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Le dernier de la lignée, la vie d’Hippolyte Petit, artisan-ouvrier de l’Est parisien au 19e siècle

Le jeudi 27 juin 2019, par Olivier Berger

Un roman historique vient de sortir chez l’Harmattan, qui a pour toile de fond la vie politique et sociale de Paris et de sa proche banlieue, dans la seconde moitié du XIXe siècle, en commençant en 1848, avec la Seconde République, vu d’un monde ouvrier, pour finir dans la Grande Guerre.

L’auteur, Catherine Petit, bibliothécaire de profession, a manifestement réalisé ce travail à partir d’une recherche documentaire dont elle donne les références des sources, mais sans bibliographie, ce qui manque un peu pour juger de la solidité de son travail, bien que l’auteur précise que la liste en aurait été trop longue. Toujours est-il que Catherine Petit a cherché à embrasser un maximum de pans de la vie des humbles d’autrefois, les derniers ouvriers-artisans disparus dans la société industrielle émergente, à travers les mutations du monde du travail.

A partir de ce qui doit être des recherches généalogiques sur sa propre famille, et forte d’une expérience de collecte et d’écriture de récits de vie, l’auteur a mis en relief sa généalogie, en choisissant de faire revivre ses ancêtres à travers le roman historique, exercice périlleux, mais qui permet de contourner les difficultés que rencontre tout chercheur confronté à l’absence – ou à la disparition – de sources biographiques familiales. Surtout pour des catégories sociales qui ont, par définition, laissé peu ou pas de sources écrites ou iconographiques, comme les ouvriers. Catherine Petit a donné de l’ampleur à son travail, son livre peut être un modèle pour tout généalogiste désireux de se lancer dans l’écriture d’un parcours biographique, à partir du peu dont il dispose comme informations, en complétant sa documentation en archives, quand c’est possible. Ici, la base de ses recherches est constituée des actes de l’Etat-civil, et probablement de bribes de sa mémoire familiale.

L’auteur s’intéresse particulièrement aux relations de ses ancêtres avec les luttes sociales de leur époque, en ce XIXe siècle troublé où la France se cherche un régime politique stable, ce qui passe par des périodes de crises, de tensions, de luttes et de pacifications. Elle évoque la vie dans les quartiers ouvriers de Paris, le futur XIIe arrondissement (qui ne porte pas ce nom avant les travaux d’annexion du Baron Haussmann en 1860) et dans les villes de Charenton, Maisons-Alfort et Créteil. On y devine l’émergence des liens pendulaires entre Paris et sa future banlieue, l’interdépendance qui commence, la circulation des hommes et des marchandises. La partition Est-Ouest de la ville de Paris, résultat de ces travaux, a des conséquences sur la vie politique avec la concentration de populations ouvrières à l’Est.

En ce sens, le roman de Catherine Petit ressemble un peu au Bout Galeux de Jean-Pierre Chabrol (1955), qui fait vivre la jeunesse de classe ouvrière du centre-ville de Palaiseau, dans les années 1950. L’espoir, les difficultés, la volonté d’avoir une meilleure vie, ce qui donne du sens aux luttes collectives, transparaît comme chez Chabrol. On peut dire que l’ensemble est cohérent et intéressant, le récit vivant. Dans cet univers révolu, on meurt jeune, le travail est précaire, la vie difficile, mais il existe heureusement des joies.

Le monde des ancêtres de l’auteur est en train de disparaître, le vitrier doit se convertir en peintre en bâtiment, maçon ou décorateur d’intérieur, mais ce travail se raréfie, le papier peint industrialisé fait une concurrence déloyale… Le cheminement de plusieurs générations d’artisans originaires de Villiers-sur-Marne, depuis le XVIIe siècle, s’arrête avec la mort d’Hippolyte (1839-1917), « le dernier de la lignée ». Après les soubresauts de la Seconde République, du Second Empire, de la guerre de 1870 et de la Commune de 1871, les grèves et mouvements sociaux de la fin du siècle continuent d’évoquer désirs et espoirs pour la petite tribu des protagonistes, qui se sentent liés à la rue. En effet, la rue est cet espace de vie, ce qu’a très bien exprimé Jules Vallès, elle est aussi, avec les cours, un lieu de sociabilisation, où se nouent des liens préparant la politisation des masses, ce qui explique les épisodes révolutionnaires parisiens du XIXe siècle, comme l’a démontré Maurizio Gribaudi dans Paris, ville ouvrière. Une histoire occultée (1789-1848), Paris, La Découverte, 2014, 445 p.

Les solidarités de voisinage créent une conscience du collectif, chaque révolution ou ce qui est perçu comme une tentative de changer le régime, est tout de suite parlant pour la famille Petit. Hélas, les mutations sociales et techniques éloignent les générations suivantes de cet intérêt pour la politique, les modes de vie changent, il est alors difficile de revenir en arrière. L’auteur parvient à le démontrer, en croisant des personnalités, des mouvements artistiques et des innovations contemporaines avec la vie de ses aïeux, et invite le lecteur à réfléchir à ces mutations. Ceci fait écho à l’actualité de notre pays, qui vit depuis plusieurs mois un mouvement social d’ampleur, réunissant les classes moyennes des villes et des campagnes, mouvement qui exprime une inquiétude face à une transformation de la société ressentie comme inéluctable, mais non souhaitée.

En fin d’ouvrage, une brève généalogie aide le lecteur à mémoriser qui est qui parmi les personnages récurrents, en dehors des protagonistes. Leurs cercles proches sont aussi mentionnés, car ils ont toute leur importance : les liens et cultures professionnelles débouchent sur des mariages entre les enfants des uns et des autres.

Au final, le pari est réussi, l’histoire et ses ficelles plausibles, il reste à d’autres auteurs de tenter l’aventure, et à travers le roman, qui donne le droit d’imaginer, de raconter, de faire des erreurs ou de prendre quelques libertés (ici par exemple, l’auteur se trompe sur la libéralisation du régime de Napoléon III, débutée dès 1860, en p. 89), la possibilité leur est donnée de transmettre une histoire familiale au cœur de la grande Histoire.

Si l’envie de mieux connaître cette période du XIXe siècle est suscitée par ce roman historique, rien n’empêche de se documenter en commençant par lire un excellent manuel, celui de Quentin Deluermoz, Le crépuscule des révolutions, 1848-1871, Paris, Seuil, L’Univers historique, 2012, 408 p., pour maîtriser les événements politiques. Parmi d’autres romans historiques réussis, on conseillera au lecteur Le porteur de destins de Gilbert Bordes (Paris, Seghers, 1992, 274 p.) et Les Cahiers de Baptistin Etienne de Bertrand Solet (Paris, Ed. de l’Amitié, 1972, 183 p.), qui sont tout aussi plaisants à lire que Le dernier de la lignée.

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