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Emile Renault, fusilier marin du Commando Kieffer Mort pour la France le 6 juin 1944

Le vendredi 7 mars 2025, par Noël Marandeau

Ouistreham, le 6 juin, vers 9h30. Posté à la l’étage d’une villa, Émile Renault observe par une lucarne le casino situé à 100 mètres de là. Transformé en forteresse par les Allemands, ses canons et mitrailleuses tirent sur les Anglais débarquant des barges. Avec son fusil à lunette, Émile a fait feu sur les défenses ennemies. Repéré par des tireurs, une volée de balles claque sur les murs de la maison où il se trouve puis une forte détonation se fait entendre : un canon vient de tirer. Presque aussitôt, Émile ressent un énorme choc qui le projette sur le sol où il reste allongé. Hagard, il ne comprend pas ce qu’il lui est arrivé...

Émile Renault « débarqua » dans ma vie ou plutôt dans ma généalogie par hasard, alors que je ne l’attendais pas. En réalité, il se trouvait déjà là, enfoui parmi les nombreuses racines de mon arbre du côté maternel. Il était dans un état latent, tel une vieille photographie argentique attendant le moment d’être plongée dans le révélateur pour apparaître au grand jour.

La révélation

En effet, en 2019 je recevais, sur le site généalogique Geneanet, un message de Jean-Christophe Rouxel officier réserviste de la Marine Nationale. Travaillant alors pour le Musée des Fusiliers Marins Commandos (FUMACO) de Lorient, il effectuait des recherches sur les 177 Français du Commando Kieffer qui débarquèrent en Normandie à l’aube du Jour J. C’est ainsi qu’il m’apprit qu’un de ses membres, Émile Renault, était le neveu de Cécile MICHEL, épouse de François HEMERY un de mes grands-oncles bretons. Ayant déjà retracé le parcours militaire de ces marins, monsieur Rouxel voulait mettre un visage sur chacun d’eux afin d’illustrer le livre qu’il était en train de co-écrire : Commando Kieffer, 177 visages du Jour J.

Or, à ce jour, seul Emile Renault n’avait pas de photo. L’officier me demanda si j’en possédais une, mais le couple ci-dessus n’ayant pas eu de descendance, je ne pus répondre que par la négative. Par la suite, il eut l’obligeance de me fournir divers documents et photos sur la famille de notre commando.

L’article suivant évoque donc le parcours d’Émile Renault du 1er Bataillon de Fusiliers Marins Commandos, dit Commando Kieffer. Cependant, les témoins du Jour J, auteurs d’ouvrages sur le sujet n’ayant pas été d’accord sur certains faits, il me fut difficile d’être plus précis. Malgré cela, ce sera bien à partir du vécu de ce bataillon que l’on aura un aperçu de la courte vie de ce commando.

Qui est Emile Renault ?

Né le 8 décembre 1921 à Pléneuf-Val-André dans les Côtes-du Nord (actuelles Côtes-d’Armor), Émile, Marie, Léon RENAULT est le fils de Pierre, Marie, Joseph et d’Anna, Marie MICHEL.

Il est le cadet d’une nombreuse fratrie de 7 enfants. La famille, de condition modeste demeure à Dahouet, quartier du port de Pléneuf ; son père est jardinier et sa mère couturière. Par la suite cette famille sera très éprouvée. Andréa, 16 ans et Hélène, 14 ans, les deux filles aînées trouveront la mort en 1922 en se jetant sous un train et Louis, le 4e enfant décèdera à 28 ans en 1941, noyé dans la Manche avec un camarade, en tentant de rejoindre en bateau les Forces Françaises Libres en Angleterre.

Un tournant dans la vie d’Émile

Depuis le 22 juin 1940, la Bretagne, comme toute la zone nord de la France est occupée par l’armée allemande. A cette époque Émile a 19 ans, mais que faisait-il, que pensait-il de cette situation ? Il se peut qu’il fut, comme son frère Louis, comme d’autres garçons de son village, marin-pêcheur, métier qui a pu influencer sa future décision.

De la classe 1941 au Recrutement militaire de Rennes, il décide, à l’instar de son frère aîné de rejoindre la Grande-Bretagne pour s’engager dans les F.F.L. Mais par quel moyen et à quel moment ? A-t-il, comme Louis, embarqué ou utilisé un réseau d’évasion par l’Espagne ou le Portugal ? Aucuns renseignements sur son périple n’ont été trouvés à ce jour.

L’engagement dans les Forces Françaises Libres (F.F.L)

Concernant son débarquement sur le sol britannique, sa Fiche Matricule (F.M) est également muette, pourtant un texte manuscrit joint à son dossier indique : Arrivé RA [1] le 8 avril 1942.

Envoyé dans un camp de triage à Londres, Émile, comme tous les immigrants pénétrant alors au Royaume-Uni et désirant rejoindre les F.F.L, fut certainement interrogé par la Military Intelligence (MI-5) [2] sur ses origines et les raisons de sa présence. Est-ce à la Patriot School [3] à Londres ou au camp de transit de Camberley [4], ville située au sud-ouest de la capitale ? Cela est possible et expliquerait donc ces quelques jours passés entre la date du 8 avril et celle de son engagement. En effet il signe son contrat le 13 avril, peut-être à l’Olympia Empire Hall, centre d’accueil et de recrutement de la F.L à Londres, sous le matricule 203 FN 42.

Sur sa F.M est écrit : C.P 1 Londres 13.4.42-.18.4.42 ; E.V (engagé volontaire) pour la durée de la guerre le 13.4.42 ; passé Marine le 13.

Ainsi, après une semaine en compagnie de passage, le matelot de 2e classe Renault rejoint les Forces Navales en Grande-Bretagne (FNGB) et le 18 avril, monte à bord du vieil aviso Arras, base flottante servant de dépôt aux Équipages. Le 20, il est envoyé à Skegness, ville côtière de l’est de l’Angleterre où se situe le HSM Royal Arthur, camp d’entraînement et d’évaluation de la Royal Navy, pour probablement y effectuer sa formation initiale et ce, jusqu’au 30 juin 1942. De retour sur l’Arras, Émile y restera jusqu’au 1er août, mais l’on ignore ce qu’il y a fait. A cette date il rejoint la caserne Bir-Hakeim, près de Portsmouth, aussi dépôt des Équipages où il a pu suivre un stage de spécialité car le 1er octobre il est dit matelot de 2e classe fourrier.

Ainsi qualifié, il embarque le 21 dudit mois sur l’aviso Savorgnan de Brazza, bâtiment affecté à l’escorte de convois transatlantiques approvisionnant la Grande-Bretagne.

Le commando Renault

A l’issue de cette mission, notre marin débarque le 8 janvier 1943 à Portsmouth et retourne à la caserne Bir-Hakeim où, le 23, il est nommé matelot de 1re classe. Pendant cette période à terre de 3 mois, Émile se porte volontaire pour les commandos. Mais peut-être dut il d’abord faire une formation de fusilier marin. Ainsi, sélectionné après des tests d’aptitude, le 24 avril il intègre le 1er Bataillon de de Fusiliers Marins (1er BFM) créé par le Lieutenant de vaisseau Philippe Kieffer. Et le 27, il rejoint la base du bataillon à Criccieth, petite ville du Pays de Galles, où la formation de commando l’attend de pied ferme.

De son séjour au 1er BFM, la fiche d’Émile ne donne aucune précision sur les différentes formations qu’il a pu effectuer à partir du 24 avril 1943. Mais grâce aux témoignages écrits de certains de ses camarades, il est sûr qu’il ait rejoint le camp d’Achnaccary en Écosse, l’école des commandos britanniques.

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Là, avec d’autres volontaires, il va subir, pendant plusieurs semaines, le plus dur et intense entraînement qui soit et qui va le pousser au-delà de ses limites, tant physiques que psychologiques car la sélection y est impitoyable. Sport, marches rapides, tir, formation au sabotage, exercices à balles réelles, escalades, natation, raids nautiques, sports de combat, etc., sont le lot quotidien des futurs commandos, le tout accompagné d’une stricte discipline très « britannique ».

Ayant réussi sa formation, Émile, ainsi breveté aura le droit de porter avec fierté le béret vert. Notre commando et ses camarades rejoignent ensuite Eastbourne, sur la côte sud de l’Angleterre, nouvelle base du bataillon et où ils seront logés chez l’habitant « en billets ». En juin, passé à la Troop 1 (compagnie), Émile doit participer avec d’autres commandos britanniques à une manœuvre près de Plymouth en Cornouailles. Et le 14 juillet, il aura l’honneur de défiler à Londres avec sa troupe.

Le 1er octobre 1943 le 1er B.F.M devient officiellement le 1er B.F.M.C (Bataillon de Fusiliers Marins Commandos). L’entrainement continue de plus belle et de plus en plus ciblé. En cette fin d’année, des petits raids de « sondage » sont exécutés entre la France et la Hollande avec des commandos français, mais on ne sait si Émile Renault était suffisamment expérimenté pour y participer. De décembre 1943 à mars 1944, les entrainements et exercices continuent.

Inverness, mars 1944. Alors en Écosse pour effectuer un exercice de débarquement de grande ampleur avec de nombreuses unités sur la plage de Nairn [5], nos bérets verts apprennent le 26 par leur chef que le 1er B.F.M.C sera rattaché au n°4 Commando britannique dirigé par le colonel Dawson, lui-même sous les ordres du fameux lord Lovat, général de la 1st Spécial Service Brigade. Cet exercice laissait supposer que quelque chose de plus important se préparait.

Le 15 avril, le bataillon rejoint Bexhill-on-Sea dans le Sussex, au sud-est de l’Angleterre, base du n°4 Commando, qu’il intègre donc. C’est à ce moment que le commando Kieffer est réorganisé : 2 Troops à 2 sections, une section de mitrailleuses lourdes Vickers ainsi qu’une section médicale et une section radio. Ce sera la configuration approximative du Jour J.

Logés ici aussi « en billet », les commandos vont subir un entraînement spécifique que je ne détaillerai pas, mais les plaçant dans le contexte de leur future mission... qu’ils ignorent encore.

Début mai, nouveaux exercices de débarquement (exercice Fabius) et prises de positions fortifiées, puis les semaines suivantes, exercices de combats urbains.

Le 10 mai, lors d’une cérémonie militaire nos Français recevront, des mains de l’amiral d’Argenlieu, commandant les FNFGB, leur badge du 1er B.F.M.C qu’ils agraferont sur leur béret vert, à « l’anglaise », sur le bord gauche relevé. Celui d’Émile Renault porte le n° 55.
Habillés du même uniforme que les Anglais, nos Français s’en démarquent avec la bande de tissu sur laquelle le mot « France » est écrit en blanc, bien visible sur les épaules de leur battle-dress [6]. A partir du 20 mai, l’entrainement cesse. Les commandos reçoivent de nouveaux équipements, matériels et armes. Le 22, Lord Lovat, chef de la brigade vient les inspecter et les stimuler.

Le 25 mai, le n°4 Commando quitte Bexhill en train et rejoint Titchfield, près de Southampton, une des nombreuses zones de rassemblement où il va attendre le moment de son embarquement. Dans ce lieu entouré de barbelés, tous les commandos de la Brigade de Lovat sont coupés du monde extérieur et, afin d’éviter des fuites éventuelles concernant les lieux du débarquement, il leur est interdit d’en sortir, aussi la Military Police veille, avec ordre de tirer sur les contrevenants. A l’inverse, pour leur séjour rien ne leur est refusé : couchage confortable, diffusion de musique américaine (Jazz), cinéma permanent, cantines, salle de lecture, hôpital...

Ainsi, toute la côte sud de l’Angleterre est devenue un immense camp rempli de troupes et de matériels.

Le lendemain, les commandos découvrent leurs objectifs et missions sur des photos, maquettes et cartes muettes, ou portant des noms différents, voir fantaisistes. Ils savent seulement qu’ils débarqueront sur « Queen Red » secteur de Sword Beach. Malgré tout, les Normands et d’autres Français ont reconnu la côte et il leur sera demandé de garder le secret.

Le 5 juin, le 1er B.F.M.C est donc articulé en trois « Troops », la 1 et la 8 ainsi qu’une 3e d’appui avec mitrailleuses Vikers K Gun de 24 commandos, d’une section de commandement (14 Français et 6 Britanniques) dont une antenne médicale. La Troop 1, composée de 69 commandos dont Émile Renault, tireur d’élite au fusil de précision Lee Enfield [7], est commandée par Guy Vourc’h et la Troop 8, de 71 commandos, menée par Alexandre Lofi.

Le tout sous les ordres de Philippe Kieffer, capitaine de corvette (commandant) depuis peu.
En début d’après-midi, les commandos sont emmenés en camions vers Warsash, petit port proche de Southampton. Vers 17 heures, ils embarquent sur des L.C.I [8] avec interdiction d’en sortir avant le départ. La Troop n°1 et la section de commandement sont sur le L.C.I 527 et la n°8 sur le L.C.I 523, la section K Gun étant répartie sur chacune des deux barges. Leurs sacs et leurs armes entreposés dans la cale, les commandos, inoccupés, traînent sur le pont et attendent avec impatience le départ.

Ce même jour, vers 22 heures – après un report d’une journée à cause de la météo – les bateaux larguent enfin leurs amarres et quittent les côtes de l’Angleterre. Ce sont près de 5000 navires transportant 185 000 hommes et 20 000 véhicules qui vont se mettre en route vers la France.

La nuit risquant d’être courte, chacun dans la cale essaye de dormir comme il peut, où il peut.

Le Jour J

Mardi 6 juin 1944, 4 heures. Après une nuit agitée par une mer houleuse, c’est le « branle-bas » ; la troupe se positionne sur le pont et se prépare. Le jour à peine levé, sous un ciel gris, les commandos découvrent l’incroyable armada qui avance vers la France. C’est alors que le n°4 Commando prend connaissance de sa destination finale et de sa mission : la Normandie. Mais ça, nos Français le savaient déjà.

Mission du n° 4 Commando : Après leur débarquement, ils devront d’abord prendre à revers les points forts allemands de Riva-Bella à l’embouchure de l’Orne et libérer Ouistreham en prenant l’écluse du canal intacte. Puis ils rejoindront les hommes de la 6e Airborne aux ponts sur le canal et l’Orne.

A ce moment, à quoi pensent nos Français, avaient-ils conscience qu’ils allaient vivre un évènement extraordinaire ? Qu’en est-il d’Émile Renault ? Éprouvait-il de la peur ? Après deux ans d’absence, peut-être pensait-il simplement qu’il allait retrouver son pays. D’après les témoignages des survivants, ils n’eurent pas peur car ils s’étaient durement entraînés avec les commandos britanniques. Préparés à la mort, ils n’y pensaient pas. Seule la mission comptait.

Il est 5 h 35, les navires sont en vue de la côte normande qui n’est pour l’instant qu’une longue et mince bande grise. Après le bombardement aérien, à 6 h les canons « marine » commencent le pilonnage sur les défenses allemandes.

Bientôt ce sera le départ des embarcations qui emmèneront les vagues d’assaut vers leur destin.

Les balles de mitrailleuses commencent à siffler et des gerbes d’eau provoquées par les obus entourent les embarcations des commandos.

Les deux L.C.I du 1er BFMC, flanquées à gauche par les LCA [9] des Britanniques du n°4 Commando, approchent de Sword Beach dans la fumée et la poussière avec un peu d’avance.

Grâce à la complaisance du Colonel Dawson, chef du n°4 Commando, les 177 Français auront la faveur et l’honneur de débarquer les premiers sur la plage de Colleville-sur-Orne (Colleville-Montgomery) au lieu-dit La Brèche.

Vers 7h 40, les deux L.C.I touchent terre au milieu des obstacles dont certains surmontés de mines ; les balles claquent sur l’acier, les obus de mortier encadrent les barges ; leurs 2 passerelles sont déployées pour permettre le débarquement. A ce moment un obus en arrache une, puis un autre projectile, la deuxième de la 527 sur laquelle se trouve Philippe Kieffer et une partie du bataillon, dont Renault. Les premières victimes tombent. Certains commandos sautent à la mer, ceux n’ayant pas pied nagent quelques brasses avec leur chargement et ressortent sur le sable. D’autres passent sur la 523 qui s’est rapprochée et empruntent ses rampes. La plage est traversée en courant sous les balles, sans s’arrêter, sans combattre – c’est la consigne. Les tirs de mitrailleuses et de mortiers causent de nouvelles victimes qui seront laissées sur place. La Troop 1 ayant perdu ses officiers, c’est le lieutenant Mazeas qui en prendra le commandement. Lui-même sera blessé ultérieurement et remplacé par Hubert Faure.

La plage, les dunes et ses barbelés franchis – aucunes mines n’ayant explosées –, les six Troupes du n°4 Commando se regroupent dans les ruines d’une ancienne colonie de vacances pour déposer leurs sacs, souffler un instant et évaluer les pertes. Bilan : 3 morts et 26 blessés dont Kieffer touché à la jambe. Soigné sommairement, ce dernier rejoindra bientôt ses hommes.

Émile Renault aura eu lui, la chance de traverser la plage sans être atteint.

L’attaque d’Ouistreham et de son casino

Maintenant il faut penser à la mission : rejoindre à tout prix Riva-Bella-Ouistreham à 1 km vers l’est. Mais d’abord, neutraliser dans les dunes un ensemble de blockhaus fortement défendu.

La Troop 8, moins éprouvée lors du débarquement s’en chargera puis progressera le long de la côte en nettoyant tous les points de résistance qu’elle rencontrera, et ce jusqu’au casino.

A 8h00, la Troop 1 et la section K Gun, suivies des 4 Troops britanniques qui doivent prendre l’écluse et le port, rejoignent la route de Riva-Bella, puis celle de Lion-sur-mer. Abrités un moment derrière des chars Sherman débarqués plus tôt, les commandos, menés alors par Hubert Faure, commencent la progression en longeant la ligne de tramway, prenant ainsi l’ennemi à revers. L’avancée est difficile car des tireurs isolés se dévoilent à chaque carrefour, l’obligeant à les contourner par les jardins. Marchant au côté des commandos, l’aumônier du bataillon, René de Naurois, arrive derrière l’un deux qui agite son fusil en criant à un de ses camarades : « Tire ! Mais tire donc ! ». Il se retourne. Le Padre, comme on l’appelle aussi le reconnaît, c’est Émile Renault, au milieu de la rue qui, les jambes écartées, tire sans arrêt. Au passage des soldats, des civils abrités dans leurs caves sortent dans la rue, curieux, étonnés. Parmi eux, Marcel Lefèbvre, un vétéran de 14-18 et résistant. Connaissant les emplacements allemands, il leur propose de faire le coup de feu et de les guider.

Heureusement, car en remontant la rue Pasteur menant au casino, à 200 mètres sur leur droite, un belvédère en béton sur pilotis, doté entre autres, d’un canon anti-aérien de 20 mm sur son sommet et de mitrailleuses, risque de menacer les commandos. Un groupe de la Troop 1 se chargera de neutraliser ce point fort qui ne tombera qu’après la chute du casino.

Pendant ce temps, la Troop 8, aidée de la section K Gun qui l’a rejoint, est maintenant arrivée,après bien des difficultés, sur le boulevard du Maréchal Joffre, parallèle à la plage, et progresse vers le casino pour en tester les défenses. Après plusieurs tentatives, n’ayant pu les détruire faute d’armes lourdes, elle se repliera puis retournera vers les ruines de la colonie de vacances.

Vers 9 heures, arrivés en haut de la rue Pasteur, les commandos de la Troop 1 vont découvrir en son travers un grand mur en béton à chicane les bloquant mais aussi les protégeant des feux du casino. Envoyé en reconnaissance en avant de ce mur, le commando Rollin se risque à sortir, aussitôt un coup de feu claque. Repéré par un sniper du belvédère ou plus vraisemblablement d’une grande villa dont nous parlerons plus loin, le commando s’écroule, gravement blessé à la tête [10] ; le capitaine-médecin Lion venu le secourir est lui, tué d’une balle en plein cœur. De retour avec le groupe de commandement, Philippe Kieffer soigné d’une deuxième blessure a repris la tête de ses hommes. La situation est compliquée car les commandos se sont aperçu qu’un fossé antichar longeait le boulevard du Maréchal Joffre passant devant le casino.

Fin de parcours pour Émile Renault

Afin d’avoir une vue d’ensemble du terrain, le second-maître (sergent) Guy Hattu, arrivé en renfort, pénètre avec plusieurs commandos dans une villa à gauche de la rue, face au casino et s’installe à l’étage avec Émile Renault, tireur d’élite. En fait de casino (qui n’a rien à voir avec celui du film Le jour le plus long), il n’en a plus que le nom. Rasé par les Allemands en octobre 1942, seules ses fondations ont été conservées et transformées en un redoutable ouvrage défensif avec différents postes d’artillerie sur le dessus (1 canon anti-char et 2 anti-aérien de 20 mm) et de mitrailleuses au sous-sol.

Guy Hattu se poste à une lucarne, Émile Renault à une autre, mais ce dernier, gaucher, lui propose d’échanger sa place afin de pouvoir mieux tirer. Ainsi, le sous-officier redescend au rez-de-chaussée et regarde par une fenêtre pour trouver un moyen de franchir les barbelés.

A l’étage, Émile tire avec son fusil à lunette sur les soldats du casino. La maison est alors prise sous des feux croisés : ceux du casino et ceux du belvédère mais aussi des snipers postés dans la grande villa, 100 m à leur gauche (hôtel St-Georges, Kommandantur, actuellement hôtel Villa Andry). Une volée de balles claque sur les murs de la maison puis une forte détonation se fait entendre : un canon vient de tirer. Presque aussitôt, Émile ressent un énorme choc qui le projette sur le sol où il reste allongé, gravement blessé. Hagard, il ne comprend pas ce qu’il lui est arrivé.

Guy Hattu, se croyant lui-même visé remonte à l’étage en courant et découvre alors son camarade. Il témoigne [11] :

« ... je recule, épouvanté. Le camarade que j’ai laissé, et qui a demandé ma place tout à l’heure gît de tout son long, la poitrine trouée. Il a reçu un obus du canon anti-char en pleine poitrine... Ses yeux grands ouverts me regardent ! »

Émile n’est pas mort sur le coup, mais son état est désespéré. Hattu fait appeler l’infirmier de la troupe, Gwen-Aël Bolloré, qui raconte :

« ... Derrière ces soldats en armes, un homme est allongé à même le sol. Un homme ?
Plutôt une partie d’homme.
Renault agonise. Un obus de mortier l’a frappé au niveau de l’épaule droite. Du cou au flanc un trou béant, un trou sec, cautérisé par le feu. Dans la plaie largement ouverte, des organes frémissent encore. Le cœur s’entête à palpiter, des lambeaux de poumon s’affolent...Renault vit toujours... Mais lui, et ses yeux, qui toujours me fixent... [12] »
.

On constate que selon les témoins les versions diffèrent. Renault est dit blessé soit par un obus anti-char soit par celui d’un mortier. Il en est de même pour l’origine du tir, certains le disent parti du casino, d’autres du belvédère, voire de la batterie Daimler située à... 2 kms en arrière.

Quoiqu’il en soit, ces avis contradictoires ne changent en rien le sort de notre commando.
L’aumônier René de Naurois, lui aussi a été appelé mais il arrive trop tard. Émile Renault est mort, il avait 23 ans. Il sera enterré provisoirement un peu plus tard, non loin de là, avec ses camarades morts précédemment. Sa plaque d’identification récupérée par Guy Hattu restera jusqu’à ce jour dans la famille de ce dernier. En dépit de ce drame le combat doit continuer.

De chaque côté le feu est très violent. Malgré l’acharnement des bérets verts, le casino résiste toujours, il semble imprenable face aux tirs des mitrailleuses, à ceux des mortiers et même aux coups des P.I.A.T [13]. D’ailleurs leurs munitions s’épuisent et les effectifs étant réduit d’un tiers, un assaut semble impossible. Il faudrait un char pour neutraliser ce point d‘appui. Parti un peu plus tôt à travers la ville, le commandant Kieffer, contacté par un agent de liaison ramènera un des Centaur [14] débarqués sur Sword. Debout près de la tourelle, il dirige le tir contre le casino. Après quelques coups précis les canons se taisent, déclenchant la pagaille chez l’ennemi et la joie chez les Français. Leurs mitrailleuses se déchaînent, ils vont enfin pouvoir donner l’assaut. En réalité, si plus aucun coup de feu ne part du casino après l’intervention du char, il semblerait que les commandos de la Troop 1, par manque de temps, n’aient pu franchir le fossé car à ce moment, on leur a donné l’ordre de se replier et de rejoindre la colonie de vacances. De ce fait ils n’ont donc pu nettoyer le point d’appui et faire eux même prisonniers ses occupants, ce qu’ils prendront comme une frustration. Ce serait les éléments britanniques débarqués plus tard qui auraient fini le travail (In Le commandant Kieffer, de Stéphane Simonnet). La position du belvédère tombera elle aussi un peu plus tard avec l’aide du char.

La Troop 8 ayant neutralisé en partie les défenses de la plage, et le port et l’écluse étant aux mains des Anglais, les combats pour Ouistreham sont maintenant terminés. Il est environ midi.

Les commandos français se regroupent en ville à la station du tramway, PC provisoire du 1er BFMC, puis retournent rapidement vers leur lieu de débarquement pour récupérer leurs sacs et se reposer un instant. Vers 13h00, les rescapés du 1er BFMC se mettent en routent avec le reste du n°4 Commando et se dirigent d’abord vers Hermanville puis empruntent la route de Colleville-sur-Orne à Saint-Aubin-d’Arquenay où des tireurs embusqués vont se dévoiler. Ils rejoignent ensuite les ponts de Bénouville, dont un – dit plus tard Pegasus Bridge –, enjambant le canal et l’Orne où le reste de la 1re brigade de lord Lovat et son fidèle piper [15] », arrivé vers midi, a fait la jonction avec les parachutistes de la 6th Airborne [16] attendant leur relève.

Au soir de cette journée, les hommes du Commando Kieffer / 1er BFMC ont atteint Amfreville-le-Plein, l’objectif qui leur était assigné. Le bilan est lourd : 10 tués et 34 blessés évacués vers l’Angleterre. Si pour Émile Renault et ses camarades tués ce 6 juin, la vie s’est terminée ici, il n’en est pas de même pour le reste du Commando. Il poursuivra sa participation à la bataille de Normandie jusqu’au 27 août 1944 à l’est de l’Orne, avant de rentrer en Angleterre. Il repartira ensuite vers la France puis les Pays-Bas. Mais ceci est une autre histoire

Conclusion, épilogue

Après sa première sépulture à Ouistreham, le corps d’Émile Renault fut ensuite transféré au cimetière britannique d’Hermanville où il repose désormais dans l’une des 1005 tombes, auprès de deux frères d’armes du 1er BFMC, Raymond Dumenoir et Augustin Hubert. Chaque 5 juin, à 18 h, un hommage est rendu dans cette nécropole à ces trois bérets verts tués au matin du 6 juin 1944. Leurs noms figurent également sur les stèles des morts de ce jour, au pied de la Flamme, mémorial aux commandos français à Ouistreham, ainsi que sur le mur du Mémorial britannique de Normandie à Ver-sur-Mer.

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Émile Renault fut cité à l’ordre de la division : "A été tué alors qu’il accomplissait une mission dangereuse de progression le 06 06 1944. Belle conduite au feu". Croix de Guerre 39-45 avec étoile, à titre posthume".

En son honneur, le nom d’Émile a été inscrit avec celui de son frère sur le Monument aux Morts de Pléneuf-Val-André, son village d’origine. S’étant révélé à nous tardivement, Émile Renault a rejoint à jamais le panthéon des Morts pour la France de notre arbre généalogique.

On peut ajouter que grâce à la ténacité de Jean-Christophe Rouxel et de quelques autres, la photo d’Émile Renault, dernière absente des 177 commandos, après dix ans de recherche, fut enfin trouvée et officiellement validée en novembre 2023. Elle aura ainsi eu l’honneur, à l’occasion du 80e anniversaire du débarquement, d’être exposée avec d’autres visages de ses camarades dans les rues d’Ouistreham et ainsi illustrer une des glorieuses pages des 177 Français du Commando Kieffer.

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Sources :
Parcours de vies dans la Navale : http://ecole.nav.traditions.free.fr/177_renault
D-Day Overlord : www.dday-overlord.com
Plan attaque casino : https://forum.commandokieffer.com/index.php?threads/casino-de-ouistreham.41/
Photos d’Emile Renault : Musée Fusiliers Marins de Lorient : http://musee.fusco.lorient.free.fr/
Musée n°4 Commando de Ouistreham : www.musee-4commando.fr

Bibliographie :
Commando Kieffer, 177 visages du Jour J, de Benjamin Massieu et Jean-Christophe Rouxel, éd. Pierre de Taillac.
Les Français du Jour J, de Benjamin Massieu, éd. Pierre de Taillac.
Un matin à Ouistreham, de Guy Hattu, éd. Tallandier.
J’ai débarqué le 6 juin 44, Commando de la France Libre, de Gwenn-Aël Bolloré, éd. Cherche midi.
Le commandant Kieffer, de Stéphane Simonnet, éd. Tallandier.


[1RA : lettres non identifiées ; CP : Compagnie de passage

[2Services de contre-espionnage britannique

[3Wikipédia, André Gillois, Histoire des Français à Londres, de 1940 à 1944, hachette 1973

[4Un matin à Ouistreham, 6 juin 1944 (Guy Hattu), éd. Tallandier

[5au nord-est de l’Écosse à une vingtaine de kms d’Inverness

[6battle-dress : vêtement de combat

[7Lee Enfield Mark 1 n°4 avec lunette de précision

[8LCI : Landing Craft Infantry (barges de débarquement)

[9L.C.A : Landing Craft Assault (péniche de débarquement)

[10Rapatrié en Angleterre, Rollin décèdera le 12 juin.

[11Un matin à Ouistreham, Guy Hattu, éd. Tallandier

[12Gwenn-Naël Boloré, J’ai débarqué le 6 juin 1944

[13P.I.A.T : Projector Infantry Anti Tank (arme anti-char britannique)

[14Centaur MK IV : char britannique

[15piper : joueur de cornemuse

[166e division aéroportée britannique

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