Mais dans beaucoup de paroisses, ces livres sont aussi le confident du prêtre qui, en véritable « journaliste » local, note dans les actes, dans les marges ou sur les feuillets restés blancs des mentions insolites, événementielles, sur le temps, les récoltes, les fléaux, la fluctuation des prix, les faits divers, les naissances ou les sépultures extraordinaires et bien d’autres sujets encore…
Seule une longue et harassante lecture systématique du registre permet de découvrir au fil des pages et des actes cette extraordinaire et si précieuse chronique du quotidien. La collecte et l’utilisation de ces textes complémentaires à une recherche historique ou généalogique demeurent pleines d’enseignements pour ceux qui veulent approfondir l’histoire de leur commune ou la connaissance de leurs ancêtres.
Ainsi, depuis plus de vingt-cinq ans, et toujours avec le même plaisir, je parcours régulièrement les registres originaux (et maintenant numériques) dans une lecture intégrale et transversale, de la première à la dernière page, en quête de ces anecdotes du temps passé. Que de déception souvent, mais que de bonheur parfois à la découverte d’annotations inattendues. J’ai depuis longtemps pris l’habitude de les transcrire, de les indexer puis de les classer selon les thématiques de mon choix. Travail de fourmi, car il reste encore bien des mentions insolites inédites à tirer de l’oubli. Mais travail indispensable pour qui à la passion de l’histoire, aussi indispensable que le dépouillement des registres pour en dresser l’inventaire des noms de famille.
Que l’on en juge avec l’acte de décès ci-dessous, l’un de mes préférés !
Le récit de la mort d’un ancêtre
Louys Demont dict Le Duc vigneron de Sainct Nizier aagé de quarante cinq ans après avoir expié ses pechez par le sacrement de penitance et donné toutes les marques d’un bon et veritable chrestien est deceddé et a esté enterré dans l’eglise de St Nizier tombeau de ses predecesseurs par moy curé soubsigné dudict lieu le dixièsme jour du mois de mars mil six cens septante et un. Ledict Demont est deceddé par un at etrange et funeste accidant dont le recit au vray est comme s’en suit. La nuict du neuf au dix de mars mil six cens septante et un environ la minuict un loupt loup naturel et sauvage que la plus part ont estimé estre loup enragé, d’autant que après l’accidant arrivé par le loup audict Demont plusieurs chiens, chèvres et autre bétail en ayant esté mordus en sont mort enragés ; cette ditte nuict à l’heure susdite ce loup estant entré dans l’estable dudict Demont par des ouvertures qui y estoient, et ayant blessé une de ses vaches, tant laditte vache blessée que les autres firent tels hurlement que le dict Demont jugeant bien qu’il y avoit quelque chose dans sa ditte estable dont son betail avoit peur et dont il pourroit estre endommagé, pourquoy il accourut en chemise sans armes et sans lumière, et ayant ouvert la porte de l’estable le loup en sortit en furie et rancontrant à la porte ledict Demont se guinda dessus luy, et se levant luy fit une morsure dangereuse dont il mourut trante six heures après. La morsure estoit de deux dantéés dont l’une estoit un peu derrière et au dessous de l’oreille gauche, mais l’autre estoit plus mortelle puisquelle luy a osté la vie, cette autre dentée estoit au dessous du col en montant, laquelle perça la trecheartère, et par laquelle playe il perdoit beaucoup de sang et en recevoit la respiration. S’yl a fait pitié pour l’accidant peu commun qui luy est arrivé, il a donné en peu d’heures qu’il a survécu de l’admiration à ceux qui l’ont veu dans son mal, sa patiance a esté sans pareille dans ses douleurs, ses santimens ont esté tous chrestiens, il a esté regretté pour sa bonne vie, elle fut douce et sa fin la fut ancor plus, et ceux qui l’ont assité et servy temoigneront comme je fais qu’il eut toujours une grande fermeté d’esprit et que sous l’habit d’un paysan la mort y trouva une âme genéreuse, et qu’il prononça des choses à l’avantage de la vie chrestienne qu’un grand docteur auroit paine d’en dire ou autant, imitons sa vertu et sa constance et prions Dieu pour son ame.
St-Nizier-sous-Charlieu (42) - Champfray, curé - AD - 3NUMRP5/1MIEC268X1 - BMS 1651-1674 - Vue 90/105.
Cet acte insolite remarquable m’a été communiqué par Paul Bernay. Louis Demont était son ancêtre. Pour la petite histoire, lorsque Louis est décédé, son épouse était enceinte, une fille Catherine est née deux mois après la disparition de son père.
Avec cet incroyable récit, on mesure bien l’intérêt historique et généalogique d’une mention insolite. En quelques lignes, Paul Bernay apprend beaucoup de choses sur son ancêtre : sa personnalité exemplaire, la cause et les circonstances exceptionnelles de sa mort, sa lente agonie (36 heures tout de même !), sa religiosité (bel hommage du prêtre), sa pluriactivité agricole (un vigneron qui dispose de bétail), la configuration de sa ferme (avec notamment une grange mal fermée), enfin ses habitudes nocturnes (il dort en chemise de nuit)…
Quelle chance de disposer d’un tel témoignage sur un ancêtre ! Certes, une information nominative comme celle-ci reste exceptionnelle. Mais, pour qui prend le temps et la peine de consulter les registres paroissiaux, bien des surprises sont encore à dénicher au fil des pages.
Cet ouvrage, étude inédite, se propose de vous faire découvrir quelques-unes de ces mentions insolites et de vous en montrer la richesse historique et généalogique. Il répond à bien des questions au sujet de ces textes insolites qui parsèment les registres paroissiaux : Pourquoi certains curés notent-ils des mentions insolites ? Que nous apprennent-elles sur la vie quotidienne de nos ancêtres ? Comment repérer, déchiffrer, transcrire et commenter ces témoignages du passé ? Comment les utiliser pour compléter notre généalogie et l’histoire de notre famille ou de notre village ?
Il s’agit du premier numéro de Théma, la nouvelle collection d’histoire et de généalogie.