- L’école d’Arcueil
- L’éducation physique est vue à cette époque, uniquement comme une école d’action morale, l’amour de l’effort et la discipline. La gymnastique rend fort, quand la République prépare les enfants à la guerre.
4e leçon :
IV – Le Patron
L’instituteur est assis à son bureau perché sur l’estrade, face aux élèves de sa classe.
— Ouvrez votre livre d’instruction morale et civique à la page 56... Jean tu commences la lecture du récit intitulé : « Un patron ». Nous t’écoutons Jean :
— « Monsieur Leclaire, ancien ouvrier, devenu contremaître, puis directeur d’une filature fondée par des actionnaires, puis propriétaire d’une filature, est aujourd’hui un des grands manufacturiers du nord de la France. Dès le jour où sa maison fut solidement établie, Monsieur Leclaire s’occupa d’améliorer la condition de ses ouvriers. « Je dois à mes ouvriers que le salaire, se dit-il, mais maintenant que ce salaire me donne la fortune et que cette fortune s’accroît tous les ans, il faut que je leur en consacre une partie. Ce qu’il faut à l’ouvrier avant toutes choses, c’est la garantie contre l’accident, la maladie ; c’est la certitude que la vieillesse ne lui apportera pas la misère. Commençons par là. »
— À toi Pierre…
— « Monsieur Leclaire résolut donc de prélever chaque année sur ses bénéfices une certaine somme, et de la verser dans une caisse qui servirait à payer une pension aux ouvriers, qu’un accident ou bien la vieillesse rendrait invalides. Les ouvriers remercièrent vivement le patron. Ils avaient formé entre eux une société de secours mutuels, où chacun d’eux apportait un franc par mois. Ils proposèrent à Monsieur Leclaire de verser cet argent dans la caisse qu’il venait de fonder. Monsieur Leclaire accepta. Il demanda aux ouvriers d’élire des délégués qui administreraient la caisse sous sa présidence. La maison Leclaire eut donc une caisse, formée à la fois par le patron et par les ouvriers, qui paya les frais de médecin et les médicaments, et de plus, assura les ouvriers contre les accidents et contre la misère toujours à craindre dans la vieillesse. La première fois qu’un accident se produisit, les ouvriers comprirent les bienfaits de cette institution : un malheureux avait eu le bras droit pris dans un engrenage ; il fut soigné aux frais de la maison et reçut une pension viagère de 300 fr. »
— Tu peux poursuivre Armand…
— « Monsieur Leclaire ne tarda pas à s’apercevoir qu’il n’avait pas seulement rendu service à ses ouvriers. Il s’était aussi rendu service à lui-même. Ses ouvriers étaient plus zélés ; ils avaient plus de cœur à la besogne. Ils n’avaient aucune raison pour le quitter, puisqu’ils trouvaient chez lui aussi bon salaire que partout ailleurs, et, de plus, les grands avantages que vous venez de voir. Ils savaient que la somme fournie par Monsieur Leclaire était prise sur les bénéfices, tant pour cent chaque année. Ils avaient donc intérêt à augmenter ces bénéfices en travaillant davantage. »
— Raymond, tu dors…
— … non m’sieur…
— Alors, à toi…
— « Dans la filature de Monsieur Leclaire, les ouvriers ont un salaire fixe par jour pour une certaine quantité de besogne ; mais s’ils en font davantage, le surplus leur est payé largement. Il y a donc une prime pour les plus laborieux. Ceux-ci augmentent leurs salaires notablement, et le patron accroît encore ses bénéfices. En effet, plus ses ouvriers travaillent, plus il gagne. Aussi a-t-il coutume de dire : « On se trompe quand on croit que le meilleur moyen de s’enrichir est de payer ses ouvriers le moins possible. La vérité, c’est qu’il faut obtenir d’eux le plus de travail possible en les payant aussi cher qu’on le peut. »
— N’est-ce pas Jacques !… à toi…
— « Monsieur Leclaire ne manque pas de s’instruire de tout ce qui se fait dans le monde entier pour améliorer le sort des ouvriers. Le succès de ses premières tentatives l’encourage à faire mieux chaque année ; tantôt il invente, tantôt il imite les exemples donnés par des industriels dont le cœur est aussi généreux que le sien. »
— Casimir… au lieu de rêvasser…nous t’écoutons…
— Euh !…
— « Voyons, se dit-il… » tu as perdu le fil Casimir. Nous sommes dans la filature de Monsieur Leclaire, pas dans le champ du père Mathieu…
— « Voyons, se dit-il, comment se fait-il que moi, qui suis vieux, et qui ai tant travaillé dans ma vie, je travaille encore aujourd’hui ? C’est parce que je vois mon travail récompensé. Mon ami Robert est employé au Ministère des finances à Paris. Il a quatre mille francs par an ; de loin en loin une petite augmentation. C’est réglé comme du papier à musique. Aussi mon ami Robert arrive tranquillement à son bureau à onze heures ; il en ressort non moins tranquillement à quatre heures juste. Dès que quatre heures sonnent il retire ses manchettes et sa calotte, et il pose sa plume, laissant au besoin sa phrase inachevée. »
— Un peu comme toi Casimir… François, à toi…
— « Pourtant mon ami Robert n’était pas moins actif que moi autrefois. S’il s’est endormi, c’est qu’il n’est pas, comme moi, stimulé tous les jours par le profit de son travail. Dans le cœur de l’ouvrier, comme dans le mien, il y a un stimulant tout prêt : plus il verra son travail lui profiter, plus il travaillera. »
— Jules…
— « Monsieur Leclaire a tant fait pour ses ouvriers, qu’on peut dire qu’ils sont ses associés autant que ses ouvriers. Un certain nombre d’entre eux, les plus anciens et les meilleurs, reçoivent chaque année un dividende sur les bénéfices. Ils ne réclament pas une part égale à celle de leur patron. Ils savent que celui-ci a fondé la maison, qu’il a construit les bâtiments, acheté les machines et qu’il les entretiens. N’est-ce pas Monsieur Leclaire encore qui dirige leur travail ? Il est donc juste qu’il prélève l’intérêt de son capital et qu’il se fasse payer sa direction, son habileté, son expérience. D’ailleurs, le patron court à lui seul de plus gros risques que tous les ouvriers ensemble, et, en toutes choses, celui qui court le plus de risques doit être le mieux récompensé. »
— Si Joseph veut bien nous lire la suite au lieu de gober les mouches…
— « Monsieur Leclaire trouve chaque année quelques combinaisons nouvelles. Quand la récolte a été mauvaise, il achète des grains en grande quantité. Il les fait moudre ; il prend des boulangers à son service, et ses ouvriers ont le pain à meilleur marché que les gens de la ville. Une grande épicerie, gérée par un employé, fournit à bon compte les ménages des ouvriers. Il y a longtemps que l’usine a ses écoles : école de filles, école de garçons. En même temps qu’ils s’y instruisent, les enfants apprennent un métier, dès qu’ils peuvent le faire. Le jour de la distribution des prix est une grande fête pour toute l’usine. C’est Monsieur Leclaire qui fait cadeau des prix. C’est lui qui les distribue. Il a formé parmi ses ouvriers une fanfare, qui, ce jour-là, joue ses meilleurs morceaux. Le soir, on danse dans la cour de l’usine, où l’on a jeté du sable, et dont les murs sont tapissés de branches d’arbres et de couronnes de fleurs. »
— Aller Ferdinand, à toi de conclure…
— « Ce que Monsieur Leclaire fait, tout le monde ne peut pas le faire. Mais tous les patrons doivent s’intéresser à leurs ouvriers qui sont leurs collaborateurs. La fortune d’un patron que ses ouvriers ne voient jamais et qui n’est occupé que de son argent, excite des murmures. La fortune d’un patron qui pense à l’ouvrier, le récompense selon ses mérites, le visite quand il est malade et le console quand il est affligé, n’attire que des sympathies. »
— Voilà un texte qui mérite d’être lu à nouveau, attentivement, à la maison. Vous vous servirez de ce récit pour faire une rédaction en choisissant un exemple pris dans votre entourage. Ça ne devrait pas être trop compliqué, n’est-ce pas ?… À présent, passons à la leçon de grammaire…
Récit intégral : Le Patron, première année d’instruction morale et civique , par Pierre LALOI, DIX-SEPTIÈME ÉDITION, PARIS, LIBRAIRIE CLASSIQUE ARMAND COLIN ET Cie, CERTIFICAT D’ÉTUDES PRIMAIRES (1887). Utilisé comme support de cette leçon imaginaire. Ouvrage compris dans la liste annexée à la Circulaire ministérielle du 17 novembre 1883 et inscrit parmi les ouvrages fournis gratuitement par la Ville de PARIS, à ses écoles communales.
Révision des leçons précédentes :