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La peur du gendarme

Le jeudi 4 décembre 2014, par Michel Carcenac

Il nous arrivait, avant la guerre, de recevoir un tonnelet de Château Neuf du Pape. Bien calé sur deux poutres, il attendait quelques jours avant d’être mis en perce. J‘avais sept ou huit ans ans mais j’étais content de participer à la délicate opération de la mise en bouteilles. J’avais relavé les bouteilles, intérieur et extérieur : la poussière n’est pas recommandée pour coller les étiquettes et les bouteilles sombres doivent être belles, brillantes, pour entreprendre encore une fois le travail de garde du vin.

Cela ne se fait pas tout seul, le vin est parfois contrarié d’avoir quitté son fût de chêne aux aromes puissants et, dans les six mois, il fait la maladie de la bouteille. Il en guérit tout seul.

Assis sur une caisse de bois, j’avais à ma gauche les bouteilles bien rangées et en face le robinet du barricou. Je ne voyais pas couler le vin mais je l’entendais et le son changeait brusquement quand il atteignait le goulot. Antoine, mon père, enfonçait les bouchons avec un appareil de cuivre. Plus tard, les bouteilles seraient rangées dans leur casier, étiquettes en dessous.

Cette opération de mise en bouteilles était particulièrement bien choisie par mon père pour me faire la leçon, me parler, de la honte d’être saoul et de perdre ainsi toute dignité.

Un jour, il me fut donné d’assister à un spectacle qui illustrait les dires d’Antoine, au delà de ce qu’il racontait. Alerté par le bruit des sabots sur les pierres, je vis dans la rue les gendarmes à cheval sur des bêtes larges, solides, au poil luisant. Les képis et les sabres resplendissaient dans le soleil...

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Appuyé sur son sabre, dans une attitude désinvolte, le brigadier. On peut penser aussi que le sabre est au clair, pour impressionner la foule et la tenir à l’écart, la peur du gendarme.

Quand ils furent devant moi, j’aperçus ce qui m’était caché par les chevaux. La Gouge, un robuste sabotier, était à moitié couché entre les chevaux, la pointe de ses souliers traînait par terre. Ses poignets étaient pris chacun dans une chaîne dont l’autre extrémité s’accrochait à la selle ; pour les soulager de la brûlure du fer, la Gouge tenait les chaînes à pleines mains. Noble, le maréchal des logis, raide, l’air sévère, regardait droit devant. Pour se rendre à la gendarmerie, cet équipage devait traverser tout le village, excellente occasion pour l’édification de la population. L’allure était rapide et il m’aurait fallu courir pour le suivre, mais je suis resté cloué sur place, pétrifié. Quel crime avait donc commis la Gouge ? Il était tellement saoul ce jour-là qu’il flanquait sur la gueule à sa femme, plus fort que d’habitude, m’ont dit les copains. C’était chose courant et sa belle-sœur en prenait tout autant. En plus, il menaçait d’équarrir avec son herminette les voisins qui se mêlaient de ce qui ne les regardait pas. 

Je le connaissais bien, la Gouge, il était très gentil et me racontait des histoires tout en façonnant ses sabots sur la petite place devant chez lui. J’aimais le voir transformer en une belle chaussure à la pointe relevée une branche de noyer tordue. Je m’émerveillais à voir la lame, fixée par un anneau à une extrémité, découper le bois si vite et si bien. « Ne t’approche pas, petit, ça coupe ! » C’était encore plus miraculeux quand il creusait la place du pied avec ses gouges. Parfois il utilisait le bouleau, un bois léger, tendre et facile à travailler, mais sans la noblesse du noyer. A côté de son atelier en plein air, au pied du grand rocher creusé de grottes, des branches de noyer apportées à l’automne, attendraient le printemps en un joli tas.

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Le véritable tas de bois dont se servait le sabotier.
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À droite, en grossissant l’image, on voit la Gouge rentrer chez lui, avec son tablier de cuir. C’est dans le petit cabanon, à gauche, contre le rocher qu’il entreposait ses outils.

Quelques années plus tard, en 1939, la Gouge partit en guerre et s’en revint avec une glorieuse blessure : une grosse cicatrice en creux qui lui labourait en diagonale la joue droite. Rentrant dans la nuit à son cantonnement, avec une bonne cuite, il n’avait pas répondu au « Qui va là ? » de la sentinelle.

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