La présentation par l’éditeur : Cet ouvrage présente, retranscrits, les carnets de Camille Arthur Augustin Rouvière (né à Montpellier en 1880, mort à Romans-sur-Isère en 1969), homme cultivé et bon, autodidacte inspiré, musicien talentueux qui nous fait revivre la terrible époque de la Grande Guerre en témoin perspicace et objectif des événements tragiques qui se déroulent.
Chaque jour, il note ses impressions, ses espoirs, ses terreurs, sur de petites feuilles volantes, chaque jour il rapporte sans trêve ni répit tout ce qu’il voit, tout ce qu’il supporte avec ses camarades, toute cette frénésie de destruction et de tuerie, les morts qui jonchent les trous d’obus, les blessés mutilés hurlant leur douleur, la neige, le gel, la pluie inondant les tranchées, la boue immonde où chacun s’enlise.
Après la guerre, il remet en ordre toutes ses notes qu’il a écrites pendant ces quatres années de misère et de mort. Il les réunit, les classe, les rédige à nouveau peut-être en les peaufinant, dans trois épais carnets qu’il remplit de sa belle écriture, jamais publiés jusqu’à ce jour.
Texte admirable et coloré, sobre dans sa cruelle vérité qui n’épargne personne, ni les politiques, ni les planqués de l’arrière, ni les généraux dévoreurs criminels de « chair à canon »...
Un extrait de la préface de Michel Garcin : Camille Arthur Augustin est mobilisé dès le 1er août. Il a 34 ans...
Il n’est pas de ceux qui partent la fleur au fusil, la chanson à la bouche, l’invective aux lèvres, et il pressent sans doute un sombre avenir. Mais attention ! Qu’on ne se méprenne point sur son comportement pendant cet horrible gâchis. Ce n’est ni un défaitiste, ni un trouillard, ni un lâche. Même s’il n’a qu’aversion pour cette guerre sanglante et démesurée, même s’il juge parfois avec sévérité et dérision certains généraux à l’incommensurable bêtise, il accomplit son devoir sans faiblir, sans faillir, se dévoue souvent pour les autres, ne se dérobe pas devant les corvées périlleuses, insouciant du danger. C’est un soldat courageux, loyal, attentif et compatissant aux malheurs de ses camarades... et de ses ennemis.
Par ailleurs, il respecte les consignes, ne discute pas les ordres, même les plus odieux, tout en se demandant pourquoi on l’oblige à tirer avec sa mitrailleuse, en face de lui, sur de pauvres types qui ne lui ont rien fait... Sa conduite exemplaire sera d’ailleurs reconnue et récompensée, quatre ans plus tard, par la Légion d’honneur, la Médaille militaire et la croix de guerre avec palmes.
C’est aussi un témoin perspicace et objectif des événements tragiques qui se déroulent. Chaque jour, il note ses impressions, ses espoirs, ses terreurs, sur de petites feuilles volantes, des morceaux de papier ramassés çà et là, chaque jour il rapporte sans trêve ni répit tout ce qu’il voit, tout ce qu’il supporte avec ses camarades, toute cette frénésie de destruction et de tuerie, les morts qui jonchent les trous d’obus, les blessés mutilés hurlant leur douleur, la neige, le gel, la pluie inondant les tranchées, la boue immonde où chacun s’enlise.
Il a la chance d’en réchapper, après une blessure à la jambe droite, la guerre à peine commencée, du côté de Louppy-le-Château, en Argonne, qui lui vaudra une évacuation de deux mois dans un hôpital de Nice. Mais, guéri, il rejoindra son régiment, le 31e d’infanterie (devenu ensuite le 231e), et ce seront les durs combats d’Artois et de Champagne, puis le long et terrible cauchemar de Verdun, le froid atroce de Lorraine, les attaques sanglantes à la baïonnette dans les bois autour de Compiègne, puis enfin les derniers soubresauts de la bête immonde, le long du canal-frontière de la Sambre à l’Oise, et l’armistice alors qu’il est à Chimay, dans le Hainaut belge.
Un extrait du Journal : « 24 septembre 1916 - Verdun -
Nous nous risquons dans la ville interdite.
Tous les monuments sont amochés : le théâtre, la cathédrale, le... Cercle militaire, la Banque de France. Des quartiers entiers sont abattus.
Ailleurs, ce ne sont que pignons crevés, étages télescopés, intérieurs massacrés, fouillis indescriptibles de matériaux carbonisés, meubles éventrès sur des tumulus de gravats, de papiers, de vaisselle, de livres, d’objets pleurés par six mille fugitifs.
Œuvre de Fritz !Œuvre du Français, aussi !
Les bonshommes n’ont-ils pas fouillé dans ces tas de linge luxueux ou sévère ? N’ont-ils pas soustrait, dans ces tiroirs béants ? Et vidé ces coffrets au velours maculé ?
Et puis, ils ont bu... Ces caves sont vides, qui étaient pleines et faiblement scellées...
Enfin, ils ont mangé... Plus rien, dans ces épiceries aux volets qui pantellent, dans ces confiseries, dans ces charcuteries dont les glaces scintillent en brisures sur le pavé.
Pourtant, Verdunois, sevrez votre colère. Combien, de vos chipardeurs, qui ne sont plus que des matériaux, là-haut, sur l’épouvantable pourtour !
Combien, de ces prospecteurs de souvenirs, qui ne seront plus, tout à l’heure, que mortier brassé sans fin par les Krupp ! »
L’auteur : Né à Montpellier en 1880, d’un père maître d’hôtel et d’une mère femme de chambre, Camille Arthur Augustin Rouvière grandit à Paris, rue Oberkampf. Passionné de musique, il apprend le violon, le violoncelle et l’alto. Très attiré par les cultures de la terre, les plantes et les fruits, il fait son apprentissage chez un maraîcher de Montlhéry, où il reste jusqu’à son service militaire. A son retour à Paris, il entre à la Compagnie de Réassurance, rue Blanche. En août 1914, il est mobilisé à l’âge de 34 ans, pour la durée du conflit. Après la guerre, il reprend son activité professionnelle à la Compagnie de Réassurance et met en ordre toutes les notes qu’il a écrites pendant ces quatre années de guerre. Il entretient alors des relations plus ou moins lointaines et suivies avec Romain Rolland, Henri Barbusse, Roland Dorgelès, Georges de La Fouchardière, Joseph Jolinon et Charles Vildrac. Il meurt à Romans-sur-Isère, en 1969, à l’âge de 89 ans.
Un avis : Voici un livre qui fera date dans l’historiographie des témoignages sur la Grande Guerre... Le poignant et bouleversant récit de Camille Rouvière, même peut-être amendé après-coup, nous offre un regard terriblement lucide sur la violence vécue et observée jour après jour par l’auteur. Assurément ce livre est un chef-d’oeuvre et son auteur un écrivain remarquable. Le style est clair et limpide, sans surcharge. Le ton est vif, saisissant, intense... Les phrases et les mots frappent et sonnent juste. Page après page, l’auteur transporte son lecteur sur les champs de bataille, au plus près des combats et de la vie des soldats... Personne, ni les hommes, ni les institutions n’échappent au regard sévère, ironique, parfois drôle, de Camille, combattant pacifiste. Impossible de sortir indemne de cette lecture...