Au Puy, le 8 juillet 1818.
Le Maître des requêtes, Préfet de la Haute-Loire,
À Messieurs les Maires du département.
Je crois devoir vous rappeler, Messieurs, les instructions du gouvernement, soit en ce qui concerne la fixation des primes accordées aux destructions de loups, soit en ce qui concerne le mode et les formalités à remplir, pour obtenir le paiement de ces primes.
- Pour un loup, il est accordé 12 francs.
- Pour une louve non pleine 15.
- Pour une louve pleine 18.
- Pour un louveteau 3.
Les primes sont acquittées au moyen d’un mandat délivré par le préfet ; lequel mandat doit être appuyé d’un procès-verbal qui est dressé par le maire sur une demi-feuille de papier timbré ; le mandat ne pourrait être délivré, si le procès-verbal ne constatait pas bien exactement le sexe, l’âge et la mort de l’animal détruit.
Je profiterai de cette circonstance, Messieurs, pour appeler également toute votre sollicitude sur un inconvénient auquel donnent lieu les frais de voyage qui n’ont souvent d’autre but que la délivrance de ces primes. Les participants qui y ont droit viennent souvent de très loin pour en obtenir le paiement, et leurs frais de voyage absorbent souvent la valeur de la prime qu’ils reçoivent, c’est principalement dans les arrondissements de Brioude et d’Yssingeaux que l’on peut éviter des frais aussi dispendieux. Les maires des communes doivent avoir soin d’adresser à MM. les sous-préfets, les procès-verbaux ci-dessous mentionnés, avec invitation de me les transmettre.
Je m’empresserai de faire expédier le mandat et le ferai parvenir au maire par l’intermédiaire de M. le sous-préfet. Le maire remettra ensuite le mandat à la partie prenante, qui pourra en toucher le montant à la caisse du percepteur de sa commune.
Telles sont, Messieurs, les règles qui doivent être suivies dans le paiement des primes accordées aux destructeurs de loups. Je vous invite à faire connaître ces dispositions à vos administrés, afin qu’ils puissent s’y conformer exactement.
Agréez, Messieurs, l’assurance de ma parfaite considération.
Ar. de Bastard.
Le Maître des Requêtes, Préfet du Département de la Haute-Loire,
À Messieurs les Maires.
Monsieur le Maire, le Roi, dont la sollicitude s’étend à tout, a remarqué dans les divers rapports qu’il s’est fait mettre sous les yeux que le nombre des loups paraît s’être augmenté en France depuis quelques années. Convaincue des suites funestes de cet accroissement pour l’agriculture, affligée des accidents dont l’humanité même a eu souvent à gémir, S. M. veut que l’on s’occupe promptement des moyens de détruire les loups en France.
Le premier de ces moyens est le paiement prompt et exact des primes d’encouragement.
Ces primes, ainsi que je vous l’ai déjà fait connaître, sont de 18 francs par louve pleine, 15 francs par louve non pleine, 12 francs par loup et 6 francs au lieu de 3 par louveteau.
Pour accélérer ce paiement, S. Exc. le ministre de l’intérieur a décidé que désormais la présentation du loup détruit devait se faire devant vous. Vous en dresserez procès-verbal constatant le nom du destructeur, l’âge et le sexe de l’animal tué, et la quotité de la prime méritée. Vous joindrez à ce procès-verbal la patte droite antérieure et les deux oreilles de l’animal, une quittance de la partie prenante, et vous adresserez le tout à M. le sous-préfet de votre arrondissement, ou à moi si vous appartenez à l’arrondissement chef-lieu. Il sera délivré un mandat payable à vue qui vous sera transmis avec le procès-verbal à l’appui, et acquitté par le percepteur au profit de qui de droit, d’après le visa du payeur du département, lequel recevra cette pièce pour comptant lorsque le receveur général aura des paiements à lui faire.
Pour éviter toute difficulté lorsque le destructeur ne saura pas signer, vous délivrerez la quittance en son nom en faisant mention de l’empêchement. Ces dispositions sont à peu de chose près les mêmes que celles relatées dans ma circulaire du 8 juillet dernier (numéro 11 du Mémorial).
Le second moyen de parvenir à la destruction des loups est de porter à la connaissance de vos administrés les meilleures méthodes de leur tendre des pièges. Voici la description d’un procédé qui n’a pas les inconvénients de beaucoup d’autres qui peuvent devenir préjudiciables aux hommes et aux animaux domestiques.
"On forme avec des pieux de cinq à six pieds de long, qu’on plante solidement en terre à la distance d’un demi-pied l’un de l’autre, une enceinte circulaire d’environ une toise de diamètre, et au milieu de laquelle on attache une brebis vivante ayant une ou plusieurs sonnettes au cou. On plante ensuite d’autres pieux également espacés de six pouces entre eux, pour former extérieurement une seconde enceinte éloignée de la première d’environ deux pieds.
On laisse à cette seconde enceinte une ouverture avec une porte ouverte du côté gauche, qui permette au loup d’entrer seulement à droite. Une fois que l’animal est entré entre les deux enceintes, il va toujours en avant comptant pouvoir saisir sa proie, et quand il est parvenu à l’endroit par lequel il était entré, ne pouvant se retourner, les mouvements qu’il fait pour aller en avant font fermer la porte." (Rozier, Cours d’agriculture).
Quelle que soit au surplus l’espèce de piège que l’on emploie, vous rappellerez formellement à vos administrés qu’ils ne doivent en placer aucun sans votre autorisation, et vous aurez l’attention d’en donner avis au public pour éviter les accidents. Ces formalités à remplir s’appliquent à plus forte raison aux fosses, aux trappes et surtout aux batteries. Dans aucun cas, il ne pourra en être établi dans les chemins ou sentiers pratiqués.
Mais le moyen sans contredit le plus efficace est l’empoisonnement. Tous les poisons ne sont pas également dangereux pour les loups ; par exemple, l’arsenic et l’émétique ne leur occasionnent que le vomissement. Voici le procédé dont le résultat a été reconnu le plus certain.
"Prenez un ou plusieurs chiens ou plusieurs vieilles brebis ou chèvres, que vous faites étrangler. Ayez de la noix vomique râpée fraîchement (on trouve cette préparation chez tous les apothicaires) ; faites une quinzaine ou une vingtaine de trous avec un couteau dans la chair, suivant la grosseur de l’animal, comme au râble, aux cuisses, aux épaules, etc. Dans chaque trou, qui doit être profond, vous mettez un quart d’once ou une demi-once de noix vomique, le plus avant qu’il sera possible. Vous boucherez ensuite l’ouverture avec quelque graisse, et encore mieux vous rapprocherez, par une couture, les deux bords de la plaie, afin que la noix vomique ne puisse pas s’échapper. Liez ensuite l’animal par les quatre pattes, avec un osier et non avec une corde qui conserve trop longtemps l’odeur de l’homme. Enterrez l’animal, ainsi préparé, dans un fumier qui travaille. Il doit y rester, en hiver, pendant trois jours et trois nuits, suivant le degré de chaleur du fumier, et vingt-quatre heures pendant l’été. Attachez une corde à l’osier qui lie les quatre pattes, et traînez l’animal, par de très longs circuits, jusqu’à l’endroit le plus fréquenté par les loups ; alors, suspendez-le à une branche d’arbre, et assez haut pour que le loup soit obligé d’attaquer le chien par le râble.
Le loup est un animal vorace ; il mâche peu le morceau qu’il arrache : il avale de suite, et le poison ne tarde pas à faire son effet. On est sûr de le trouver mort le lendemain ; souvent il n’a pas le temps de gagner son repaire.
Si on conseille de se servir d’un chien, ce n’est pas que cet animal attire les loups plus que les autres animaux ; mais, comme le chien ne mange pas la chair du chien, on ne craint pas que ceux du voisinage viennent dévorer l’appât, comme il ferait si on avait placé une brebis ou une chèvre."
Je vous invite donc, Monsieur le Maire, si le territoire de votre commune est fréquenté par les loups, à faire préparer, soit par des gardes-chasses, soit par les gardes champêtres ou forestiers, soit par quelque chasseur expérimenté, des appâts tels qu’ils viennent d’être décrits et qu’ils placeront eux-mêmes.
On peut mettre ce procédé en pratique dans toutes les saisons de l’année, mais surtout l’hiver lorsqu’il gèle bien. Je ferai rembourser, d’après les mémoires qui vous en seront fournis et que vous m’adresserez, les frais peu considérables qu’exigeront la préparation et l’achat des drogues.
Le gouvernement paiera pour chaque tête de loup détruit par l’empoisonnement, la prime ordinaire, mais la moitié au plus sera attribuée à la personne qui représentera un animal mort. L’autre portion sera appliquée tant à l’achat des matières propres à l’empoisonnement qu’au dédommagement des propriétaires qui fourniraient les chiens ou les vieilles brebis ou chèvres.
Vous ne négligerez pas, si les appâts sont préparés avec des brebis ou chèvres, de faire avertir, par publication, les habitants des lieux où les appâts seront placés, pour qu’ils puissent prendre leurs précautions pour en préserver leurs chiens.
Je ne puis douter, Monsieur le Maire, de votre zèle à concourir de tous vos moyens à l’exécution des vues du gouvernement, pour obtenir un résultat où vos administrés sont directement intéressés.
Vous aurez donc bien soin de me rendre compte de tout ce que vous aurez fait pour assurer le succès des mesures qui font l’objet de cette instruction.
Il est encore un moyen de détruire les loups ou du moins de leur faire abandonner notre territoire ; je veux parler des battues générales et d’une chasse bien organisée et simultanée dans tout ce département. Mais comme il a été reconnu que les époques les plus favorables pour y procéder étaient au mois de décembre, aux premières neiges, et au mois de mars avant que la terre soit couverte, je ne vous transmettrai d’instructions à ce sujet qu’en prescrivant en même temps, la battue générale et en déterminant le jour où elle devra avoir lieu.
Recevez, Monsieur le Maire, l’assurance de ma parfaite considération, Ar. de Bastard.