Aubin et son épouse ont à demeure leur nièce Gosme quand leurs enfants sont encore jeunes. À ce titre, elle fait partie des vingt domestiques enregistrées à Germignonville en 1836, toutes âgées de seize à vingt-quatre ans et réparties dans une quinzaine de ménages aisés.
- La servante. Messager de la Beauce et du Perche, 1875
Premières levées à l’aube pour préparer la soupe, la bouillie d’avoine ou de blé noir et le pain, elles sont aussi chargées des travaux ménagers, des soins à donner aux enfants, de l’alimentation des animaux et de certains travaux agricoles. La veillée terminée, elles sont les dernières couchées. La pénibilité de ce travail long et physique s’accroît du désarroi de la solitude ; célibataires, mises en condition jeunes, elles sont séparées de leur famille pendant plusieurs jours au mieux. Le tout pour 150 francs par terme : c’est peu pour la Beauce.
Cependant, le maître s’oblige d’ordinaire à les nourrir, les loger, à fournir le blanchissage et à payer les tailleurs qui raccommodent leurs hardes. En outre, dans la pratique, il donne des acomptes et ajoute aux gages des coiffes, des mouchoirs et des sabots.
- A la fontaine. Messager de la Beauce et du Perche,1866
Les maîtres peuvent se montrer reconnaissants. Dans son testament, en 1843, Jacques Gréau, la grosse fortune de Viabon, lègue à Adèle Tremblay : « le lit et le traversin où elle couche (…) pour les bon soins qu’elle a pour moi (…) et autant d’années qu’elle restera avec moy, autant de fois cent francs en plus de ses gages, plus quelques terres [2] ».
Mais revers de leur isolement et de l’univers masculin des grandes fermes, ces jeunes femmes se découvrent parfois le ventre gros, sans l’avoir désiré. Et quand le géniteur se dérobe à ses responsabilités, les échappatoires sont périlleuses : avorter, quitter le village aux premiers symptômes ou aller au terme en dissimulant la grossesse : marcher courbée, desserrer les lacets du vêtement, porter plusieurs jupes ou avoir le tablier replié. Malgré ses artifices, une cousine d’Aubin fait remarquer à sa domestique que sa taille s’épaissit. Mais celle-ci a réponse à tout et, précise-t-elle à sa maîtresse qui a son âge, elle souffre « l’état dans lequel elle se trouvait était l’effet d’une maladie (…) Depuis l’âge de vingt ans elle n’avait été que cinq à six fois comme le sont ordinairement les femmes [3] ».
D’autres recourent à l’infanticide [4] ou abandonnent leur nourrisson au tour de Chartres. C’est l’extrémité à laquelle se résout Alphonsine Gosme, une autre nièce d’Aubin, le 4 janvier 1854 six jours après la naissance de la petite Rosine. Le cas de la petite Rosine n’est pas isolé : trois autres enfants du village sont remis au tour de Chartres en ces années. La majorité de ces jeunes filles gardent l’enfant - en témoigne le nombre important de naissances illégitimes - et régularisent leur situation à l’église et à la mairie. Toutes ont amassé un petit pécule qui leur permet d’entrer dans la vie.
Enfin réédité !