Alors que j’effectuais des recherches sur mes ancêtres Haincque, j’envoyais un jour un message au forum Héraldique et noblesse, cette famille ayant été anoblie au 18e siècle. Quelques jours plus tard, je reçus avec surprise une réponse de Frédéric Michel, professeur de musique me disant : « Je fais partie d’un groupe de musicologues faisant des recherches sur Sébastien Le Camus, compositeur de Louis XIV, et Marthe Haincque de St Jean, qui fut sa compagne, et est probablement une des filles de votre ancêtre Adrien Haincque. Nous avons trouvé aux archives nationales, plusieurs documents la concernant, ainsi que ses frères et sœurs, et si cela vous intéresse nous pouvons vous les communiquer ! » C’est ainsi que grâce à Frédéric, commença pour moi la magnifique découverte de l’histoire de Sébastien et de Marthe que je n’aurais jamais pu connaître autrement !
Adrien I Haincque et Marguerite Loyret son épouse, étaient originaires de Picardie. Grenetier au grenier à sel de Granvilliers, il quitta la Picardie avec sa famille pour s’établir en Touraine. C’est probablement après 1635 qu’ils s’installèrent à Loches, ville où résidaient déjà certains de leurs ancêtres, un Haincque signant les registres de Loches dès 1571 [1].
Ils eurent 7 enfants qui survécurent, un taux très élevé pour l’époque. Leurs deux fils Adrien II et Alexandre furent pourvus d’offices et restèrent en Touraine, alors que leurs 5 filles, pour une raison que j’ignore, vinrent à Paris où certaines s’y marièrent et où elles vécurent toutes jusqu’à leur mort. Anne épousa en 1652 Pierre Dupin violoniste de Louis XIV. Pierre Dupin connaissait un musicien et compositeur reconnu : Sébastien Le Camus.
Sébastien Le Camus (vers 1610-1677) fut un brillant musicien, joueur de viole et de théorbe. En 1648, il était intendant de la musique de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, et en 1660 maitre de la Musique de la jeune reine Marie-Thérèse d’Autriche. En 1661, il est nommé musicien ordinaire de la Chambre de Louis XIV. Il participa à des ballets de cour dans lesquels jouaient les 24 violons du roi, orchestre formé par Lully avec les meilleurs instrumentistes du roi. Il composa de nombreux airs de cour qui eurent beaucoup de succès. Raffiné, conçu pour des auditoires restreints, l’air de cour ne peut être séparé de l’art du chant français qui atteint alors son apogée.
C’est peut-être grâce à son beau-frère violoniste que Marthe rencontra Sébastien le Camus, dont elle put être l’élève, car elle était certainement musicienne et chanteuse.
À cette époque l’interprétation d’airs chantés occupe une place importante dans la bonne société, à la cour comme à la ville on vit en musique [2]. Mme de Sévigné, amie de Le Camus, dira « Le Camus m’a prise en amitié ; il dit que je chante bien ses airs » [3].
Vers 1661, Marthe (1618-1694) rentra dans sa vie, et ce fut probablement un vrai coup de foudre, car pour elle il abandonna femme et enfant. Ayant laissé sa femme Geneviève Baudran sans ressource, il fut condamné à lui verser une pension importante.
Sébastien et Marthe vivront au Grand Arsenal à proximité du Marais et de leurs salons, lieu de foisonnement intellectuel. Ils occuperont un grand appartement situé au-dessus de celui du grand Maitre de l’Arsenal, le duc du Lude, un de leurs nobles amis.
À sa mort en mars 1677, est établi un inventaire après décès [4] très détaillé qui donnera lieu pendant un mois à des scènes dignes d’un vaudeville entre l’épouse bafouée venue sur les lieux pour la circonstance, et Marthe de St Jean. Cet inventaire passionnant, nous décrit un certains nombres de tableaux non signés, représentant le défunt, et un tableau de Marthe Haincque de St Jean, tableaux dont nul n’avait jamais trouvé la trace.
Or, un jour, je reçus un mail de Frédéric Michel dont l’objet était le tableau de Marthe. Avant de procéder à la lecture, je restai dubitative, n’osant croire qu’il avait pu retrouver le tableau ! Mais je découvris que c’était bien le cas, en effet grâce au phylactère tenu par Marthe et à sa mention latine « Non carior altera phoebo » signifiant « aucune n’est plus chère à Phébus », il avait découvert que ce tableau se trouvait aux musées des beaux-arts de Rouen, tableau anonyme, répertorié à l’époque sous l’appellation « jeune fille en allégorie de la musique ».
- « Non carior altera phoebo »
- © Photo Michèle Blanquie
Sans parler de son intérêt pour les chercheurs, il est bien évident que, pour moi, cette trouvaille n’a été égalée par aucune autre !
Nous voyons sur ce tableau qu’elle tient une lyre ce qui indique qu’elle était musicienne, et sur sa robe nous voyons des portées et notes de musique.
- Marthe Haincque de Saint-Jean au musée des Beaux-Arts de Rouen
- © Photo Michèle Blanquie
Retrouverons-nous aussi les autres tableaux de Le Camus ?
Son inventaire nous les décrits avec précision comme suit :
- Un grand tableau peint sur toille repre[se]ntant le portraict dud. deffunt sieur Le Camus… assis sur une chaise, tenant un theorbe, ayant les jambes croisés l’une sur l’autre, auprès duquel est une table couverte d’un tapis de Turquye sur laquelle est une petitte violle aveq son archet et un livre de musique, garny de sa bordure de bois.
- Puis nous trouvons 2 tableaux peints par le célèbre portraitiste Claude Lefebvre qui réalisa maints tableaux de la famille royale, et des membres de la cour.
- Un tableau peint sur toille… [à my corps barré] assis et composant et tenant un livre de musique et une plume de l’autre, garny de sa bordure de bois doré à feuillage, lequel tableau a dit avoir esté fait par led. deffunt Fevre, peintre, dernier deceddé.
- Mr Le Camus jouant de la violle sur pied en grand portrait. Ce dernier tableau, fut exposé lors du salon de 1673, où les membres de l’académie royale présentèrent au Palais Royal certaines de leurs œuvres. Il est mentionné comme tel dans la liste des œuvres exposées [5] lors de ce salon, et dans l’inventaire après décès du peintre [6].
Ces tableaux anonymes peuvent avoir traversé le temps, être en France ou à l’étranger, dans des musées où tant de portraits présentés restent inconnus des conservateurs, ou bien encore dans des collections privées. Si les probabilités de les retrouver restent minces, personne, il y a encore peu de temps encore, n’aurait pensé pouvoir retrouver le tableau de Marthe Haincque de St Jean, alors qui sait ?
Peut-être connaissez-vous l’un de ces tableaux ?
Merci pour votre aide et toutes informations...