Résumé : Là-bas, aux abords de Souain, en mars par un froid matin, ils ont assassiné mon papa... écrit la petite Jeannette, dont le père, le caporal Maupas, est fusillé le 17 mars 1915. Fusillé aussi, François-Marie Laurent, pour ne connaître que le breton et n’avoir pas compris les ordres qu’on lui donnait en français. Fusillé, Jean Jaeglé, pour avoir porté presque le même nom qu’un espion allemand. Fusillés, les soldats de Verdun accusés par un médecin trop zélé de mutilations volontaires... De 1914 à 1918, plus de 2 300 soldats français ont été condamnés à mort, et 600 environ effectivement exécutés. Le plus souvent, dans un seul but : galvaniser l’énergie des troupes. Dans la plupart des cas, l’effet produit fut exactement inverse, l’écœurement et l’indignation de leurs camarades éclatant au grand jour devant des condamnations aussi arbitraires. Alertées, informées et encouragées par les récits de ces compagnons d’infortune, parfois bien postérieurs aux faits, les familles ont cherché, dans l’entre-deux-guerres, malgré la honte qu’elles ressentaient et les pesanteurs administratives, à réhabiliter ces hommes morts pour rien.
A travers archives et témoignages, cet ouvrage poignant de Jean-Yves Le Naour, historien reconnu de la Première Guerre mondiale, est un monument à la mémoire de cinquante victimes d’une machine militaire devenue inhumaine.
Sommaire :
Vingt ans de combats pour la réhabilitation :
" C’était l’époque où la vie d’un homme comptait pour bien peu "
" Nous en aurions tant à dire "
La vérité est en marche
CInquante cas de fusilles réhabilites
Refus d’obéissance
Abandon de poste
Les fous et les simples d’esprit
Des civils en conseil de guerre
Mutilations volontaires
Exécutions sommaires
Par contumace
L’avis de Michel Guironnet :
Dans une scène du film « Joyeux Noël », le Général Dargeance ; devant les faits de fraternisation qu’on lui rapporte, s’exclame :
« Mais bon sang ! Est-ce que tu te rends compte que c’est très grave ce qui s’est passé ! Ça s’appelle : haute trahison ! Peine de mort… Mais on ne peut pas fusiller 200 hommes… On ne peut pas ! … »
Pendant la Grande Guerre, quelques 600 soldats français sont fusillés par leurs camarades …
Le 16 mai 1916, Maxime Quevreux, Chasseur au 19e B.C.P, cantonné à Pagney, près de Toul, note dans son carnet : « Marche, changement de cantonnement, assisté à l’exécution d’un chasseur du 17e »
Qu’a pu faire ce soldat du Bataillon de Chasseurs à Pied pour mériter pareil châtiment ? A-t-il été fusillé « par erreur » ou « pour l’exemple » ? Nous ne le saurons probablement jamais !
Nous ne savons même pas son nom…et il sera bien difficile de le connaître un jour.
Dans sa lettre datée de « Le Mont 15 août 1914 » Paul Rémy, « éclaireur cycliste » arrivé quelques jours auparavant au cantonnement à Saint Michel sur Meurthe, raconte à « Moune » son épouse adorée :
« …Le lendemain, à 3h, on signale une patrouille de cavaliers allemands qu’auraient soit disant pu passer la frontière. J’étais en chausson et calot. Je prends un vélo et mon revolver et je pars. Le Capitaine m’appelle mais Rémy était loin. Je fais 4 villages avec le chef et deux sous off amis.
Il n’y avait pas plus d’Allemands que de beurre au cul.
Le Colonel avait vu des gendarmes à cheval et comme 2 Allemands avaient donné la panique, ils les avaient crus. Donc fausse alerte.
Nous revenons. Les deux poilus sont enfermés et seront fusillés sous peu de temps. C’est qu’on ne rigole plus avec ces mascarades-là et on a raison. »
« Fusillés » est le titre du récent livre de Jean Yves Le Naour, historien de la Grande Guerre connu pour sa rigueur. Son propos est « de mettre l’accent sur la cinquantaine de soldats qui, tombés sous les balles françaises, ont été par la suite officiellement réhabilités »
Grâce à lui, Lucien Bersot, Eugène Bourret, Alfred Loche, …et tant d’autres, retrouvent leur dignité d’homme et leur honneur de soldat !
Des civils aussi sont fusillés pendant la Guerre par les militaires.
Eugène Perrussot, Lieutenant au 89e Régiment d’Infanterie, dans son « Récit de Guerre » raconte cet épisode arrivé au cantonnement de Neuvilly, le jour de la Toussaint 1914 :
« ... Un obus bien pointé tombe devant la maison que nous occupons. La cloison peu épaisse s’écroule avec fracas, et une grande quantité de terre, de plâtras, s’écroule dans la pièce, tombe dans la casserole posée sur la table. Adieu le bon bœuf aux carottes qui paraissait si savoureux ! Heureusement qu’aucun de nous n’est blessé !
…/… Un autre obus tombe dans un local occupé par mes hommes. J’avais eu le soin de les placer entre deux meules de foin, mais l’obus tombe exactement devant l’ouverture et tue ou blesse sept hommes. Le clocher est atteint par un obus.
Vraiment le séjour en réserve n’est pas agréable, surtout à l’heure des repas !
On croirait que les boches sont renseignés sur nos faits et gestes : les hommes sont au travail, de ci, de là, à creuser des tranchées, à charrier des matériaux, à réparer des chemins, enterrer les cadavres des chevaux, etc., et sont dispersés aux quatre coins de l’horizon, pendant toute la journée, sauf au moment des repas où ils se réunissent dans le village.
Qui peut renseigner ainsi les boches ? Et pourquoi bombardent-ils Neuvilly au moment même où les hommes y sont rassemblés ?
J’ai appris par la suite qu’on avait fusillé un fermier des environs du village. Au moment où les troupes entraient au village, il conduisait ses vaches dans un certain pré, signal convenu à l’avance avec l’ennemi qui avait des vues sur ce pré. Je n’ai pu vérifier l’exactitude du fait »
Jean Yves Le Naour nous explique :
« Dans l’atmosphère angoissante des premières semaines de la guerre, les Français sur le qui-vive voient des espions partout.
C’est dans ce climat d’espionnite qu’il faut rechercher les raisons aberrantes qui ont conduit à l’arrestation de civils, à la faveur d’un malheureux concours de circonstances, et à leur traduction devant le conseil de guerre pour intelligence avec l’ennemi - quand les soldats n’ont pas rendu une justice plus expéditive encore »
Dans sa conclusion, Jean Yves Le Naour écrit :
A côté de la masse des morts au champ d’honneur « les quelques 600 fusillés ne pèsent pas lourd » Et pourtant, « ces cadavres dans le placard ne continuent ils pas, aujourd’hui encore, à nous tirer par les pieds et à hanter notre souvenir du conflit ? »
« …Le retour de la Grande Guerre dans la mémoire nationale depuis les années 1990 confirme cette réapparition du fusillé qui ose prendre sa place dans le long cortège des victimes de ce XXe siècle de violence…Ce retournement est aujourd’hui total à l’issue d’un long cheminement de la mémoire : ceux que l’on présentait autrefois comme des lâches sont devenus des héros !
...Curieux renversement des valeurs qui vaut au poilu, dont on vantait auparavant le sacrifice patriotique, d’être présenté comme un mouton conduit à l’abattoir… à la différence de ceux qui ont dit « non », qui ont dénoncé la boucherie et, en fraternisant ou en se mutinant, ont annoncé la fraternité européenne »
Dans son article « Le champ de bataille des historiens », paru dans laviedesidees.fr en novembre 2008, Jean Yves Le Naour s’interrogeait :
« L’historien peut-il répondre à la demande sociale sans se renier ? »
Nul doute à la lecture de son dernier ouvrage : la réponse est oui !