Je repoussai secrètement cette suggestion : la généalogie était un de ces passe-temps pour le troisième âge que je mettais dans le même sac que ces stations de radio où l’auditeur s’épanche à jet continu, le tricotage et le samedi soir chez soi au coin du feu : je savais qu’à la longue je m’y adonnerais, mais je n’étais pas pressée. »
Qui est ce « je » qui semble entretenir une aussi piètre opinion de la généalogie ? Ella Turner, jeune américaine, sage-femme de son métier, vient d’arriver avec son mari dans le sud-ouest de la France. Sur un coup de cœur, le jeune couple s’installe dans une petite ville, Lisle-sur-Tarn sise non loin d’Albi, alors que Rick Middleton, le mari d’Ella, travaille à Toulouse dans un cabinet d’architectes. Isolée au sein de cette nouvelle communauté de province, s’y sentant indésirable et de plus en plus étrangère, Ella va entreprendre des recherches sur ses ancêtres, les Tournier. De Tournier à Turner, nous dit la narratrice, il n’y a qu’un pas : la disparition de deux voyelles : le o dans la première syllabe et le i dans la seconde !
L’auteure, Tracy Chevalier, avait déjà publié en 2000 l’excellent roman La jeune fille à la perle, adapté à l’écran par le réalisateur Peter Webber avec la lumineuse comédienne, Scarlett Johansson interprétant le personnage principal. Ici, Chevalier tisse progressivement et avec un admirable doigté un récit aux rebondissements multiples mêlant deux histoires qui se déroulent à des siècles de distance. La première, au 16e s. avec comme héroïne, Isabelle Du Moulin, surnommée « La Rousse » et la seconde, au 21e s. avec Ella Turner déterminée à découvrir, à travers l’histoire de sa famille, quelques traces émouvantes de ses ancêtres.
Dès le premier chapitre, on apprend qu’Isabelle, de religion catholique, voue un culte à la Vierge-Marie ; mais l’enfant qu’elle porte, la contraint de joindre l’intolérante famille des Tournier en épousant le fils, Étienne, un huguenot qui l’a récemment violée. Le lecteur sera alors plongé au cœur de la Réforme protestante qui vit le jour en Allemagne au XVIe siècle sous l’influence de Martin Luther et de l’un de ses disciples, Jean Calvin, lequel s’installa à Genève et forma de nombreux prédicateurs qui essaimèrent en France. Puis ce fut la fameuse nuit du 23 au 24 août 1572, connue sous le nom de « massacre de la Saint-Barthélemy », au cours de laquelle des milliers de Huguenots qui s’étaient rassemblés à Paris pour le mariage du futur Henri IV furent tués. Cet événement sanglant engendra des persécutions qui s’étendirent à toute la France forçant de nombreux huguenots à s’exiler.
Pour tous les amateurs de généalogie, disons que Tracy Chevalier livre l’histoire d’une famille à travers une quête opiniâtre dans des archives départementales, quête qui ne manque pas de bouleverser en profondeur sa vie.
Les Tournier sont plutôt rares au Québec. En consultant en ligne les données du site Canada 411, on constate que 17 Tournier seulement sont recensés au Québec dont 10 résident dans la grande région de Montréal. On en retrouve 54 à l’échelle du Canada dont plusieurs en Saskatchewan. Sont-ils des descendants du célèbre peintre Nicolas Tournier (1590-1639) qui a peint, entre autres, un Christ en croix, la Vierge, la Madeleine, saint Jean et Saint Vincent de Paul où la Vierge porte cette robe de couleur bleue qui a donné le titre au roman de Chevalier ? Auraient-ils un lien direct avec l’écrivain Michel Tournier, né à Paris en 1924, auteur de Vendredi et les limbes du Pacifique, Grand Prix du roman de l’Académie française 1967 et Le Roi des Aulnes, Prix Goncourt 1970 ?
À tous ces descendants qui ont émigré au Canada, je laisse le soin de remonter dans l’échelle des générations et de fixer peut-être les points de contact avec un de leurs lointains ancêtres : François Tournier, né en 1696 et décédé à MONTMAHOUX en 1755, fils de Pierre et de Guillemette Mourot. (consulter le site de Bernard Tournier et celui de Hubert Tournier.
Qui n’a pas, ici au Canada, parmi ses ancêtres des huguenots : ainsi l’ancêtre Thomas Chartrand dit Cherten a épousé en secondes noces Marie-Jeanne Matou. Or, la mère de Marie-Jeanne, Marguerite Doucinet (ou Doussinet) avait été baptisée le 17 février 1641 dans le temple calviniste de La Rochelle, Aunis, France. (Réf. : le site de Luc Trépanier).