- Acte de décès de René Julien Bulenger
Je lance donc une recherche internet sur ce cousin. Apparaissent alors des correspondances avec des journaux parisiens de l’époque sur Gallica et Retronews. Le Rappel, Le Voltaire, Le XIXe siècle et La Justice publient tous les trois, à la date des lundi 28 et mardi 29 mai 1900, le même fait divers, qui a pour titre "Mort mystérieuse d’un soldat". J’y apprends que le corps de mon cousin, soldat affecté à Vincennes, ville de garnison de la petite couronne parisienne, a été repêché dans la Seine, dans le 16e arrondissement, une semaine environ après que sa disparition ait été signalée. Même si aucun papier et aucun argent n’a été retrouvé sur le corps, il a pu être identifié grâce au numéro de matricule cousu sur l’uniforme que portait René, identification confirmée ensuite par son beau-frère, un sergent et un caporal du même bataillon que René. L’article précise également qu’il manquait le sabre militaire que Jean devait porter avec son uniforme alors que le fourreau était encore attaché au corps. Que s’est-il passé ? Homicide ? Chute accidentelle ? Suicide ? Je suspecte, pour ma part, une mauvaise rencontre nocturne.
- La Justice, Mardi 29 mai 1900, p.3
Le registre des matricules de la Mayenne ne m’apporte aucune information sur son décès. Je peux juste me faire une idée de son aspect : blond aux yeux bleus d’1m60. Une physionomie qui laisse envisager une proie facile pour des individus mal intentionnés.
Comme l’autopsie a été réalisée à l’Hôpital militaire du Val-de-Grâce, je contacte les archives médicales de l’armée pour savoir si je peux consulter le rapport d’autopsie. Malheureusement, ces archives ne peuvent pas m’aider car le décès n’est pas assez récent.
Puis, en recherchant de nouvelles sources documentaires, j’apprends qu’on peut consulter les archives de la Préfecture de Police de Paris. Ces archives ne sont, hélas, pas numérisées. Il faut se déplacer dans leurs locaux, au 25-27 rue Baudin au Pré-Saint-Gervais, en petite couronne parisienne, pour les consulter. Est-ce que le déplacement vaut le coût ? Vous allez voir que oui, si vous savez exactement ce que vous cherchez (un nom, une date, une adresse).
Sur place, le moteur de recherche des archives, à consulter avant toute recherche physique dans les archives à proprement parler, donne des résultats composés de côtes d’archives, sans descriptif. C’est tout bonnement inutilisable en l’état dans le cadre de recherches généalogiques pour un public non archiviste. Heureusement, le personnel présent est très disponible et fait tout pour vous aider. En les sollicitant, il vous aide à orienter vos recherches vers les "bonnes" archives.
Après avoir consulté le registre de la morgue (sans résultat pour moi car, je vais le découvrir plus tard, le corps de René a été refusé par la morgue lorsqu’il a été présenté), on me conseille, puisque j’ai un nom, une date et une adresse, de consulter la série C, et plus particulièrement la sous-série CB : Répertoires analytiques et mains courantes. Cette sous-série répertorie tout ce qui a été fait dans les commissariats parisiens, depuis environ la fin du XIXe siècle au début du XXIe siècle. C’est une sorte de "carnet de bord" de chaque commissariat parisien. Il est indispensable de connaitre l’adresse de l’événement recherché pour pouvoir, avec l’aide du personnel des archives, l’associer au commissariat le plus proche, où l’événement a probablement été enregistré dans son registre des mains courantes. Les registres sont extrêmement bien tenus et très complets. Comme vous allez pouvoir le constater, ce sont des mines d’informations pour les généalogistes. En ce qui me concerne, j’y apprends tout ce que je cherche et peut aisément imaginer une reconstitution de ce qui s’est passé après le dîner.
- Registre des mains courantes du commissariat de Chaillot, 16e arrondissement de Paris
- Registre des mains courantes du commissariat de Chaillot, 16e arrondissement de Paris
Selon son beau-frère, René "avait sur lui 10 à 15 francs dans un gros porte-monnaie en cuir gris, très usagé, avec fermoir en cuivre" lorsqu’il a quitté le dîner. Ceux-ci n’étaient pas sur le corps repêché une semaine plus tard. Associé aux faits que l’autopsie indique que René s’est noyé et que son corps, et particulièrement son visage, portaient des traces de traumatismes, on peut penser que René s’est fait agresser en allant prendre le tramway pour rentrer à la caserne de Vincennes. Il est probable que ses agresseurs en voulaient à son argent. René est ensuite tombé dans la Seine et s’y est noyé. Est-ce une chute ? Est-ce que ses agresseurs l’ont poussé volontairement ou involontairement ? On ne le saura probablement jamais car je n’ai pas trouvé trace de plainte déposée ou d’enquête ouverte concernant le décès de René.
Au vu de la qualité et de la quantité des informations obtenues grâce aux Archives de la Préfecture de Police de Paris, je ne peux que conseiller de s’y rendre si vous vous interrogez sur un événement particulier qui s’est déroulé à Paris et qui pourrait avoir été enregistré dans le registre de la morgue ou dans un registre des mains courantes d’un commissariat. A condition, encore une fois, d’avoir un nom, une date et une adresse pour les registres de mains courantes. Sinon, ces archives étant si denses, cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin.
La mort mystérieuse du soldat n’était malheureusement pas si mystérieuse que cela...