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Les propos d’un curé de campagne (3e partie)

Le jeudi 19 juin 2014, par René Albert

Clément XIII et Clément XIV, deux papes peu cléments…

Mathieu Joseph Boucard, prêtre de Vaux-sur-Vienne jusqu’en 1789, outre des faits locaux intéressant sa paroisse et les paroisses voisines, nous relate des faits historiques intéressant les papes Clément XIII et Clément XIV. L’intérêt de ses écrits est qu’il reprend des échanges de courriers entre le premier cité et les principaux rois européens du moment concernant un antagonisme latent de gouvernance. Quant à Clément XIV, il nous rapporte la décision de dissolution de l’ordre des jésuites par ce dernier, ainsi que les circonstances étranges de la mort de ce pape.

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Clément XIII
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Clément XIV

En 1768, Louis XV avait déjà banni les jésuites, et si les faits évoqués sur Clément XIII ne semblent pas être en rapport avec l’ordre des jésuites, ils ne doivent pas y être étrangers car en Janvier 1769 les rois européens mirent le pape en demeure de le dissoudre. Quelques jours après, alors qu’un consistoire allait se réunir pour en décider, la veille de celui-ci le pape meurt….
Que dit, Mathieu Joseph Boucard ?

« L’infant Don Philippe, duc de Parme, pour avoir publié plusieurs édits tendant à lever des imposts, également sur les biens ecclésiastiques que sur tous ceux de ses États, est excommunié par Clément XIII, comme ayant contrevenu à la bulle « in cana domini ». Toutes les puissances de l’Europe se soulèvent contre cette excommunication et demandent la révocation du « bref » par lequel elle est portée, ainsi que de la bulle « in cana domini ». Voyez ci-après les raisons par lesquelles elles se fondent. Elles en viennent même à s’emparer des duchés de Bénévent, d’Avignon qui appartiennent au pape. Les Rois du Portugal, de Naples, d’Espagne, l’Impératrice reine de Hongrie, proscrivent la bulle « in cana domini », défendant de l’imprimer et ordonnent de rayer tout ce qui peut y avoir quelque rapport dans les livres d’église, à quoi personne ne propose pas même aucun examen, si ce n’est ceux de la Lombardie Autrichienne, particulièrement l’archevêque de Milan et le cardinal Durini, évêque de Pavie, parce que cette bulle avait été publiée par cette charte ».

Ces faits sont relatés en fin d’année 1768 et il nous est proposé en premier la lettre adressée au pape par LOUIS XV mais nous n’évoquerons celle-ci qu’un peu plus tard car le pape avait, semble-t-il, adressé un courrier sensiblement identique à plusieurs souverains, dont l’Impératrice de Hongrie, courrier qui est mentionné par le curé Boucard. Cette missive permet de situer le problème et de voir les différentes réponses qui lui sont faites. Déjà, en 1768, les jésuites étaient bannis de France et la plupart s’étaient exilés.

Lettre du pape Clément XIII à l’Impératrice reine de « Ongrie »

« A notre Très Chère fille en Jésus Christ, persuadé que votre Majesté est supérieure à tous les objets de la félicité humaine et aux préjudices qu’une fausse raison d’État fait envisager aux rois, en les -------- sous l’apparence du bien ; nous sommes assurés qu’elle ne peut voir qu’à votre douleur qu’on dépouille le sanctuaire, qu’on avilisse la dignité apostolique, qu’on met le Saint Siège apostolique et la religion en péril. Nous avons recours à vous comme à une étoile que le ciel nous montre pour nous sauver de la tempête. Nous nous tournons vers votre majesté avec une pleine confiance qu’elle consolera notre triste et malheureuse vieillesse et que par la puissante protection elle nous obtiendra de nos fils la paix, cette paix si nécessaire à la religion et l’église et au véritable bien des souverains. Rien n’est plus digne de votre majesté et de sa généreuse main que de procurer et de rendre la paix à l’église qui offre continuellement au ciel des vœux et ses prières pour la prospérité de votre règne, à l’église qui, pour son malheur, et pour la nôtre, est opprimée par ceux de ses fils qu’elle s’est la plus étudiée à combler de faveurs.

Pressé par la Sainteté du ministère que Dieu nous a confié, et par une dure nécessité, nous nous sommes exposés malgré nous à leur causer quelque peine en leur faisant entendre cette voix qui annonce un prétendu pour les retirer du péril et des portes de la mort. On a prétendu que cette voix était démentie par nous-mêmes et parce que grâce à Dieu, nous avons résisté avec un courage sacerdotal à une si indigne prévarication, sur cet unique prétexte, on attaque l’église avec cette épée que les souverains ne portent que pour la défendre, on insulte à main armée le pasteur du troupeau de Jésus Christ, on soustrait les peuples à l’obéissance qu’ils doivent à son souverain légitime, on s’empare de nos États, d’un patrimoine qui n’est point à nous, mais à Saint Pierre, à l’église et à Dieu.

Nous respectons de toute manière dans les mains de ces rois qui nous frappent, la toute puissante main de Dieu qui nous visite et nous humilie en se servant comme de verge de ceux même de nos fils qui nous sont les plus chers et il serait dans notre pouvoir de nous venger et d’opposer une défense vigoureuse à la violence qui nous assaillit, nous préférerions l’humilité au triomphe, sachant bien que notre force est dans la piété des monseigneurs et que nos armes sont les larmes et le prières. Les souverains qui s’élèvent contre nous avec tant de courroux sont nos fils que nous respectons le plus, ils sont aussi les plus étroitement unis à votre majesté par les liens de l’amitié et du sang. Que votre majesté implore donc auprès de ces fils, séduits par de fougueuses apparences, et par des conseils trompeurs, la paix de l’église, la paix et la sûreté pour ses infortunés sujets dont les désastres ne viennent de ce qu’ils sont protégés par l’église et de ce qu’ils ont juré obéissance au prince des apostres.

Et les princes se sont emparés des duchés d’Avignon et de Bénévent et ce pour engager sa Sainteté de révoquer le « bref » d’excommunication porté contre le Duc de Parme.

Nous prions Dieu qu’il comble votre majesté de toutes les grâces et qu’il vous conserve jusqu’à la vieillesse la plus avancée pour le bien de l’Église et pour le bonheur du monde chrétien. Donné à Rome le 29 juin 1768.

Les espérances d’obéissance et d’accalmie des hostilités des souverains européens aux décisions du pape ne furent par du goût de ces derniers et ils l’exprimèrent tous dans les semaines et les mois qui suivirent. En premier, nous reprendrons les termes de la réponse de l’Impératrice de Hongrie, en l’occurrence Marie Thérèse d’Autriche. Ce fut une coalition et l’on retrouve dans toutes les lettres, retranscrites par le curé Boucard, les mêmes arguments, avec plus de modération de la part de l’Impératrice de Hongrie.

Réponse de la reine de Hongrie

« Très Saint Père, j’ai esté vivement touchée d’apprendre par la respectable lettre de votre Sainteté, les afflictions qui agitent votre âme dans les conjonctures actuelles. Mon attachement filial à la sacrée personne de votre Sainteté, comme au chef de l’Église, me rend extrêmement sensible à tout ce qui peut lui causer quelque préjudice ou quelque chagrin. Personne ne désire plus sincèrement que moi que ce qui a donné lieu à ces contretemps n’eut jamais existé et que les souverains catholiques les plus remplis de respect pour le Saint Siège n’eussent jamais esté dans le cas de faire de la peine à la personne de votre Sainteté. Je ne refuse pas néanmoins de mettre tout en œuvre pour procurer la fin de ces démêlés, dès que la religion peut en souffrir mais l’affaire actuelle n’étant pas, grâce à Dieu, de cette nature, et ayant plutôt rapport à des droits qui appartiennent à la souveraineté dont chaque prince est seul juge, et qu’il ne lui est pas permis de perdre de vue. Votre Sainteté comprendra aisément que ce qu’elle me fait l’honneur de me demander est une entreprise très délicate et d’un succès difficile, cependant pour correspondre à la confiance paternelle de votre Sainteté de la meilleure manière que me le permettront les circonstances de l’affaire, les temps, la considération de ce que je me dois à moi-même, et les principes fondamentaux d’un gouvernement déjà connu de votre Sainteté et qui servent de base à toutes mes actions en qualité de souveraine, je plaiderai vos désirs. J’essaierai d’interposer mes bons offices, j’exhorterai amicalement les trois cours royales à vouloir bien épargner à votre Sainteté tout motifs ultérieurs d’affliction.

Plaise à Dieu que cette tentative, à laquelle m’engage mon seul attachement pour le suprême pasteur de l’Église, ait un succès proportionné à vos espérances et à mes vœux. J’aurai donné par là à votre Sainteté une preuve de ce que peuvent sur moi, ma vénération pour votre personne, mon empressement à contribuer à sa tranquillité et mon amour naturel pour la paix.

Dans cette confiance, je prie le ciel de faire cesser vos peines et de vous combler de consolation. Je demande à votre Sainteté la bénédiction apostolique. A Vienne, le 2 août 1768.

Voilà une jolie lettre, pleine de retenue mais qui n’apporte pas un soutien total aux positions du pape. Louis XV ne fera pas mieux, même pire...

Lettre du roi de France

« Très Saint Père, les circonstances particulières m’ont obligé à différer jusqu’à présent de répondre à la lettre que votre Sainteté m’a écrit le 23 juin dernier. J’y ai reconnu avec admiration les principes de religion et les éléments de piété dont votre cœur est animé. J’y ai vu aussi avec la plus vive reconnaissance la juste opinion que votre Sainteté veut bien avoir de mon attachement inviolable à l’église et au chef à qui la noviciance en a confié le gouvernement.

Je n’ai sincèrement désiré de pouvoir épargner à votre Sainteté la douleur qu’elle ressent du parti que j’ai esté obligé de prendre à l’occasion du « bref » du 30 janvier contre les édits que l’infant, duc de Parme, mon neveu, avait publié dans ses États, pour réprimer les abus des immunités ecclésiastiques.

Quoique la puissance temporelle que le prince a reçu de Dieu, comme tous les autres souverains, lui donnant le droit de remédier par lui-même à ces abus, il a eu néanmoins pour votre Sainteté la déférence filiale de ne vouloir rien établir dans cette partie sans l’approbation et le concours de l’autorité pontificale. C’est seulement après avoir éprouvé de la part de votre Sainteté une inflexibilité, qui ne lui laissait plus aucune espérance que l’infant, mon neveu, s’est servi de sa puissance, mais avec une modération et une justice qui auraient dû lui attirer de la part de votre Sainteté toutes sortes d’éloges. Si avant que de faire afficher son « bref », votre Sainteté avait bien voulu me prévenir du motif de ses plaintes, alors, de concert, avec tous les princes de mon sang, je vous aurais représenté toutes les raisons qui devaient vous détourner d’une démarche si irrégulière et si violente contre un prince qui méritait à tous égards plus de condescendance, et, que dans cette occasion n’a fait pour ses États qu’une partie de ce que plusieurs autres souverains catholiques ont exécuté depuis longtemps dans les païs de leur domination. Il ne serait ni juste, ni raisonnable, de regarder comme illégitime à Parme, ce qui, sans contredit, est légitime ailleurs pourvu toutefois que des motifs d’une politique mondaine, la jeunesse de l’infant, la peu d’étendue de ses États et l’idée qu’il peut n’estre pas soutenu par les princes de sa famille, ne fassent point adopter des maximes différentes, faisant la diversité des lieux et des personnes auxquelles on les applique. Votre Sainteté est assurément très éloignée de penser et d’agir sur des principes si répréhensibles. L’opinion bien fondée que j’ai de ses lumières et de ses vertus me persuadent également que son intention ne fut jamais de donner atteinte à l’indépendance de la souveraineté temporelle par laquelle l’église n’a, ni directement, ni individuellement, aucun pouvoir de même que la juridiction qui appartient aux souverains, n’a, de son coté, aucun pouvoir sur la juridiction présentement spirituelle de l’église et du Saint Siège. Cette vérité, reconnue sans contradiction dès les premiers siècles du christianisme est toujours la même et n’a pu, ni dû, estre altérée ou obscurcie par des entreprises contre lesquelles on a toujours réclamé.

Toutes les réflexions exposées à votre Sainteté auraient sans doute prévenu l’éclat et les suites fâcheuses du « bref » si des conseils trop violents et peu éclairés n’eussent malheureusement prévalu sur les sentiments modérés et pacifiques. Il dépend uniquement de votre Sainteté de réparer les maux qui causent sa douleur et son trouble et de se procurer cette tranquillité qui est l’objet de ses vœux. Mon ambassadeur et les ministres qui résident auprès du Saint Siège de la part des autres souverains de ma maison, expliqueront à votre Sainteté nos communes intentions et elle pourra nous faire connaître par leur canal si elle est animée des mêmes défis qui nous disposent à contribuer, autant qu’il nous sera possible, au repos de votre Sainteté, ainsi qu’à la gloire et à la prospérité de votre pontificat ».

Louis XV n’est pas tendre dans ses propos malgré la diplomatie montrée dans les termes employés dans sa lettre. Il en est de même dans celle adressée par le roi d’Espagne que nous proposons à votre lecture :

Lettre du roi d’Espagne au pape

« Très Saint Père, si lorsque j’ai reçu la vénérable lettre de votre Sainteté du 23 Juin, je me fusse laissé aller aux mouvements de mon cœur, et de ce respect avec lequel j’ai donné autant qu’aucun de mes parents prédécesseurs, des preuves si multipliées et si notoires d’amour et de dévouement filial pour l’église, ma mère, et pour le vicaire de Jésus Christ, j’aurais répondu sur le champ à votre Sainteté dans les termes les plus satisfaisants mais, dès que je me rappelle la vraie origine des chagrins d’un père que j’honore pour sa sublime dignité et ses grandes vertus, qu’elle est ma douleur de me trouver dans l’affligeante impossibilité de les dissiper. Je voudrais que les opérations du Roi des Deux Siciles, mon très aimé fils et le mécontentement de tous les princes de mon sang royal fussent, par un malentendu, dépourvu de justice car alors, quoyque les princes soient indépendants de ma puissance, j’ai toute confiance dans leur modération et dans leur droiture que j’emploierais auprès d’eux mes bons offices avec espérance de succès. Mais Saint Père sont ils promoteurs de ces actes qui remplissent votre Sainteté « d’aincistance » (insistance). Si votre Sainteté, avant d’employer les armes de l’église contre l’infant, Duc de Parme, eut recours, comme elle fait aujourd’huy, à ses parents les plus proches, j’aurais pour ma part représenté à votre Sainteté que les règlements faits par ce jeune prince ne passent pas les bornes du pouvoir qu’il a reçu de Dieu avec la souveraineté, que la souveraineté étant une et ayant un égal pouvoir dans tout le monde, on ne peut pas regarder comme illicite pour le souverain de Parme ce qui ne l’est point pour les autres princes et États catholiques. Qu’il ni à rien de plus que ce qu’on fait les autres princes et états et qu’il y a esté enseigné par des raisons qui ne sont pas moins fortes, ni moins pressenties que si un pouvoir égal à celui des autres souverains il eut violé la vraie immunité ecclésiastique. Ce n’était pas une chose arbitraire de l’attaquer par des points, auxquels on consent à l’égard des autres, à moins que par des considérations d’une politique mondaine et supposant que le prince pouvait être abandonné par sa famille, on ne prétendit se prévaloir de sa tendre jeunesse pour élever à son préjudice une distinction aussi odieuse que peu équitable. J’aurais fait observer à votre Sainteté que son éclat contre le Duc de Parme offenserait généralement tous les souverains catholiques, les uns parce qu’ils verraient enlever leurs droits primitifs dont ils peuvent rétablir------ qu’ils le jugeront nécessaires, les autres parce qu’ils le verraient, dans un péril imminent, leurs droits royaux qui sont en pleine vigueur tous ensemble, parce qu’ils verraient que l’on persiste toujours dans la maxime le disputer à Cézard ce que Cézard jamais encore adjoute que les condescendances des souverains antérieurs à nos temps ne pensaient point établir une « pocessions » inviolable lorsque l’abus les a rendu pernicieux ou ------- enfin que si votre Sainteté jugeait encore pouvoir s’approprier, avec quelque fondement, un domaine temporel qui est déjà prescrit, ne devrait pas estre étonnée que d’autres fissent valoir des droits réels qui leur appartiennent. J’aurais dit tout cela à votre Sainteté avec cette confiance que me donne mon ardent défi d’établir mes paroles et mes actions sur de solides fondements, en écoutant avec tranquillité, comme je l’ai fait jusqu’à présent, non une seule preuve, mais plusieurs, non une classe d’homme mais dans tous les États non suspects et recommandables par leurs vertus, par leur doctrine, par leur amour pour la religion et par leur respect pour le Saint Siège. Mes représentations auraient peut être fait impression sur l’âme juste et pleine de douceur de votre Sainteté mais il n’est pas arrivé ainsi. Des suggestions malines et violentes ont triomphé. Ils sont venus à bout de leurs destins ces hommes qui sont les ennemis de la paix, les perturbateurs de l’univers. Ces hommes qui, quand leur intérêt l’exige, ont la témérité ----- de rendre problématique la religion de leurs souverains et celle de leurs conseillers (n’y a-t-il pas là une allusion au pouvoir des jésuites ?). Le titre dont je me glorifie est celui de très affectionné de l’église. Je ne le cède en qui que ce soit en amour pour votre personne sacrée. Personne n’a plus d’ardeur que moi pour procurer à votre Sainteté toutes les satisfactions possibles mais, en même temps, je conçois que votre main seule peut vous procurer cette tranquillité que je vous désire. Les ministres et ambassadeurs qui résident auprès de votre Sainteté vous expliqueront mes intentions et celles des souverains de ma famille toutes les fois que votre Sainteté, en vous continuant son affection pastorale, daignera leur montrer de son costé une égale disposition pour la paix. En attendant je demande la bénédiction apostolique de votre Sainteté et je prie le Seigneur de conserver votre personne sacrée pour le bon et heureux gouvernement de l’église universelle. A Saint Hildefonse le 9 août 1768.

En Espagne, les Jésuites se croyaient en sûreté, mais Charles III d’Espagne (1759-1788) impressionné par ce qu’on affirmait en France, choisit finalement d’agir encore plus énergiquement : dans la nuit du 2 au 3 avril 1767, toutes les maisons des Jésuites en Espagne furent soudainement encerclées, et ceux qui s’y trouvaient furent arrêtés, expédiés vers les ports dans les vêtements qu’ils portaient sur eux et entassés sur des bateaux qu’on envoya à Civitavecchia [1]. Le pape défendait âprement l’existence de l’ordre des jésuites, ayant été lui-même élevé au sein de cet ordre. A Rome, les jésuites étaient dans l’entourage du pape et ne devaient pas être étrangers aux divers courriers adressés aux souverains européens.

Mathieu Joseph Boucard n’arrête pas là son exposé sur l’affaire Clément XIII et rapporte les conclusions des ministres du pape sous forme d’un mémoire en réponse aux courriers des souverains européens. Il nous dit :

« Il est très vrai, y est il dit, que si le Saint Père accordait la révocation du « bref » dont il est question, ce serait de sa part détruire et abolir dès ce temps, et à jamais, la force et l’autorité de tout ce que l’Église a légitimement établi et ordonné pour régler les points les plus importants de la discipline pour maintenir le bon ordre et le bon gouvernement des choses et des personnes consacrées à Dieu, enfin pour la conservation nécessaire des immunités, libertés et juridiction ecclésiastiques. On verrait émaner par une telle démarche de la main même du souverain pontife, dans laquelle l’Église a mis comme en dépôt ses plus fortes lois et les fondements inébranlables de leur conservation et de leur défense, le renversement de ces mêmes lois et la ruine entière de leur pouvoir pendant tous les temps à venir. Rien n’est plus
propre à faire voir qu’il est absolument impossible à sa Sainteté de céder aux instances qui lui sont faites à ce sujet et qu’il lui est indispensable de protester qu’il n’est rien au monde qui puisse estre capable de la faire tomber dans une si grande prévarication de son ministère apostolique et ainsi sa Sainteté n’a rien de plus à cœur que de se prêter à tous les moyens possibles de donner aux souverains catholiques les justes satisfactions qu’ils peuvent désirer ; elle déclare que si souvent en voyant ses fils qui ont occasionné le « bref » pontifical et remettre les choses où elles étaient auparavant, elle est prête à revenir aux anciens traités et très disposée à donner les mains et à « accourir » avec le grand plaisir à tout ce qu’on jugera convenable pour le bon ordre des affaires ecclésiastiques pour la « tranquillité » des peuples et des communautés des États de Parme et de Plaisance. Elle se prêtera toujours de très bon cœur à ce que de semblables objets peuvent exiger quand cela ne sera point contraire aux maximes fondamentales de l’Église et aux mouvements de sa propre conscience.

A ce que l’on exige que le Saint Père reconnaisse purement, simplement et absolument le souveraineté du Seigneur infant dans les États de Parme et de Plaisance, sa Sainteté s’est pareillement expliquée là-dessus et eu la force de répéter ce qu’elle a déjà dit, c’est qu’il ne lui est pas permis de le faire. Le souverain pontife n’est pas le maître absolu des domaines et des droits temporels de l’Église Romaine et du patrimoine de Saint Pierre. Il n’en est que le simple dépositaire et le gardien. Il ne peut donc, quand même il le voudrait, renoncer validement à ces droits très solidement établis que le Saint Siège avait et toujours eu, depuis plusieurs siècles, avait sur ces États.

La condition des Duchés de Parme et de Plaisance fut changée sous le pontificat de Clément XII de « triste » mémoire. Mais le souverain pontife et BENOIT XIV, son successeur immédiat, ont toujours mis et couvert les droits appartenant au Saint Siège sur les duchés, tant sur les actes les plus publiques et les plus solennels qu’ils purent faire à cet égard, que par tous les autres moyens qu’ils jugèrent les plus convenables, relativement aux circonstances. Sa Sainteté, pendant tout le cours de son pontificat, n’a rien fait de plus, ni de moins qu’eux. Et si dans le « bref » du 30 janvier, sa Sainteté a, par un seul mot énoncé, le droit que le Saint Siège a juste sujet de s’attribuer par ces États, c’est qu’elle devait nécessairement le faire pour ne pas donner sujet de penser qu’en tenant, dans un acte public et solennel, un langage différent de celui de ses prédécesseurs, elle se désistait et renonçait à ses droits qui lui sont transmis et qu’elle est en conscience obligée de laisser inviolables et sans atteintes de ses successeurs.

D’un autre côté, comme il est certain que personne ne soupçonne jamais qu’il soit tombé dans l’esprit du Saint Père de prétendre troubler par cette expression dont on fait tant de bruit, la paix et la tranquillité et de vouloir renverser les choses publiques, il faut avancer qu’il est bien déplorable et bien douloureux pour sa Sainteté qu’on veuille lui faire un crime de ce que ses prédécesseurs ont fait et pratiqué dans les actes les plus publics et les plus importants, sans que les souverains en ayant conçus aucune inquiétude et témoigné aucun chagrin. »

« Le pape ne voit point la fin de cette grande affaire, il meurt presque subitement. »

En voilà terminé avec Clément XIII qui n’eut pas le temps de disserter lors d’un consistoire sur les sujets imposés par les souverains, dont le devenir des jésuites. La mort de ce pape parait très opportune, mais qu’adviendra t’il de son successeur ?.

Après la mort de Clément XIII, le 2 février 1769, la succession revient à Monseigneur Ganganelli, fils d’un modeste chirurgien et passé, lui aussi, par le collège des jésuites. Le « général » de l’ordre le recommandera auprès du pape Clément XIII qui le nommera cardinal en 1759. Il sera mis sur la touche car il n’était pas d’accord sur la politique du souverain pontife. Il sera nommé pape lors du conclave le 19 mai 1769 et prendra le titre de Clément XIV. Le Saint Siège vivait des moments troublés, subissant des attaques de toutes parts, et étant confronté à l’existence de la Compagnie de Jésus, dont le sort aurait dû se jouer quelques semaines auparavant. Qu’allait décider le nouveau souverain pontife ?. Il faudra attendre quatre bonnes années pour que cette décision soit prise . Mathieu Joseph Boucard nous relate ces faits :

Acte historique de la mort civile des jésuites

« Le 21 juillet 1773, le fameux « bref » « Dominus ac redemptor » de notre Saint Père, le pape Clément XIV fut enfin rendu, portant extinction dans tout le monde chrétien de la Société des Jésuites, aux grands désirs de tous ceux qui pensent sainement sur les dogmes et sur la morale, à la réquisition des Rois de France, d’Espagne, du Portugal, de Naples et de Sicile qui, après les avoir chassés honteusement de leurs États respectifs, ont puissamment sollicité le souverain pontife de rendre la « bulle » susdite sous le prétexte véritable que c’était le seul moyen de rétablir solidement la paix et l’union dans l’univers qu’ils ont troublé pendant 200 ans qu’ils ont subsisté, pendant lesquels ils ont dominé sur tous les autres ordres religieux, sur le clergé séculier, sur les universités et les autres « écholes » publiques, on peut dire sur les princes même, qui avaient daigné les recevoir dans leurs États, et cela par les privilèges presque sans nombre, qu’ils avaient obtenus des souverains pontifes, au moyen desquels ils étaient puissants dans toutes les cours. Indépendants des évêques, ils prêchaient, administraient les sacrements. Point des rois, point des seigneurs qui n’eussent chez eux un jésuite pour confesseur et qui ne fut l’âme de leurs conseils chargés de l’éducation de la jeunesse. Ils possédaient tous les collèges et quelques séminaires. C’était par leur organe qu’on parvenait aux grandes charges, aux bénéfices. Leurs biens étaient aussi considérables que leur crédit, ce qui leur a acquis une infinité de partisans, dont les uns les craignaient, les autres les aimaient véritablement. Presque tout le monde était partagé en ces deux classes. La première a reconnu avec joye la justice de leur destruction, la seconde ne l’a vu qu’avec le plus grand chagrin. Jusque là que plusieurs se sont imaginés que l’Église ne pouvait se soutenir sans les Jésuites et que leur ruine entraînerait nécessairement la sienne, cependant d’autres se consolaient et se rassuraient contre les fausses alarmes en voyant sur les Jésuites l’accomplissement d’une révélation faite à Sainte Thérèse en l’an 1589, qu’elle « reservit » au père Jérôme Gratien, carme déchaussé, son confesseur, en ces termes, « la cupidité, la domination, et la vanité gagneraient les Jésuites, que s’écartant de plus en plus, ils dégénéreraient si fort en hérésie qu’on serait forcé de les détruire et qu’il n’y en aurait plus dans deux cent ans ». On conserve l’original de cette lettre, dont la date est au 21 février, dans les archives des Carmes à Madrid. Enfin l’accomplissement de cette prophétie en « réjoui » d’autres d’autant plus qu’ils voient leurs souhaits accomplis ainsi que ceux des plus illustres défenseurs de la vérité, tels que Monsieur Colbert, évêque de Montpellier, Monsieur Godeau, évêque de Vence, Monsieur Arnault, Monsieur l’évêque Dalet, Monsieur Nicol, Monsieur Duport Royal, qui ont tous été la victime de l’ambition des Jésuites. Cet événement en fait espérer un autre, non moins considérable, savoir que les Jésuites n’étant plus, la doctrine du trop fameux Molina, perdra peu à peu tout son crédit, il ne sera plus question des imputations aussi vagues qu’odieuses de Jansénistes et que la formule établie ne sera plus la pierre de touche pour discerner les ortodoxes. Amen.

Cette décision papale n’est-elle pas les prémices d’une mort prématurée et commandée de son auteur ? On peut le penser.

Mathieu Joseph Boucard va conclure son exposé en relatant les troublantes circonstances de la disparition de Clément XIV.

« Le 22 septembre de cette année (1774) est mort notre Saint Père le pape Clément XIV à Rome à 6 heures trois quart du matin. Plusieurs lettres portent qu’il a esté empoisonné et cela s’est dit publiquement dans tout Rome et il y a toute apparence que le fait est vrai.

Le lendemain de sa mort on l’a ouvert en présence de ses deux médecins et de son apotiquaire qui en ont dit esté pour le persuader. J’ai esté présent, dit un habitant de Rome dans une de ses lettres, dès le commencement de l’opération jusqu’à la fin, et j’ai vu de mes propres yeux que depuis les épaules jusqu’au bas des côtes, il était tout violet et tirant sur le noir. Il avait aussi des taches violettes tout le long du dos et principalement entre les deux épaules. La partie du foye et des intestins qui répondent au dos était toute noire. On a mis les entrailles dans une urne de fayence, qu’on a bouché ensuite avec du liège, scellé avec du plâtre et par-dessus une plaque de plomb. Trois heures après, l’urne a « petté » et fut brisée en plusieurs morceaux. Le corps, quoyque bien embaumé, a jetté une quantité extraordinaire d’eau rouge, tirant sur le noir. Il répandait une puanteur insupportable. On l’a embaumé une seconde fois et on l’a entortillé avec des bandelettes de toile depuis les pieds jusqu’à la tête. Deux heures après les bandelettes sont devenues toute noires et s’en allaient en morceaux comme brulées. Un second vase dans lequel on avait mis les intestins, ayant esté porté à la paroisse, fut rompu comme le premier, tous les cheveux et les sourcils sont tombés, la peau et les chairs s’en allaient par morceaux et, pour peu qu’on eut touché le cadavre, les membres se seraient séparés les uns des autres. Les os étaient si cassés qu’ils n’avaient aucune consistance.

Il est regretté de tous les gens de bien. Ceux de l’autre espèce le déchirent à belles dents. Par malheur pour les cy-devant Jésuites, c’est que toutes les marques d’un vrai empoisonnement se rencontre dans ------------ ( ?) qui les a détruit et qui était sur le point de publier une « bulle » confirmative du « bref » d’extinction qu’il avait prononcé contre eux deux ans devant, ainsi il ne faut pas douter qu’ils n’ayent le dos assez fort pour porter encore cette horrible forfait. Pie VI lui a succédé. Il faut croire qu’il n’a pas eu même sort à craindre, à moins qu’il ne veuille confirmer le « bref » que son même prédécesseur avait l’intention de publier. »

Ainsi se termine les notes du curé de Vaux-sur-Vienne, dont nous avons essayé de vous rendre compte. Ce sont des faits historiques qui ont marqué le siècle des Lumières, et à la veille de périodes difficiles où la royauté allait basculer en France et où le clergé allait subir de violentes secousses. Quant aux jésuites, ils revinrent au devant de la scène en 1814 et continuèrent d’entretenir la polémique. Un événement récent est venu mettre cet ordre en vedette avec la nomination du pape François, premier pape jésuite.

Source : AD Vienne (Vaux sur Vienne vues 56,57,60,61,94,101 de 1758-1774).


[1(Extrait de Wikipedia).

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