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L’année du laboureur : Mars

D’après La Nouvelle maison rustique

Le mardi 1er mars 2005, par Thierry Sabot

Si les préceptes et les conseils agronomiques proposés par La Nouvelle maison rustique ne sont pas scrupuleusement appliqués par l’immense majorité des ruraux, il n’en demeure pas moins que l’ouvrage fourmille de renseignements précieux sur la vie quotidienne dans les campagnes. Derrière la prose savante et didactique de l’auteur, on devine aussi l’expérience et la pratique séculaire de nos ancêtres paysans.

En Mars. On ne coupe plus de bois [1], & l’on ne fait plus de charriages [2] à cause des labours & semailles des avoines qui pressent.

Les charretiers [3] qui ne sortaient qu’une fois par jour, sur les dix heures en hiver, font deux attelées en Mars : ils vont au labour depuis le point du jour jusqu’à onze heures, & y retournent à deux heures après midi jusqu’à la nuit.

Quand on a des prés usés [4] ou des friches [5], on les laboure pour y semer de l’avoine ou des pois [6].

On sème la luzerne, le trèfle & le sainfoin [7] ; après avoir semé de l’avoine un peu claire, on sème l’une de ces graines par-dessus, & l’on y fait passer la herse [8] : l’avoine mettra ces petits plants à l’abri, qui ne rapportent rien la première année, & l’on en sera dédommagé par cette récolte d’avoine. Il entre dans un arpent 20 livres de graine de luzerne, ou vingt boisseaux de sainfoin. La luzerne vient bien dans les terres qui ont du fond, soit sable ou terre franche. Mais le sainfoin vient où la luzerne ne ferait rien ; dans les terres les plus sèches, on le sème un peu plus épais, & le sainfoin en est plus fin.

Il ne faut pas différer de semer le blé de Mars [9] depuis la fin de Février jusqu’au 15 de Mars. La mesure est de six boisseaux de Paris par arpent ; l’orge à peu près de même ;1’avoine , selon la qualité de la terre, mais plutôt plus que moins, parce que si elle lève trop drue, en la hersant quand elle a poussé, la herse en diminue la quantité, & lui donne une bonne façon, surtout si on la roule ensuite. Il ne faut pas que la corde de la herse soit trop courte, ce qui la ferait fauter en hersant lorsque le cheval tire, & le champ serait mal hersé ; en la tenant un peu plus longue, la herse produira son effet.

On ensemence les terres froides [10] & les plus humides les dernières, étant plus molles après l’hiver, & plus sujettes à la gelée.

La vesce, le lin, le maïs ou blé de Turquie, les lentilles & bisailles [11] doivent être semées depuis le 15 de Mars jusqu’au 15 d’Avril, & non plus tôt. La vesce doit être semée lorsque la terre n’a plus aucune humidité, et recouverte avec la herse dans le jour. M. de Sutieres [12] conseille de chauler [13] tous ces grains avant de les semer. On sèmera aussi un peu de cumin pour les pigeons.

Les semailles étant faites, on donnera le second labour aux jachères ; on le fumera en même temps pour y semer du blé en Octobre.

Il faut défendre l’entrée des bestiaux dans les prés [14].

Et achever ses plantations, & particulièrement les saules [15] , les peupliers [16] & l’osier [17] , à mesure qu’on les coupe. Dans les terrains trop frais, l’osier jaune, qui est sujet à la gelée, ne résiste point. Mais bien le rouge, & encore mieux le vert, qui est un osier tout à fait aquatique, dont on borde les rivages des isles.

Il est encore temps, de tailler & planter la vigne, si on ne l’a fait dans le mois précédent, et ensuite on donne le premier labour ; comme on l’a dit. Si l’on attendait plus tard, qu’elle eût poussé, on abattrait des bourres [18], & l’humidité de la terre donnerait plus de prise à la gelée.

On sarcle [19] & l’on mêle les blés, ainsi qu’on échardonne [20] les avoines, aussitôt que le chardon y parait.

Il faut songer de bonne heure à réparer les aires des granges qui font en mauvais état, afin qu’elles aient le temps de sécher avant la récolte. Pour faire une aire de grange, on fouille tout l’espace à la pioche jusqu’à six pouces de profondeur ; on y ajoute de 1a terre grasse, et l’on pétrit bien les deux terres ensemble avec un peu d’eau dont on les bassine. On affermit le tout ensuite, & on le rend bien uni, en battant avec une batte de jardinier. On recommence tous les jours jusqu’à ce qu’elle soit sèche, pour empêcher qu’elle ne se gerce : ensuite on la couvre de paille, qu’on y laisse jusqu’à ce qu’on y batte du grain : il est bon, à mesure qu’elle sèche, de l’arroser d’eau dans laquelle on a délayé de la fiente de vache. Ce sont les maçons Limousins [21] pour l’ordinaire qui sont dans l’usage de faire ces aires ; nous avons vu qu’on leur payait en quelques endroits 24 livres pour une aire de 24 pieds de longueur sur douze de largeur, faite avec précautions & sans gerçures.

C’est le temps de préparer la terre pour faire de la brique, qu’on cuira en Avril.

On pêche les étangs au commencement du Carême.

Bestiaux et volailles. Il ne faut plus tuer de cochons pour saler ; la chair prendrait difficilement le sel, et le lard deviendrait rance, mais on en élève de jeunes.

C’est le temps où les vaches entrent en chaleur ; elles portent neuf mois, ainsi que les biches, & vivent quinze ans.

Les poules & les dindes commencent à couver : ce n’est qu’à deux ans que les poules commencent à être bonnes couveuses ; plus jeunes, elles ne gardent pas le nid exactement. Le bruit est contraire à la couveuse & à ses poussins ; c’est pourquoi on les met dans un endroit retiré avec de l’eau & du grain près d’elle. La couvée dure 21 jours, au bout desquels le poulet sort de l’œuf. Si deux ou trois jours après ce temps ils ne sortent pas de la coquille , il faut jeter les œufs, car c’est une marque qu’ils sont clairs ; c’est-à-dire, qu’il n’y a que de l’eau dedans, ou que les poulets sont morts dans la coquille, pour avoir été refroidis & mal couvés. En Égypte on fait éclore quantité de poulets à la fois dans des fours : on est parvenu ici à en faire éclore sur des couches ; mais toutes ces méthodes artificielles n’ont pas pris ici, et ne valent pas la peine qu’elles donnent. Nos ménagères se bornent à faire couver les oeufs naturellement par des poules ordinaires, ou par des poules dinde, qui en couvent davantage, & qu’elles forcent à couver malgré elles, en les enivrant ou en les endormant à force de les tourner dans la main avec la tête sous l’aile. Les poulets ne mangent qu’au bout de 24 heures & quelquefois deux jours. On leur donne d’abord pour nourriture de la mie de pain rassis bien émiettée, un peu de millet pendant quinze jours, & de l’eau bien nette pour boire ; ensuite du chènevis, du sarrasin ou blé noir, du pain trempé & enfin de l’orge, de l’avoine, etc. comme les poules.

Le vin est un remède efficace pour la guérison de plusieurs maladies de la volaille, comme lorsqu’on leur a ôté la pépie, etc [22].

On observera que toute volaille doit être plumée aussitôt qu’elle est tuée : si ou la laisse refroidir, la plume s’arrache difficilement. Il ne faut la vider qu’après qu’on l’a flambée. On ne flambe point celles qu’on met en broche,

Les dindonneaux exigent les mêmes foins, & plus, pour les élever ; ils sont fort délicats ; le froid leur est mortel quand ils sont jeunes ; au contraire, quand ils ont acquis toute leur croissance le froid les engraisse ; ils y restent exposés nuit & jour, même pendant les plus mauvais temps de l’hiver, sans que cela leur nuise.

Les oisons & les canards s’élèvent plus facilement que les dindons, sous la conduite de leur mère. Les canards de Barbarie sont ceux qu’on doit élever de préférence.

On commence à avoir quelques pigeonneaux quand le temps a été doux ; c’est ce qu’on appelle la volée de Mars ou première volée. Mais ils sont plus communs en Avril.

Il est temps de vendre l’orge, l’avoine, la vesce, le blé de Mars, les pois & les graines de sainfoin, de trèfle & de luzerne, pour les semailles ; le beurre, les œufs, les pruneaux, les pigeonneaux en totalité, n’en laissant point échapper dans ce temps-ci pour repeupler, mais en Août, comme il sera dit ; le poisson, & les bêtes à cornes engraissées pour la semaine sainte.

Foires.

  • Le premier lundi de Carême, à Nemours.
  • Le premier samedi de Carême, à Senlis & à St-Florentin.
  • Le second lundi de Carême, à Troies, foire franche, & à Gien, dure huit jours.
  • Le même jour, à Crepy en Valois, foire considérable.,
  • Le jeudi de la mi-Carême, à la fête à Leps.
  • Le 8, à Sens.
  • Le 14, à Merreville en Beauce, foire franche.
  • Le mercredi de la passion, à Longjumeau.
  • Le 21, à Sens.
  • Le mardi de la passion, à Mormant en Brie, foire franche.
  • Le jeudi saint, à Arpajon.
  • Le 26, à Villenaux en Brie.

Source :

  • Louis Liger, La Nouvelle maison rustique, 11° édition, 2 volumes, Paris, 1790.

Bibliographie :

  • Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural, les mots du passé, Paris, Fayard, 1997.
  • Georges Duby, Armand Wallon (sous la direction de), Histoire de la France rurale, Tome 2 : L’Age classique (1340-1789), 4 volumes, Paris, Editions du Seuil, 1975.
  • Gabriel Audisio, Des paysans, XV°-XIX° siècle, Paris, Armand Colin, 1993.
  • Pierre Goubert, Les Paysans français au XVII° siècle, Paris, Hachette, 1982.

[1La saison de la coupe du bois va depuis l’automne jusqu’à la fin de l’hiver, « afin que la sève profite tout entière pour la crue du bois, que l’abattis ne fasse point de tort à la recrue, et que celui qu’on coupe soit plus sec et sain : c’est pourquoi il est enjoint aux marchands ventiers d’abattre ceux qu’ils ont achetés avant le 15 avril, qui est le temps que la sève commence à ranimer les plants ; et, si on coupait les bois quand la sève monte, ils ne pourraient plus se resserrer, ni par conséquent servir aux bons ouvrages de charpenterie et de menuiserie ; et en outre la coupe du bois en sève fait mourir le pied » (La Nouvelle maison rustique, page 646).

[2D’après La Nouvelle maison rustique (page 85), le charriage des fumiers de la basse-cour dans les terres se paie à l’arpent de huit voitures attelées de trois chevaux, autant que le labour. Selon le volume de fumier disponible, les régions et les années, le coût est de 5 à 8 livres.

[3Selon La Nouvelle maison rustique (pages 83/84), « un bon maître charretier est un domestique essentiel qui conduit, donne le mot aux autres et en règle la marche, et à qui l’on donne, en cette qualité, des gages un peu plus fort, même au-dessus de ses pareils dans le pays, s’il le faut, pour se l’attacher ; mais il lui faut à lui-même de la docilité pour travailler au goût du maître, et suivre les principes qu’il a établis ».

[4Un pré usé est une terre épuisée par une précédente culture... mais La Maison rustique précise (page 466) : « une terre n’est jamais si usée qu’elle doive demeurer absolument inutile, pourvu qu’on lui donne les secours nécessaires » (fumier).

[5Une terre en friche est une terre qu’on ne cultive pas et qui ne rapporte rien. Défricher une terre, c’est la mettre en valeur par le labour. On défriche aussi les bois et les prés pour en faire des terres de labour (La Nouvelle maison rustique, page 467).

[6Sur les terres défrichées en hiver, « l’avoine ou les pois sont les seuls grains qu’il y faut semer sur le guéret (terre labourée, ni ensemencée, ni plantée) en Mars ».

[7Trèfle, sainfoin et luzerne : ces herbages sont autant d’espèces différentes de foins qui servent à nourrir les bestiaux en vert ou en sec.

[8La herse est nécessaire au labourage pour ameublir et unir les terres. La Nouvelle maison rustique conseille d’en « avoir de différentes grandeurs ; Traînée par un attelage, elle doit être de bois lourd, façonnée solidement, et garnie de bonnes dents longues, de fer, ou du moins de bois bien dur : on y attache ordinairement une pierre ou deux pour la rendre plus lourde, et pour briser toutes sortes de terres. La herse est inconnue dans le Midi, où l’araire joue ce rôle.

[9Les blés de mars, céréales de printemps parfois qualifiées de gros blés (dans le sens de grossier), orge et avoine principalement, étaient semées en mars-avril et servaient surtout à la nourriture du bétail.

[10Les terres froides sont des terres argileuses et humides, ou terres marneuses.

[11La bisaille est une espèce de pois gris cultivée pour le fourrage.

[12M. Sarcey de Sutieres, auteur en 1765 d’une Agriculture expérimentale, à l’usage des agriculteurs, fermiers et laboureurs.

[13Le chaulage consiste à soumettre les grains à l’action de la chaux vive, dissoute dans l’eau. Cela permet de les préserver de la carie ou du charbon (champignons des grains).

[14« Il est important d’enfermer les prés nouvellement ensemencés, de bonnes haies vives, ou du moins de larges fossés, afin qu’il n’y aille ni gens, ni bestiaux toute la première année ; car l’herbe est toujours trop faible et trop tendre pendant ce temps-là, pour pouvoir être ni pâturée, ni foulée ; il est essentiel de la laisser multiplier et fortifier une bonne fois pour toujours, et rien ne lui ferait tant de tort, que la morsure et les pieds des bestiaux : c’est à quoi il faut veiller, particulièrement, quand les prés sont proches des maisons ou des chemins » (La Nouvelle maison rustique, page 598).

[15Les saules ou saux poussent dans les prés ou au bord des ruisseaux. Le saule blanc était utilisé comme bois de chauffage « qu’on vend aux pauvres gens des campagnes ». « Le charbon de saule est celui dont les peintres et les graveurs se servent pour faire des esquisses de leurs dessins. (...) Les orfèvres s’en servent aussi pour polir et travailler l’argent et l’or, et les salpêtriers pour faire de la poudre. On se sert encore du bois de saule pour aiguiser les outils tranchants, comme les faux, etc. Les ouvriers en fer s’en servent avec l’émeri et de l’huile, pour polir le fer et le cuivre ». Le bois de saule était également utilisé pour faire des planches de meubles (armoires, tablettes...) ou des espaliers ou des treillages (La Nouvelle maison rustique, page 711).

[16Le bois de peuplier était utilisé en fagot ou en planches pour faire des portes, des contrevents ou des bières (cercueils). Marcel Lachiver précise que « son bois, calciné, était utilisé en poudre ou en pastille contre les aigreurs d’estomac et la constipation, et ses bourgeons comme expectorant ».

[17Les brins d’osier servaient à la confection de paniers, de corbeilles ou de hottes. Ils étaient aussi utilisés pour faire des liens pour attacher la vigne, les plantes ou les cercles à tonneaux.

[18La bourre de la vigne est le duvet qui recouvre les bourgeons. Marcel Lachiver indique que « la vigne peut geler en bourre, c’est-à-dire avant que les bourgeons soient sortis, avant le débourrage ».

[19Ouvrage des femmes et des enfants, le sarclage consiste à détruire les mauvaises herbes. « Toutes les herbes qu’on arrache, à la réserve des chardons, sont bonnes pour les chevaux et les vaches, soit en vert ou en sec ; on les fane au soleil, pour les employer comme le foin. C’est pour cela que les pauvres gens de la campagne vont dans les blés jusqu’à ce qu’ils soient en tuyaux, et dans les avoines jusqu’à la saint Jean, cueillir des herbes ; mais, sous prétexte de nettoyer les grains, et de ne prendre que les mauvaises herbes pour nourrir leurs vaches, ils arrachent souvent le bon grain parmi l’ivraie, surtout quand l’hiver est long ; et ils enlèvent aussi les nids d’oiseaux » (La Nouvelle maison rustique, page 526).

[20« On échardonne les terres avec des échardonnoirs, qui sont de petites pièces de fer coupantes, emmanchées au bout d’un bâton. On arrache à la main les autres mauvaises herbes. A propos de chardons, chacun sait qu’on oblige, en justice, le voisin négligeant à les détruire, sinon on le fait à ses dépens, parce que la graine de chardons infecterait bientôt toutes les terres voisines » (La Nouvelle maison rustique, page 525).

[21Dès le Moyen âge, les maçons Limousins et Marchois se sont imposés dans les métiers de maçon, architecte, tailleur de pierre, appareilleur, paveur ou couvreur. « Ils seraient plus de vingt mille à quitter chaque année leur Limousin... » (Lire L’épopée des maçons marchois, par Jean-Louis Beaucarnot in Quand nos ancêtres partaient pour l’aventure, Paris, Editions Jean-Claude Lattès, 1997).

[22« Il n’y a qu’à leur ouvrir le bec, et avec une aiguille ou une épingle leur lever doucement le cartilage blanchâtre qui est à la langue ; ensuite on leur lave la langue et le bec avec du vinaigre ou du vin un peu chaud » (La Nouvelle maison rustique, page 119).

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