le décès de Madame Gin entraînera son retrait (elle a alors douze ans) et son placement chez la receveuse des postes du lieu.
- Carte postale de Beaulon (Allier) vers 1911. Henriette Saint-Laurent est la fillette tout à fait à gauche.
Et là se situe ce que l’on pensait être une énigme, mais qu’une lecture attentive des courriers obtenus permet d’expliquer. Après avoir obtenu son certificat d’études primaires en juillet 1914, elle est placée comme bonne jusqu’en septembre 1918 où l’Administration l’envoie... à Paris, chez une famille d’ingénieurs à Clichy (Hauts de Seine). Ce traitement inhabituel pour les enfants assistés qui restaient généralement sur place, employés dans une ferme ou pour les plus chanceux placés en apprentissage chez un artisan, s’explique par un échange de lettres entre l’épouse de cet ingénieur clichois et le directeur suivant lesquelles il apparaît que cette personne visitant une parente à Beaulon a connu Henriette Saint-Laurent, l’a appréciée, et a eu l’idée de la prendre avec elle moyennant un transfert au contrôle de Paris. Opération acceptée, à condition que la « petite » âgée seulement de quinze ans soit accompagnée durant ce voyage, et c’est ainsi qu’elle passe d’une modeste bourgade de l’Allier à une ville jouxtant la capitale, et à une adresse de prestige au niveau local : les allées Léon Gambetta sont les Champs Elysées de Clichy.
Henriette y sera très heureuse, sera amenée à connaître des amies de cette famille avec lesquelles elle se liera d’amitié jusqu’à choisir parmi l’une d’elles la marraine de sa première fille. Car c’est là qu’en faisant les courses dans les boutiques voisines elle fera la connaissance d’un jeune chef boucher chez Félix Potin, qu’elle épouse en 1922, fondant une famille de trois enfants.
Voilà en résumé l’histoire de Henriette Saint-Laurent qui a toujours espéré trouver un jour cette maman qui, pour une raison inconnue, l’a abandonnée immédiatement après l’avoir mise au monde. Et sa deuxième fille, mon épouse, tout autant désireuse de percer le mystère de cette grand-mère, aimerait enfin savoir, ne serait-ce que pour prolonger le souhait de sa mère aujourd’hui disparue.
Retrouver la piste de cette Odette Saint-Laurent née en 1884-85 puisque âgée de dix-huit ans en février 1903, serait un immense bonheur pour sa petite fille. Nous avons pensé à une autre possibilité passant par la sage femme, Cécile Esprit, qui détenait peut-être la clé de l’énigme dans ses dossiers ; 115 ans plus tard, la seule ressource viendrait de ses descendants qui auraient pu conserver ses archives ! Hypothétique !
Et dernière hypothèse coupant court à toute recherche : aucune référence à une pièce d’identité ne prouve la véracité du nom Saint-Laurent qui pourrait très bien être un nom d’emprunt, histoire de brouiller les pistes définitivement et rendre impossible toute percée du secret. Car il y a bien eu une volonté évidente de ne livrer aucune information, même minime, qui permettrait de savoir. Secret de famille sans doute.
Alors, si vous, fidèles lecteurs de la Gazette, trouvez le moindre renseignement concernant ce mystère, nous vous serions infiniment reconnaissants de nous en faire part...
Un grand merci par avance.