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Le "cas" Martin Lohner

Dure... dure... la justice au 19e siècle

Le mercredi 1er février 2006, par Jean-Pierre Bernard

De nos jours, on peut dire que la justice est clémente, par rapport aux peines encourues au 19e siècle. On jugerait disproportionnée la lourdeur de la peine à subir, en fonction des fautes commises, et surtout pour des maigres larcins. On ne badinait pas avec les affaires de vol, qui étaient très sévèrement sanctionnées, particulièrement pour les récidivistes.

Evoquons par exemple le cas de Martin LOHNER, célibataire, né en 1805, ressortissant de la commune d’Ebersmunster, petite cité située dans le Ried, entre Benfeld et Sélestat, dans le Bas-Rhin.

Martin écumait la région, autour de son village, faisant même des incursions sur Sélestat, la cité moyenne voisine. Tisserand de métier, sans doute n’avait-il pas de travail, ou bien son emploi ne lui suffisait-il pas pour vivre. Aussi volait-il plus par nécessité, peut-être, que par vice.

Ses vols sont surtout de nature "alimentaire" : du vin, des volailles, du pain... Il finit par se faire arrêter par la maréchaussée. Des plaintes sont déposées, et Martin est déféré devant le tribunal correctionnel de Schlestadt (Sélestat).

Le 14 février 1831, il est condamné à 5 années d’emprisonnement, 16 francs d’amende, 5 ans d’interdiction et 5 ans de surveillance de la haute police pour vols. Lourde peine, longue dégradation. Martin a alors 26 ans.

Les geôles de l’époque sont glauques et sordides. La vie en prison est très dure. Martin purge sa peine et en 1836, à 31 ans, il est libéré et revient à Ebersmunster vivre dans la famille de son frère Mathias, journalier.

Cette année-là eut lieu un recensement, et Martin y figure, avec sa profession de tisserand. Exerçait-il ce métier de manière suivie ou épisodique ? Et puis, un emploi était difficile à se procurer pour un ex-taulard. Avait-il le vol dans le peau ? Toujours est-il que sa condamnation n’avait pas dû suffire à la calmer, car il recommence ses exactions.

Deux affaires de vols commis en 1838 et 1840 dans la commune d’Ebersheim, village voisin, au préjudice d’un certain FUCHS, vont le faire "replonger". Il est de nouveau arrêté et traduit en justice.
Cette fois, déclaré coupable avec circonstances aggravantes, Martin LOHNER se trouve de plus dans la grave position de récidiviste.

L’acte d’accusation du 2 novembre 1840 lui est notifié avec l’arrêt de renvoi le 17 du même mois. Le 27 novembre 1840 : procès verbal de remise dans la maison de justice. Il ne s’agit plus cette fois de correctionnelle, mais d’un procès d’assises.

Après l’instruction, Martin est extrait de prison, le 3 décembre 1840, pour le jugement d’assises, qui portera le numéro 146. On y donne son signalement, qui nous procure une idée du physique de Martin :

  • Martin LOHNER, 35 ans, tisserand, né et domicilié à Ebersmunster.
    Taille d’1m55 - cheveux et sourcils châtains - front saillant - yeux gris - nez moyen - bouche grande - menton rond - visage maigre - teint brun - barbe châtain.

On rappelle la condamnation subie en 1831, et l’on précise ce pour quoi il est de nouveau aujourd’hui devant la justice :

  • Accusé I : d’avoir le 5 septembre dernier, soustrait frauduleusement une miche de pain et un pot contenant du sirop, au préjudice d’Antoine FUCHS, d’Ebersheim, avec les circonstances que ce vol a été commis :
  • 1° de nuit,
  • 2° dans une maison habitée,
  • 3° à l’aide d’escalade.

Avait-il si faim qu’il lui faille dérober ces ingrédients ? Il n’avait en tous cas peur de rien, à s’introduire ainsi dans une maison habitée, la nuit, sa petite taille lui facilitant sans doute l’intrusion par escalade. Et l’acte poursuit :

  • Accusé II : d’avoir, il y a deux ans, soustrait frauduleusement deux oies, au préjudice dudit FUCHS, avec les circonstances que ce vol a été commis :
  • 1° de nuit,
  • 2° dans une maison habitée.

Il avait donc déjà "visité" cette maison ! Le nommé FUCHS l’avait reconnu, et Martin fut donc bien obligé d’avouer cet autre vol de volailles.

Le jugement tombe... impitoyable ! Martin LOHNER est condamné à 5 années de travaux forcés, assorti de la mention "qu’après avoir subi cette peine, et pendant toute la vie, il demeurera sous la surveillance de la haute police, et qu’en outre il sera frappé de la dégradation civique".

Il est donc "triquard" ! Seul acte de clémence : "la Cour le dispense néanmoins de l’exposition".

La peine de l’exposition, qui venait se rajouter, ne frappait en principe que les récidivistes, sauf pour les moins de 18 ans et les plus de 70 ans. Elle consistait en ce que le condamné, dûment enchaîné, demeure durant une heure exposé aux regards du peuple sur la place publique. Au-dessus de sa tête, sera placé un écriteau portant en caractères gros et lisibles, ses noms, sa profession, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation. Position dégradante et avilissante s’il en est, venant s’ajouter à la peine prononcée par le tribunal. Mais là, on fait exception pour Martin, qui en est dispensé.

Voilà donc Martin LOHNER qui part pour sa peine des travaux forcés. Aucun document n’a été trouvé indiquant le lieu où il fut envoyé.
Il ne semble pas être revenu un jour à Ebersmunster ou à Sélestat. En tous cas, les recensements suivants ne le mentionnent pas dans l’une ou l’autre de ces villes.

A-t-il purgé toute sa peine ? Est-il mort durant ce laps de temps ? S’est-il exilé ailleurs après sa libération ? A-t-il encore "replongé" ? On ne le saura sans doute jamais.

Il est évident qu’il est déshonnête de voler, et que ce sont des actes graves qu’une société ne peut accepter. Pourtant on peut ressentir quelque compassion pour cet homme, sans excuser ses actes, devant la sévérité des peines auxquelles il a été condamné, brisant sa vie, le dégradant, pour des volailles et quelques victuailles, et qui n’était pas pour autant un vrai criminel.

La disproportion est si frappante par rapport aux délits commis de nos jours et aux peines encourues et prononcées !

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5 Messages

  • > Le "cas" Martin Lohner 17 février 2006 11:14, par Maria Langlois

    Jean Valjean a été condamné au travaux forcés pour une miche de pain !
    Le vol alimentaire, vu le contexte de l’époque, la misère, était très grave !
    Est-ce si différent aujourd’hui ? La justice est à deux vitesses ! Celle des riches qui lui échappent (il suffit d’être président de la république ou ministre etc ... et celle des pauvres ...que l’on accable encore plus si cela est possible ! Ce n’est pas différent, de nos jours, non ... vols alimentaires (nous sommes revenus au temps de Saint Vincent de Paul ...) squatters d’appartements vides ou insalubres plutôt qu’être SDF, femmes et petits enfants dans la rue etc ... Non ce n’est pas différent ... c’est pire ! Nous sommes au XXI ème siècle tout de même !
    Je croyais qu’il y avait eu l’abolition des privilèges, la révolution ...
    Je crois qu’il faudrait la recommencer ! J’apprécie tous vos articles. Merci. Continuez surtout !

    Maria Langlois

    Répondre à ce message

    • > Le "cas" Martin Lohner 23 novembre 2006 23:33, par Jean-Pierre Bernard

      Merci pour votre commentaire.
      Votre patronyme m’interpelle. Ma grand-mère maternelle portait le même prénom et le même patronyme que vous.
      De quelle région êtes-vous originaire ? Cela m’intéresserait pour ma généalogie.
      Je vous souhaite une très bonne soirée.

      L’auteur.

      Répondre à ce message

    • > Le "cas" Martin Lohner 24 novembre 2006 17:50, par Jean-Pierre Bernard

      Bonjour,
      Merçi pour vos commentaires sur mon article.
      Votre patronyme m’interpelle... une de mes grand-mères se nommait Maria LANGLOIS.
      De quelle région êtes-vous originaire ?
      Souhaiteriez-vous échangez des généalogies Langlois ?
      Merçi d’avance si vous avez envie de me répondre.
      Bonne soirée.
      Jean-Pierre BERNARD

      Répondre à ce message

  • Le "cas" Martin Lohner 2 janvier 2008 20:09, par Mr Lohner

    Bonjour,

    Je suis tombé par hasard sur votre article qui semble concerner l’un de mes ancêtres.
    Ma mémoire ne peut plus être documentée que par des récits et discussions émanents de mon père né en 1905 et de ma grand mère née en 1866, décédés, les documents écrits ayant été détruits par des faits de la guerre 39-45 (maison explosée par bombardement, la famille étant réfugiée plus loin du front).
    Martin Lohner est issu d’une fraterie nombreuse (5 garçons et 1 fille, tous célibataires sauf 1 garçon qui a hérité de la ferme familiale, les 3 autres étant regroupés dans une autre maison du village, leur appartenant - 2 enfants décédés en bas âge)
    Cette fraterie correspond surement aux grands parents de mon père.
    Martin Lohner devait donc partir aux travaux forcés. Je crois savoir que pour éviter ces travaux forcés, il s’est engagé dans l’armée comme garçon d’écuries.
    Cette solution lui a été proposée et a abouti car, sous l’Ancien Régime et jusqu’à l’époque Napoléonienne, nos fermiers étaient fournisseurs de l’armée en denrées et fourrages divers, livrés à l’Intendance de la Citadelle de Strasbourg.
    D’autres parents ou contemporains de la famille étaient annoblis au rang de barons ou eux-même gradés de l’armée française.
    je ne possède donc plus aucune mémoire écrite de la famille. Néanmoins je m’interesse énormément à ma généalogie et pense me lancer à la recherche de sa connaissance.
    Je suis Raymond Lohner d’Ebersmunster et aimerais entrer en contact avec vous, pour faire connaissance avec vous et connaître aussi et surtout, les circonstances ou le contexte dans lesquels vous avez retrouvé les traces de mon "cher aieul".

    Mr Lohner

    Répondre à ce message

    • Le "cas" Martin Lohner 5 janvier 2008 16:14

      Bonjour, Monsieur LOHNER.
      Je vous remercie pour votre message et ce qu’il contient.
      Je n’ai pas étudié vraiment cette généalogie, ayant découvert ce "cas" lors de recherches pour l’élaboration de mon article, sur ce site, concernant le douanier Félix Birer, et certaines recherches sur l’émigration alsacienne en Algérie.
      Je vous contacterai personnellement, habitant tout près de chez vous.
      Recevez mes meilleurs voeux de bonne année pour 2008.
      Cordialement.
      Jean-Pierre BERNARD

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