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Les revenus des curés au XVIIIe siècle

Le mardi 1er mai 2001, par Michel Guironnet

Les assemblées générales du Clergé, réunies tous les cinq ans, fixent le montant du "don gratuit", somme payée au roi grâce aux "décimes", impôt que l’ordre du clergé perçoit sur l’ensemble de ses membres. Une déclaration des biens, dressée en 1729, nous donne le détail des revenus des curés du diocèse de Vienne, dans l’archiprêtré de Roussillon. 

"Sainct Clair prez Condrieu" (appellation du XVIIIe siècle, aujourd’hui Saint-Clair-du-Rhône) est un village de 4.000 habitants, à 12 kms au sud de Vienne, dans le département de l’Isère, au bord du Rhône.
 
Il doit son nom au moine CLARUS (590-660), abbé du monastère Saint Marcel de Vienne, car ainsi que le dit CHORIER "il reçut la naissance, non dans Vienne comme quelques-uns l’ont crû, mais en un lieu qui est au-dessous, sur le bord du Rhône, à qui la dévotion des siècles suivants a depuis imposé le nom de St-Clair" [1]

Ce village "à deux lieues de Vienne, et une lieue de la route de Lyon à la Provence" [2] recense en 1755, 155 familles. CHORIER note encore "C’est aujourd’hui une terre en toute justice qui appartient à l’Eglise de Saint-Maurice".

"Saint-Maurice de Vienne" est le siège cathédral de l’archevêque de Vienne dont le titulaire est également Primat des Gaules. Il a la juridiction épiscopale sur tout le diocèse de Vienne (414 paroisses dont 334 en Dauphiné) ; diocèse divisé en 20 archiprêtrés.

C’est de l’archiprêtré de Roussillon [3] que fait partie Saint-Clair, annexe paroissiale de Saint-Alban du Rhône. Le village voisin Les Roches (aujourd’hui, Les Roches de Condrieu) est succursale de la paroisse de Condrieu, située en Lyonnais, de l’autre côté du Rhône mais néanmoins du diocèse de Vienne. Condrieu et Les Roches font partie de l’archiprêtré de Condrieu.
 
En 1729, a lieu pour tout le diocèse de Vienne, la déclaration des biens du clergé. Cela mérite quelques explications préliminaires.
 
Premier ordre du royaume, le Clergé occupe sous l’Ancien Régime, une position privilégiée.

Les ecclésiastiques sont dispensés du service militaire (milice, guet...) et du paiement des impôts.

Ils profitent des grandes richesses de l’Eglise : biens fonciers et dîmes. 

Néanmoins le Roi, contre la reconnaissance des "assemblées générales du Clergé" obtient le versement régulier du "don gratuit", contribution financière accordée au Roi par le Clergé.
 
Les assemblées générales du Clergé, réunies tous les cinq ans, fixent le montant du "don gratuit", somme payée grâce aux "décimes", impôt que l’ordre du clergé perçoit sur l’ensemble de ses membres. Les décimes sont payés suivant les "bénéfices ecclésiastiques", revenus attachés à une charge d’Eglise (terres, dîmes, seigneurie ou autre).
 
Il convient donc, avant chaque assemblée (ici, celle de 1730) de recenser tous ces revenus, diocèse par diocèse. Dans ce bilan, dressé en 1729, nous trouvons donc le détail des revenus des curés du diocèse de Vienne, dans l’archiprêtré de Roussillon. 

Ainsi ceux du "Sieur CHAUVET, curé de St Alban du Rhône et St-Clair son annexe" titulaire de la paroisse depuis 1704 : 

Revenus :

1 / La cure pour la portion congrue de trois cent livres payée par les fermiers de ladite abbaye (St-Pierre-deVienne) : 300 Livres Tournois [4].

2/ Plus pour le casuel de ladite cure, année commune : 20 Livres Tournois.

3/ Plus pour les fonds que ledit Sieur Abbé a laissés aux curés qui peuvent valoir annuellement : 50 Livres.

4/ Plus une fondation de commission de messes à 6 Livres : 6 Livres.
 
Total : 376 Livres Tournois.
 
Mais le curé de St Alban et St-Clair n’a pas seulement des revenus, il a aussi des charges : "M. le Curé paye annuellement à M. l’Abbé dudit St-Pierre pour les fonds à luy remis .... 25 Lt". Etat des revenus "arrêté au Bureau le 29 août 1729".

Il lui reste donc 351 livres de revenus. La part la plus importante est la "portion congrue" : redevance payée par les décimateurs (celui qui perçoit les dîmes d’une paroisse, dans ce cas l’abbaye St-Pierre de Vienne) aux prêtres qui remplissent les tâches pastorales (messes, baptêmes, mariages, sépultures).
 
Ces actes pastoraux sont réglés par les paroissiens, selon un tarif diocésain et cela s’appelle le revenu "casuel" parce que le paiement s’effectue cas par cas, et de ce fait demeure incertain et variable. 
Mais cet état de revenus de 1729 ne s’est pas fait sans mal pour la paroisse de St Alban-St-Clair. 

Dans ce même dossier de la "déclaration des biens du Clergé" [5], il est une lettre du 31 mars 1729, donc antérieure de quelques mois à "l’état des revenus" détaillé ci-dessus. En voici le texte :
 
"Jay receu la lettre sirculaire que vous mavés fait lhonneur de menvoyés du jourd’hier je vous dire (sic) que je fait ma déclaration laquelle debreu (dûment) remis à monsieur DEBRENIER et quil me renvoyat à l’absence de monsieur DEPRENANT Je vous envoye un autres pour vous déclarer que je suis à la portion congrue pour le casuel et (aie) sy peut de choses je rien parlé pas, il y a une fondation de messe de six livres par années dont je nay pas estés payés il y a onze années. Il y a de mauvais fonds de la cure desquel je payés à Monsieur labé de St ?Pierre vingt cinq livres. Je payé toutes les années cinquantes livres de désime et dix livres de capitation. Ce qui est un fardaut bien rude pour moy. Je me suis plain souvantes fois sans que Messieurs de la Chambre y a ayé fait attention.

Jespaire Monsieur que parts vos bontés ordinaire, je pourré estre soulagé faisant attention à mon âge et mais incommaudittés.
Jespaire Monsieur cette grâce de vous et de Messieurs de la Chambre et de me croire que je suis très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

CHAUVET, curé de St Alban du Rhône et St-Clair son annexe, à St Alban le 31e mars 1729".

Cette lettre, adressée à "Monsieur DELARNAGE, syndic général du diocèse de Vienne, à Vienne", dont nous avons conservé l’orthographe, est signée d’une main tremblante par le curé CHAUVET. Il doit être assez âgé et malade puisque la lettre est d’une écriture différente de la signature, et n’est pas l’œuvre d’un clerc, vu l’orthographe et le style employé.

Il est d’ailleurs régulièrement remplacé depuis 1714, par des vicaires, notamment DE CLERY à St-Clair de 1714 à 1729, MARTINEL à St Alban de 1726 à 1728, puis ALLEGRET, ARMAND, BOUVIER, DUMAS, BOLLIAND (période de 1728 à 1733) vicaires à St Alban et à St-Clair [6].

En 1733, le curé CHAUVET doit très certainement être décédé, car les registres paroissiaux notent : "25 septembre 1733 : M. AUBRUN, curé de St-Alban et St-Clair son annexe" sans discontinuer jusqu’au 14 janvier 1779 : "décès de Jean-Pierre AUBRUN, âgé d’environ 74 ans, inhumé en l’église de St-Clair le 16 janvier 1779".
 
Le curé CHAUVET se plaint donc, le 31 mars 1729, du fardeau qu’est pour lui le paiement des décimes. Malgré cela, et sans égards pour son âge et ses "incommaudités", il est noté, en haut de sa lettre même, pour réponse à sa supplique : "Il faut que Monsieur le Curé de St-Alban donne sa déclaration suivant le premier modelle qui luy a esté envoyé, quil déclare quelle est la contenance des fonds dont il jouit et ce quils peuvent produire, fixer le casuel à une somme et enfin déclarer de quelle nature est la fondation, si le revenu est en argent, fonds ou danrées".

Ces quelques lignes, au ton abrupt, ont dû porter puisque, nous l’avons vu, le 29 août 1729, un état détaillé des revenus de la cure de St-Clair St-Alban est dressé. 

Néanmoins, il reste quelques points obscurs sur ce revenu, points éclaircis en 1756 par le successeur du curé CHAUVET, Jean-Pierre AUBRUN. En effet, sa "déclaration de revenus" pour l’année 1755 est conservée :
 
"Je soussigné prêtre et curé de St Alban du Rhône et St-Clair Près Coindrieu, en conséquence de la lettre de Monsieur Piolle, syndic général du Clergé du diocèse de Vienne du treize mars dernier, ay fais la déclaration et état exact des revenus de mon bénéfice ainsi qu’il suit : de mon bénéfice ne dépend aucun immeuble que la maison curialle située à St-Clair et un jardin y joint qui a été donné pour acquitter douze messes annuellement contenant environ deux couperées [7]. Mon bénéfice est à la portion congrue de trois cents livres qui est payée par les fermiers de M. l’Abbé de St-Pierre hors les portes de Vienne, qui en est prieur décimateur. Les novales dépendants de mon bénéfice peuvent produire année commune trois bichets bleds [8], seigle à raison de quarante cinq sols le bichet et huit ("sept" rayé et corrigé par "huit") charges de vin, je dis huit charges de vin [9] pour les novales actuellement existantes, à raison de sept livres la charge, le tout aussi année commune. Ma paroisse est composée d’environ deux cens cinquante communiants. Je me soumets à laisser au bureau diocésain de Vienne mes novales au prix fixé cy dessus, et le luy abandonner la jouissance des autres immeubles de mon bénéfice, déclare aussi avoir payé les décimes de l’année dernière. La présente déclaration sincère et véritable faite ce quinze juin mil sept cens cinquante six. AUBRUN, curé de St Alban et St Clair".

Grâce à cette déclaration, on peut connaître le détail de ce que l’on demandait de préciser au curé CHAUVET en 1729, à savoir : La nature de la fondation citée par le curé CHAUVET est, à en croire son successeur, un jardin de deux couperées, soit une superficie entre 758 m2 et 836 m2 (voir note 7). 

Ce legs d’une terre dont le revenu est destiné à financer des messes perpétuelles évoque celui dont une plaque rappelle le souvenir dans l’église paroissiale de St-Clair. Cette inscription parle d’une fondation "pour laquelle ils ont donné une vigne située à Champagnolle au sieur Etienne REVON, lequel versera tous les ans la somme de six livres pour faire dire par le curé douze messes par an, perpétuelles, tous les premiers samedis de chaque mois" [10]

De ces deux fondations, on peut déduire qu’une célébration de messe coûte, au paroissien de l’époque, la somme de 10 sols [11].
 
On sait également, grâce à la déclaration du curé AUBRUN, le montant des dîmes novales, c’est à dire les dîmes nouvellement perçues sur des terres récemment défrichées : trois bichets de céréales (blé et seigle) soit environ 86 litres de grains, suivant la valeur du bichet choisi, à cinq sols le bichet, donc une dîme sur les grains de 15 sols. A cela, s’ajoutent les huit charges de vin, environ 750 litres, à sept livres la charge, soit une dîme sur le vin de 56 livres. 

Ces sommes sont celles qui constituent la part des dîmes réservée au curé desservant, les "grosses dîmes" étant encaissées par les "gros décimateurs" : l’abbaye Saint Pierre de Vienne et son abbé, Henri François de la Tour du Pin, en poste depuis 1738 et jusqu’au 29 mars 1772. 

Mais sous couvert d’augmentation de la portion congrue, les gros décimateurs récupèrent les dîmes novales : en fait en laissant le choix aux curés de garder les novales en moins de leur portion congrue [12]. C’est ce que dit Jean-Pierre AUBRUN : "je me soumets à laisser au bureau diocésain de Vienne mes novales au prix fixé cy dessus...".

Quant aux fonds que ledit Sieur Abbé à laisser aux curés, ils peuvent valoir 50 livres, en 1729, mais l’Abbé de Saint-Pierre les a laissé en jouissance moyennant une redevance de 25 livres. Ce qui réduit de moitié le revenu de ces terres. Dans un parcellaire de 1680, conservé en mairie de St-Clair, on peut trouver quelques indications relatives à celle ci :

  • Article 430 : Au terroir du Pra, une terre appartenant à la cure contenant une bicherée, trois couperées et 1/3 couperées.
  • Article 655 : Aux Archimbaudes, une terre contenant trois, bicherées, 3 couperées et 11/20 de couperées.
  • Article 586 : Au terroir de Beauregard, "une terre appartenant au luminaire de l’église dudit lieu" tenant trois bicherées, une couperée 1/6 de couperée. Ce qui donne une superficie de un hectare 36 ares 83 m2 pour le total de ces articles. 

Encore s’agit il de différencier les fonds laissés pour la subsistance du curé, de ceux gérés par le "conseil de fabrique", organisme élu par les paroissiens et chargé de la gestion temporelle de la paroisse. Ces fonds dont les revenus servent à entretenir en partie l’église paroissiale et à couvrir les frais du culte, notamment l’éclairage des offices. Ainsi la terre de Beauregard est au "luminaire" de l’église de St-Clair. 

Il n’en reste pas moins que le curé CHAUVET a raison lorsqu’il parle "de mauvais fonds de la cure" car déjà en 1680, l’Abbé de St-Pierre de Vienne et son chapitre possèdent, eux, à St Clair, 15 hectares de terres.

En résumé, nous pouvons toutefois dire qu’avec un revenu annuel de 300 livres plus le casuel d’environ 20 livres en 1729, les curés de St-Clair ne sont pas pauvres. Un manouvrier rural, à la même époque et ne disposant que de sa force de travail, gagne à peu près trois fois moins dans son année [13] ; encore son salaire est il saisonnier (moissons, vendanges..), donc très irrégulier. 

Pour en savoir plus : « l’Ancien Régime en Viennois (1650-1789) »


[1Nicolas CHORIER "Histoire générale du Dauphiné" (1661) : Sur la vie de saint Clair, abbé voir "Saint Clair du Rhône, son histoire" par M. GUIRONNET, Chapitre 10 ( pages 37 à 41).

[2Peréquaire général de Dauphiné, 1755.

[3Archiprêtré de Roussillon : Roussillon, Péage de Roussillon, Chanas, Salaise, Vernioz, Sablons, St-Romain de Surieu, La Chapelle de Surieu, Clonas, St-Clair du Rhône, St-Alban du Rhône, St-Prim, Chonas, les Cotes d Arey, St-Maurice l’Exil, Terrebasse, Cheyssieu, Auberives, Reventin, St-Rambert, Monsteroux, St-Alban de Vareze, Assieu.

[4Portion congrue : au XVllle siècle, les évêques, les chapitres, les abbayes ont confisqué à leur profit la plus grande partie des dîmes. Ces dîmes, autrefois destinées à l’assistance des pauvres, à l’entretien de l’église paroissiale et à la subsistance du desservant, vont alors dans les bénéfices des grands ecclésiastiques. Ils ne laissent aux curés que la "portion congrue" (c’est à dire "convenable") : 300 livres depuis le 29 janvier 1686.

[5Déclaration des biens du clergé, Année 1729, Diocèse de Vienne, Archiprêtré de Roussillon, 1 G 32, Archives départementales de l’Isère.

[6Registres paroissiaux de St-Clair et St Alban, 1656 à 1792, Archives communales de St-Clair du Rhône.

[7Couperée : ancienne mesure agraire, en usage en Dauphiné, valant dans la région viennoise entre 418,64 m2 (couperée de Vienne) et 379 m2 (couperée de Condrieu).

[8Bicherée : Environ 1519 m1 (bicherée de Condrieu) - Bichet : Ancienne mesure de capacité pour les grains valant entre 28 litres 05 (bichet de Condrieu) et 31 litres 73 (bichet de Vienne). .

[9Charge : Ancienne mesure de capacité pour le vin valant approximativement 92 litres 285 (Chonas) ou 101 litres 513 (Roussillon).

[10Voir chapitre 20 (pages 67 et 68) de "Saint Clair du Rhône, Son histoire".

[11Six livres par an pour 12 messes, une chaque mois. Or, une livre égale 20 sols, soit 6 x 20 sols = 120 sols de frais annuels de messes, d’où une messe revient à 10 sols.

[12Pour plus de détails sur les diverses sortes de dîmes, leur perception et les procès suscités, voir [["La dîme ecclésiastique en France au XVIIle siècle" par Henri MARION (1912).

[13"Il ne sera pas hors de propos (de faire) un détail de ce que peut gagner... le manouvrier de la campagne". Je suppose que, des trois cent soixante cinq jours qui font l’année, il en puisse travailler utilement cent quatre vingt, et qu’il puisse gagner neuf sols par jour. C’est beaucoup, et il est certain qu’excepté le temps de la moisson et des vendanges, la plupart ne gagnent pas plus de huit sols par jour... mais passons, neuf sols, ce serait donc quatre vingt cinq livres dix sols, passons quatre vingt dix livres... (à l’année) " VAUBAN "Projet d’une dixme royale" (1707). VAUBAN fait ensuite le détail du salaire et des frais d’un manouvrier rural ayant à charge 4 personnes (voir le texte cité par P. GOUBERT dans "L’ancien régime" Tome 1). Il conclut : "Ainsi de quelque façon qu’on prenne la chose, il est certain qu’il aura toujours bien de la peine à attraper le bout de son année".

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