De 1879 à 1939, l’abbé Mugnier a tenu un journal soixante ans de vie sacerdotale et mondaine de celui qu’on a pu appeler le « confesseur des duchesses ». Dans les salons parisiens les plus huppés, l’abbé Mugnier offrait pourtant l’aspect déconcertant d’un curé de campagne, avec ses gros souliers carrés et sa soutane élimée. Il s’était imposé par les qualités les moins faites pour réussir dans un tel univers : la modestie, la sensibilité et la fraîcheur d’âme. Mais il admirait cette société et aimait plus encore la littérature. Les grands écrivains français (... et les autres) se retrouvent dans ce journal. Ils sont tous là, mêlés aux gens du monde, aux hommes politiques. C’est le « temps retrouvé », le monde de Proust qu’évoque jour après jour ce journal, document irremplaçable, et merveilleux roman de moeurs.
Un extrait :
1885, 22 mai :
Victor Hugo est mort. Hier l’archevêque de Paris avait écrit à Madame Lockroy, une lettre digne, que j’eusse voulue plus belle encore.
J’ai appris cette fin du grand poète, en sortant de la rue Bouret où m’appelait mon oeuvre de Belleville. On criait dans les rues la mort de Victor Hugo, comme j’ai entendu crier la mort de Gambetta et du comte de Chambord. Ainsi va le monde. Maintenant Hugo sait qui a raison du prêtre ou du libre penseur.
Les journaux ne retentissent plus que d’un nom celui du poète national. On prépare des funérailles triomphales. Le Panthéon est désaffecté. Hugo traversera Paris, de l’Arc de Triomphe au Panthéon. On n’aura rien vu de pareil, depuis le commencement du monde.
31 mai
Ce soir, vers 6 h 20, j’étais dans l’Avenue des ChampsÉlysées et je regardais le catafalque du poète qui se dressait, au centre de l’Arc de Triomphe. Il m’apparaissait de loin, avec des lignes confuses et poudreuses. Les foules allaient et venaient. Je me suis approché assez près, et j’ai pu considérer ce monument noir et argent. Des cavaliers maintenaient l’ordre. "
Les auteurs : Texte établi par Marcel Billot. Préface de Ghislain de Diesbach. Notes de Jean d’Hendecourt.
Un avis : Depuis de nombreuses années, la collection Le Temps retrouvé du Mercure de France a pour objectif de faire entendre la parole de certains acteurs privilégiés d’une époque, célèbres ou inconnus, une manière inédite d’aborder l’Histoire par le biais du récit vécu. Le Journal de l’abbé Mugnier (1879-1939) ne déroge pas à la règle.
Son récit est à la fois un témoignage sur l’Eglise de France à la fin du XIX° siècle, sur la vie politique, la situation internationale et une intime description des salons parisiens et des amitiés littéraires de l’abbé (Huysmans, Barrès, Proust, Valéry, Cocteau...).