Ainsi au début de son récit, il suggère que ces phénomènes étranges seraient une manifestation du mécontentement de l’esprit de son défunt père. En effet, trop occupé par une surcharge de travail dans l’exercice de son ministère, notre curé aurait négligé ses prières pour le repos de l’âme de son paternel. Mais, à la fin de son texte, notre curé émet un doute sur le caractère surnaturel de ces bruits dérangeants. Ainsi, il envisage clairement la présence d’une personne cachée sous les combles de la cure. Pour ma part, je laisse le lecteur se faire sa propre opinion sur cette étrange histoire.
L’orthographe d’origine est respectée, par contre la disposition du texte est aérée pour faciliter la lecture.
Cependant six semaines on a oüi un grand bruit dans lad[i]te cure presque toute les nuict et si vray que mes nepveux nosant couché seuls appelloient les voisins p[ou]r couché de compagnie avec eux qui ont eu part de la peur causée par le bruit et moy certifiant estant dans le lict, je me sentis roulé de part et dautre dans led[i]t lict comme lors quon excite un dormant p[ou]r leveillere.
Je criat : qui est la
Une voix me respond en langue vulgaire [2] : Il est jour
Je leve mon rideau et je respond : il n’est pas vray
Après quoy jentent un bruit tout le long de ma chambre comme si un avoit trainé un plain sac de bled. Je me leva promptement, je chercha partout, je ne trouve personne et cestoit laube du jour. A linstant jalla dire la s[ain]te messe p[ou]r mon d[i]t pere et comme mad[a]me Buffet vient a mourir, je feu occupé pendant une neufvaine de messes [3] p[ou]r elle. Et les bruits de lad[i]te cure saugmentoit led[i]t soir 27 dud[i]t fevrier.
Un mercredy des quattres temps [4] a neuf heures du soir pendant un temps de pluyes sans fins, venant de veoir un malade, le s[ieu]r Buffet de Lyon, p[ou]r la confession, estant entré dans mon d[i]t presbitaire et ayant fermé la porte a la clef par derriere et allumé la lampe p[ou]r faire ma priere, jentent un grand coup sur la planchié d’en haut en la chambre du dessus le pressoir, ou meme jentra, et soudain voyla un bruit si viollent que douze batteurs de bled nen auroient pas faict davantage. Le granie [5] me tomboit dessus de tout coté comme la grele.
Je crie : qui est la haut
Point de reponse. Je sort et passe par la grande chambre et entre dans la petite ou je couche. Led[i]t bruit continue.
Jecria plusieurs fois : qui est lâ haut, respondé, que voulé vous
Et il neut aucune responce. Je le presse et luy dict : respondé de la part de Dieu, que voulé vous
Et p[ou]r lors jent[end]ois une voix qui me respond d’un ton pitoyable : et dalent [6], hoy.
Je luy demande p[ou]r une seconde fois : est vous en peine
Il me respond p[ou]r la 2[de] fois : hoy
et pour la 3[iè]me : je vous promet pere que je prieray Dieu demain p[ou]r vous
Il me respond p[ou]r la derniere fois : hoy
et fit en mesme temps encor un bruit en se trainant par le dessus de la chambre. Et de peur que je ne feut trompé par quelqu’un, jalla moy mesme au galata [7] soit par dessus toute les chambres avec ma lampe allumée que je n’avois point quitté et chercha par tous les coins. Je ne trouva rien.
Tout le conteneu cy dessus est véritable sans adjout ny diminuer. C’est un homme de cinquante ans qui parle, p[re]tre et curé quine vouldroit pas conté des fables, et le lendemain, j’envoya prendre les p[re]tres du voysinage p[ou]r prier p[ou]r le respot de lame de mon d[i]t pere. Ensuite de quoy nous n’avons oüi aucun bruit. Je certifie par foy et serment quil est véritable, ce 29 février 1692. Brunet curé.
- Registre paroissial de Léaz (Ain), sépulture 1681-1697, vues 15, 16, 17, 18/24.
Note : Cette mention insolite est la seule rédigée par le curé Brunet dans les registres paroissiaux. Pour lui, en dehors de la rédaction des actes, la démarche d’écriture n’était pas donc d’un usage régulier. Sans doute est-il trop occupé par sa charge de travail. Mais il est évident que cette unique expression écrite a été dictée par la nature des faits et la stupéfaction éprouvées en de telles circonstances. On image sans peine son émoi en pareille situation.
Cet ouvrage, étude inédite, se propose de vous faire découvrir quelques-unes de ces mentions insolites et de vous en montrer la richesse historique et généalogique. Il répond à bien des questions au sujet de ces textes insolites qui parsèment les registres paroissiaux : Pourquoi certains curés notent des mentions insolites ? Que nous apprennent-elles sur la vie quotidienne de nos ancêtres ? Comment repérer, déchiffrer, transcrire et commenter ces témoignages du passé ? Comment les utiliser pour compléter notre généalogie et l’histoire de notre famille ou de notre village ?