Vincent, vigneron de Touraine…
C’est au détour de recherches généalogiques pour le compte d’une amie d’Athée-sur-Cher (37) que je découvre le décès de l’un de ses ascendants du côté maternel en 1849 :
À dix heures du matin, le 9 janvier 1849, Pierre BICHET et Jacques CHAVEAU, tous les deux vignerons à Athée, viennent déclarer le décès de :
… Vincent, enfant naturel en son vivant vigneron âgé de trente* cinq ans, déposé vivant à l’Hospice de Tours le trente nivôse an douze de la République époux de Rose GERBIER....
*quarante
Il est décédé… aujourd’hui à six heures du matin en sa maison à brosse-pelée, commune d’Athée…
Les « trois mots rayés à la marge nuls » [2] tout comme l’erreur corrigée sur l’âge du défunt montrent, si ce n’est une précipitation, tout au moins un doute du Maire d’Athée-sur-Cher lorsque qu’il rédige cet acte de décès :
Vincent n’a pas de nom de famille !
Même ses deux beaux-frères [3] déclarants ne sont pas capables d’indiquer au Maire, un patronyme pour le défunt …
Les premières recherches…
Remontons le temps vers le plus proche recensement d’Athée-sur-Cher : celui de 1846. On y retrouve Vincent avec sa famille, effectivement recensé à « Brosse-Pelée ».
Vincent à 41 ans, il est vigneron et chef de ménage. Il réside dans le premier foyer recensé du hameau avec sa femme, Rose GERBIER et ses enfants : Rose 15 ans, Jacques 12 ans, Jules 9 ans, Silvine 5 ans et la petite dernière, Joséphine 3 ans. Sur la ligne qui correspond à Vincent, la colonne n° 6 intitulée « Nom de famille » est désespérément vide ! Tandis que la colonne n° 16, destinée aux observations, nous indique qu’il est le 12éme enfant naturel recensé sur la commune.
Le recensement précédent montre que Vincent et sa famille résident déjà sur la commune en 1841.
Il est toujours impossible par ce recensement de lui attribuer un nom de famille... La seule différence notable est que la fille ainée de la famille est enregistrée sous le prénom d’Adélaïde et non pas de Rose comme sur celui de 1846.
Brosse-Pelée
Brosse-Pelée est un petit hameau ne regroupant que quelques habitations sur le chemin de « Baigneux » au bourg d’Athée-sur-Cher.
En 1846, Le hameau compte 10 maisons représentant 13 foyers et 45 personnes. Les 13 « chef(s) de ménage » sont dénombrés comme-suit : 7 cultivateurs, 3 rentiers, 2 vignerons (dont Vincent) et un carrier.
L’Hospice des orphelins de la patrie…
Jusqu’au milieu de l’année 1802 à Tours, c’est l’Hôpital de La Madeleine, situé sur la commune de Saint-Pierre-des-Corps qui est en charge des orphelins et des enfants abandonnés. Celui-ci sera regroupé, en septembre, avec l’Hôtel-Dieu et l’Hôpital général de La Charité pour devenir l’ « Hospice général de Tours » [4].
Dans son ouvrage « La TOURAINE ancienne et moderne » Stanislas BELLANGER écrit en 1845 à propos de l’hospice général de Tours :
…Trois cents enfants à peu près sont recueillis chaque année et confiés immédiatement à des nourrices sur lesquelles on exerce une active et journalière surveillance. Presque tous ces enfants en grandissant se placent comme gagistes [5] dans les campagnes où ils ont été élevés quant à ceux qui ne peuvent trouver d’emploi ordinairement atteints de quelque infirmité ou d’un vice organique ils rentrent à l’hospice et y exécutent des travaux appropriés à leur âge et à leurs forces…
Le 2 pluviôse de l’an XII de la République (lundi 23 janvier 1804) est rédigé à la mairie de Tours l’acte de naissance de Vincent :
… déposé naissant, sans note, le trente nivôse dernier à six heures du soir dans le tour de l’hospice des orphelins de la patrie de cette ville…
Vincent est inscrit par l’employé aux enregistrements sous le numéro 15292.
Le « 30 nivôse dernier », c’est avant-hier, samedi 21 janvier 1804.
Entre le dépôt du nourrisson dans le « tour » de l’hospice et la rédaction de son acte de naissance devant l’officier d’état-civil , il y a eu un dimanche : le dimanche 22 janvier 1804, jour de la … Saint-Vincent, patron des vignerons ! Le choix de lui attribuer le prénom de Vincent est donc certainement dû, comme bien souvent, au hasard du calendrier.
Cet acte de naissance servira tout au long de sa vie à « Vincent » à justifier de sa « demi-identité ».
Le mariage de Vincent…
Vincent se marie à Athée-sur-Cher le 21 juillet 1830 avec Rose GERBIER :
Il est le … Sieur Vincent fils naturel de père et de mère inconnus… et le titre de l’acte n° 12, inscrit en marge, indique le Mariage de Vincent et Rose Gerbier.
Rose est née à Athée-sur-Cher le 28 septembre 1810. Elle est gagiste et demeure à Véretz (37). Elle est la …fille mineure de Jean GERBIER, vigneron et de Anne DENIAU… , tous les deux présents et …demeurant en cette commune….
Lors de la naissance de Rose, son père, Jean GERBIER est dit « Thomas » et il réside avec son épouse au « village de brosse-pelée en Athée » [6] .
Entre 1804 et 1830, faute de recensements ou d’autres documents, il est difficile de retracer la jeunesse de Vincent. Mais cet acte nous révèle un indice qui permettrait de poser une hypothèse : Les deux témoins du marié : Jean-Adrien ROUSSEAU, tailleur d’habits, âgé de 44 ans et Louis GAUMÉ, journalier, âgé de 48 ans, demeurent tous les deux à Truyes (37), commune contiguë à Athée-sur-Cher.
L’habitude voulant que les témoins soient des personnes de confiance, il y a de fortes chances que Vincent ait été placé très jeune en nourrice à Truyes, y ai grandi et appris son métier dans une famille d’accueil.
À moins qu’il n’ait appris le métier de vigneron chez Jean GERBIER dit « Thomas » qui deviendra son beau-père lors de ce mariage.
Rose GERBIER et Vincent auront 5 enfants…
Les enfants VINCENT…
Les 5 enfants du couple naissent à Athée-sur Cher et hériteront du prénom de leur père comme nom de famille :
1/ Adelaïde Rose VINCENT
Adelaïde Rose, l’ainée de la famille nait le 10 septembre 1831 :
Le « Sieur Vincent » a 27 ans quand il déclare la naissance de sa fille.
Adelaïde se mariera après la mort de son père le 24 janvier 1855 à Saint-Denis-Hors (37, rattachée depuis à la commune d’Amboise) avec Antoine Henri CLEMENCEAU. Elle est sur son acte de mariage fille majeure de feu Vincent décédé… [7]
2/ Thomas Jacques VINCENT
Thomas Jacques nait le 9 décembre 1833 à Athée-sur-Cher.
Sur cet acte de naissance, Vincent, qui vient déclarer son fils, est affublé d’un « Auguste » qui semble sorti de nulle part. Auguste est-il son prénom d’usage ?
Thomas Jacques VINCENT se mariera à Chissay-en-Touraine (41) le 16 avril 1859 avec Clémentine COTTY, gagiste de 22 ans, fille de Joseph, sabotier et de feue Françoise DORLÉANS [8] .
3/ Jules Jean VINCENT
Lors de la naissance de Jules à Athée-sur-Cher, le 22 mai 1837, son père, déclarant, devient : le sieur vincent gerbier, vigneron, âgé de trente-deux ans… et né enfant naturel… La mention en marge fait état de la naissance de « jules jean vincent gerbier »…
Jules redevient VINCENT Jules Jean lors de son mariage le 18 septembre 1861 à « Civray sur Cher » (37, commune devenue Civray-de-Touraine en décembre 1954) avec Anne BENOIT.
Jules est alors désigné comme le … fils mineur de feu Vincent, en son vivant vigneron, enfant de l’hospice, décédé à Athée le neuf janvier mil huit cent quarante neuf…
4/ Silvine VINCENT
Silvine est le lien qui relie l’histoire des « VINCENT » aux recherches initiales que j’avais engagées…
Née le 26 juin 1840 à Athée-sur-Cher, elle est la fille de …Vincent-Gerbier, vigneron âgé de 35 ans… qui vient déclarer que Rose GERBIER, sa femme âgée de 30 ans …est accouché ce matin en son domicile à Brosse-pelée, en cette commune d’un enfant de sexe féminin…
Silvine est gagiste à Athée-sur-Cher quand elle se marie, à l’âge de 28 ans, le 21 janvier 1869, avec François HARDION, cultivateur de 47 ans, veuf en premières noces, demeurant à « Martigné, commune d’Athée ». Elle est la fille de …feu Vincent, vigneron… et de Rose GERBIER, sa mère, présence et consentante lors de son mariage [9] .
De cette union naitra notamment Marie HARDION, le 24 mai 1881 à Athée-sur-Cher [10]. La petite-fille de Vincent, épousera en 1900 Jean Victor DAVAINE [11] . Mais ça, c’est une autre histoire…
5/ Albertine VINCENT
Albertine est la « petite dernière » de la famille VINCENT.
C’est elle que l’on a retrouvée plus tôt sur le recensement de 1846 sous le prénom de « Joséphine ».
Née le 28 avril 1843, Albertine épouse le 4 juillet 1864, à Souvigny-de-Touraine (37), André LEFAY, vigneron de 23 ans. Rose GERBIER, sa mère, est présente à son mariage [12] .
Albertine est gagiste et dite …fille majeure et légitime de Vincent Jacques décédé…
Sur cet acte de mariage, Vincent est désigné par le deuxième prénom de son fils ainé : Thomas Jacques, le grand frère d’Albertine.
Une conclusion bien hâtive :
Je n’ai pas réussi à retrouver la famille Vincent sur les recensements de 1836 : ni à Athée-sur-Cher, Azay-sur-Cher, Véretz, ou Truyes.
En 1836, la famille était pourtant déjà constituée de « Vincent », Rose GERBIER, son épouse et leurs 2 ainés nés à Athée : Adelaïde Rose (°1831) et Thomas Jacques (°1833). Je vais certainement les retrouver juste après la publication de cet article ou un lecteur va me signaler leur présence sur un document que j’aurais bien évidemment oublié de consulter.
Rose GERBIER se remarie à Athée-sur-Cher le 4 juin 1862 avec un autre vigneron du cru : Pierre BESNARD [13].
Elle est recensée à Athée en 1872 [14] avec son « nouveau » mari bien que leurs âges ne correspondent pas (???). En 1876 Pierre BESNARD est seul [15] .
Rose Gerbier est en effet décédée le 22 mars 1874 à Saint-Denis-Hors (37).
C’est son gendre Antoine CLEMENCEAU, le mari d’Adélaïde qui vient déclarer le décès [16].
J’aurais voulu développer cet article sur plein de points rapidement abordés comme les « tours » d’abandon, l’Hospice général de Tours, Saint-Vincent patron des vignerons ou les 16 « enfants naturels » recensés en 1846 à Athée-sur-Cher (dont principalement un certain « Bertin s/père » âgé de 16 ans, domestique chez Thomas DENIAU qui attise ma curiosité à la page 50).
Mais il faut bien clôturer un article à un moment donné…
Sur les 3 actes d’État-civil officiels concernant notre personnage principal : ses actes de naissance, de mariage et de décès, il est « Vincent ».
Même si on l’a affublé d’un tas de patronymes ou de prénoms fantaisistes, pendant toute la durée de sa vie entre le 21 janvier 1804 et le 9 janvier 1849, Vincent n’aura pas eu officiellement de nom de famille et restera :
juste… « Vincent » !
Un grand merci à mon ami Michel GUIRONNET pour la localisation du mariage des 2 garçons VINCENT, l’acte de décès de Rose GERBIER, sa relecture attentive et pour cette très belle photo de Saint-Vincent, patron des vignerons, prise en novembre 2004 à Condrieu sur les rives de l’Arbuel : « un autre terroir viticole tout aussi réputé que la Touraine »