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Jean Feuillet "tué à l’ennemi" en septembre 1914 dans les Vosges

Le jeudi 2 octobre 2014, par Michel Guironnet

Enfant, durant l’office dominical, mon esprit vagabondait souvent sur la grande plaque placée sur le mur, à droite, au fond de l’ancienne église de Saint-Clair-du-Rhône.
A la rencontre des deux bras de la grande croix au contour doré, trois médailles étaient fixées… Une phrase en latin, juste à hauteur de mes yeux, m’intriguait Vita mutatur, non tollitur avec cette traduction : « Ils ne sont pas morts, ils ont changé de vie ».

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Cette plaque est maintenant dans la "nouvelle" église de Saint-Clair inaugurée en 1975.
Hommage de la paroisse « Aux Morts pour la Patrie », cette plaque porte vingt noms d’enfants du pays tombés lors de la Guerre de 14-18.

Cette belle parole de saint Augustin sert d’introduction à cet article à la mémoire de Jean Francisque Feuillet. Il est l’un des trois soldats « Morts pour la France » en 1914. J’ai déjà évoqué dans ces pages les figures de Joseph François Biard et de Louis Duchêne… D’autres suivront certainement, au gré de mes recherches [1]

Joseph Feuillet et Mélanie Coste

Le 8 novembre 1884, à Saint Michel sur Rhône (Loire), Joseph Feuillet, 28 ans, propriétaire cultivateur né et domicilié à Saint Clair du Rhône (Isère) [2] épouse Mélanie Coste, 22 ans, « brodeuse sur tulle » née et domiciliée à Saint Michel [3] [4].

Installé sur « la Route » à l’écart du village de Saint Clair, non loin de la gare P.L.M, le couple a quatre enfants :

  • Rémy Antoine, né le 25 septembre 1885
  • Jeanne Claudia, née le 20 décembre 1886
  • Jean Francisque, né le 10 avril 1889
  • Claude Marius, né le 29 juillet 1897 [5].

Joseph est un temps « chapelier » entre 1885 et 1888 ; probablement aux Roches de Condrieu, tout à côté de son domicile, où fonctionnent deux ou trois chapelleries.Il est ensuite « cultivateur » jusqu’à son décès en 1903 ; son épouse Mélanie lui survivra jusqu’en 1921.

Soldat au 52e Régiment d’Infanterie de Montélimar

Jean Francisque est de la classe 1909. Grâce à sa fiche matricule, numéro 756, nous avons sa description physique à vingt ans : "Cheveux et sourcils châtains, yeux gris, front ordinaire, nez ordinaire, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, taille 1 m 58, degré d’instruction générale 2" Ce niveau 2 correspond à "sait lire et écrire".

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Détail des services et affectations
Extrait de la fiche matricule de Jean Francisque Feuillet disponible sur le site des archives départementales de l’Isère

« Corps d’affectation dans l’armée active : 52e Régiment d’Infanterie. Disponibilité et réserve de l’armée active : Régiment d’Infanterie de Montélimar, affecté spécial.

Détail des services et mutations diverses :

  • Inscrit sous le N° 35 de la liste de Roussillon. Incorporé le 1er octobre 1910 ; arrivé au corps et soldat de 2e classe le dit jour.
  • Envoyé en congés le 25 septembre 1912 ; certificat de Bonne Conduite accordé.
  • Classé dans l’affectation spéciale (2e section de chemin de fer de campagne, subdivision complémentaire) employé permanent de la Compagnie P.L.M. comme homme d’équipe à Badran ? du 1er janvier 1914 au 24 mai 1914 [6]
  • Rappelé à l’activité par suite de la Mobilisation Générale (Décret présidentiel du 1er août 1914).
  • Arrivé au corps (52e Régiment d’Infanterie de Montélimar 9e Compagnie) le 3 août 1914 ; aux Armées le dit jour.
  • Mort pour la France le 2 7bre (septembre) 1914 à St Rémy (Vosges) (avis ministériel du 2 8bre 1914).
  • Secours de 150 frs payé le 22 décembre 1917 à Mme Veuve Feuillet (mère) ».

Au cœur des combats de la 27e Division d’Infanterie

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C’est la guerre !
A la date du 1er août 1914 dans le JMO du 52e Régiment d’Infanterie

Arrivée au 52e RI le 3 août 1914, un mois plus tard, Jean Francisque meurt à vingt cinq ans dans les combats de Saint Rémy.

Connaitre la compagnie de Jean Francisque est primordial pour suivre son parcours dans le Journal de Marche et Opérations du 52e RI [7]

Jean Francisque Feuillet est affecté à la 9e Compagnie du 3e Bataillon. Le chef de bataillon, Confortini, a sous ses ordres quatre compagnies (9e à 12e) la 9e est commandée par le Capitaine Allier assisté du Sous Lieutenant Nidegger.

« Le 52e R.I. peut être fier de son rôle pendant la guerre. Au début, c’est la lutte dans les Vosges ; l’offensive entamée vigoureusement, les cols de Sainte-Marie et du Bonhomme franchis, les premiers villages de l’Alsace occupés ; puis, il faut reculer devant les forces très supérieures en défendant pied à pied vallées et défilés, et contre-attaquant avec une inlassable énergie. Vingt-quatre combats en trente jours, des pertes sensibles, mais le flot ennemi est endigué ».

Cet extrait de l’« Historique du 52e Régiment d’Infanterie pendant la guerre 1914-1918 », rédigé après guerre, donne la "vision patriotique" alors en vogue dans la "littérature militaire" Heureusement, grâce à d’autres documents, nous avons une vision plus juste de ce premier mois de guerre.

Le 52e régiment d’infanterie fait partie de la 54e brigade d’infanterie qui comprend, à la mobilisation le "groupe alpin du 7e Chasseurs" remplacé dès le 8 août par le 5e régiment d’infanterie coloniale.
Avec la 53e brigade, composée des 75e et 140e régiments d’infanterie et du 14e Bataillon de Chasseurs Alpins, la 54e brigade est rattachée à la 27e Division d’Infanterie (D.I) du XIVe Corps d’Armée (C.A).

La 27e D.I est mobilisée dans la 14e région. [8].

  • du 5 au 9 août : transport par voie ferrée dans les Vosges, vers Lépanges ; concentration.
  • à partir du 9 jusqu’au 24 août : mouvement offensif, par Corcieux, vers les cols du Bonhomme et de Sainte-Marie :
  • du 13 au 16 août : combats vers le col du Bonhomme et vers Sainte-Marie-aux-Mines.
  • à partir du 20 août, mouvement en direction de Schirmeck :combats vers Salm et Vaquenoux, puis défense de la région est de Prayé, col de Hans.
  • du 24 août au 13 septembre :repli vers la Meurthe, dans la région Moyenmoutier,Ban-de-Sapt.
  • à partir du 25 : engagée dans la bataille de la Mortagne : offensive en direction de Raon-l’Etape et combats vers Saint-Blaise-la-Roche.
  • puis le 27, repli derrière la Meurthe : combats vers Etival, Saint-Remy, Nompatelize, la Bourgonce, la Salle et la Croix-Idoux.

Des nouvelles de nos soldats

« Montélimar, nos compatriotes sur la frontière.
Les correspondances sont toujours très rares et les nouvelles qui nous sont parvenues sont encore imprécises. Néanmoins, il paraît malheureusement certain que deux sergents du 52e ont trouvé la mort dans les Vosges, ce sont les sergents Méalarès et Rochegude, vaillantes victimes du devoir, à la famille desquels nous adressons notre sincère sympathie.
Malgré ce qu’on a pu raconter de côtés et d’autres, ce sont jusqu’ici les deux seuls tués, officiellement, de notre régiment..
Les blessés sont un peu plus nombreux, mais aucun ne l’est gravement, par bonheur …/…Sans trahir le « secret professionnel », il est permis de dire que notre 52e s’est admirablement conduit, qu’il a chargé à plusieurs reprises à la baïonnette et a fait environ 120 prisonniers allemands.
Une douzaine de blessés français venant de Vichy, où ils avaient passé une dizaine de jours, sont arrivés hier à quatre heures à la gare de Montélimar d’où on les a conduits, en automobiles, à l’hôpital. Leurs blessures ne sont pas graves, mais comme ils ont été frappés dès leur arrivée sur la ligne de feu, les renseignements qu’ils peuvent donner sont forcément très restreints ».

Voilà ce que l’on peut lire dans « La Croix de la Drôme » du 6 septembre 1914. Ce n’est là qu’un exemple de la "désinformation" que pratiquent les journaux...sans parler des "fameux communiqués" de l’Armée où l’on apprend que, sur le front, tout va pour le mieux !
Imaginez les familles des soldats, partagées entre l’optimisme et l’incertitude.

Que sait-on, aujourd’hui, sur ces semaines au front ? Grâce au J.M.O du 52e RI, nous pouvons suivre les combats... tout particulièrement ceux de Saint Rémy où Jean Francisque trouve la mort.

Les combats de Saint Rémy d’après le JMO du 52e RI

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St Rémy est pris et repris plusieurs fois
JMO de la 27e Division d’Infanterie (26 N 314/1)

« St Rémy est réoccupé dans les mêmes conditions que la veille, le 1er bataillon est en réserve.
2 septembre : à 4 h 30, St Rémy est bombardé par l’ennemi qui ne prononce de la journée aucune attaque d’infanterie. Les positions du 1er et du 2e bataillons sont maintenues jusqu’au soir, savoir :

  • 2e bataillon : toute la lisière Nord du village et la croupe à l’Ouest
  • Le 3e bataillon, (c’est celui de J.F Feuillet) qui occupait la croupe au Sud de St Rémy et à l’Est de la route, pris d’enfilade doit reculer. Il est envoyé au Hau.
  • Le 1er (bataillon) est toujours en réserve dans les tranchées entre St Rémy et La Salle.

L’ordre de stationnement de la Division pour la nuit du 2 au 3 prescrit que « la ligne Neuf-Etangs St Rémy sera considérée comme une avant-ligne et ne comprendra plus que 2 bataillons, l’un du 75e à Neuf-Etangs, l’autre du 52e à St Rémy ».

La 2e ligne dans ce secteur viendra du Haut du Bois à La Salle. En exécution de cet ordre, le 1er bataillon occupe St Rémy, le 3e bataillon occupe les tranchées au Nord de La Salle, de part et d’autre de la route de St Rémy, ainsi que la ferme du Hau..

Le 2e bataillon occupe les tranchées en avant de la route de Rambervillers au Nord-Ouest de La Salle »

Les combats de Saint Rémy : le témoignage de Franck Roux

Franck Roux est né à Brignon le 25 septembre 1893. Mobilisé à la 11e compagnie du 52e R.I. de Montélimar (il fait partie du 3e bataillon, le même que celui de Jean Francisque Feuillet), il fait une courte campagne et est fait prisonnier dans les Vosges en septembre 1914.

Son témoignage est présenté en octobre 1993 par Robert Roux, son fils sous le titre "Ma campagne d’Alsace-Lorraine. 1914" [9]

"Le 24 août, le 52e combat pour reprendre Saint-Blaise « après une vive résistance » et avant l’attaque des bois de la forêt du Grand Fays pendant deux journées terribles où quatre assauts à la baïonnette rendent exsangues les compagnies qui y ont pris part, laissant à celle de Roux, la 11e, 80 survivants sur 250. Après un ultime assaut manqué pour la reprise de Saint-Blaise le 27, c’est à nouveau le reflux vers l’ouest, par Etival, Saint-Michel-sur-Meurthe, La Salle puis La Bourgonce.

Entre le 29 août et le 3 septembre, les 52e, 75e, 140e R.I. et le 11e B.C.A. multiplient les attaques sur Saint-Remy qui restera finalement aux mains des Allemands pendant que les Français refluent vers La Salle" [10]

" Nous avançons prudemment en envoyant des patrouilles en avant-garde. Quelques coups de fusil sont tirés et nous voilà dans Saint-Rémy. Nous fouillons toutes les maisons et à minuit nous allons coucher dans une ferme en avant du village.
Dans cette ferme il y avait la Croix-Rouge allemande avec trois de leurs blessés ainsi que le capitaine de la 1re Compagnie qui était blessé et prisonnier.
A la gauche de Saint-Rémy les Allemands avaient abandonné beaucoup de munitions pour artillerie. Dans cette journée ils avaient subi des pertes sensibles.

1er septembre  :
On nous réveille à quatre heures du matin et la Compagnie est rassemblée un peu plus loin de la ferme. Chacun s’apprêtait à faire un peu de jus, quand une patrouille ennemie qui, à cause du brouillard, s’était très rapprochée de nous, nous surprend par une salve de coups de feu. Immédiatement, nous abandonnons tout, nous courons aux fusils qui étaient en faisceaux et nous nous déployons en tirailleurs dans un champ de pommes de terre.

Là le combat commence très rude, les obus tombent à côté de nous et dans Saint-Rémy, qui est bientôt la proie des flammes.Les Compagnies qui nous couvraient en avant se replient et ma section rampe en arrière jusqu’à dix mètres des maisons dans une tranchée où l’on s’abrite.

Mais, à midi, les obus nous tombaient dessus de plus en plus nombreux, nous recouvrant de terre bien souvent. Nous étions cinq survivants sur vingt. On se dresse avec un copain et nous voyons à vingt mètres de nous les Allemands qui montaient leur mitrailleuse. C’était le moment de fuir ou jamais, par un bond rapide, nous allons en arrière, traversons le village en ruines, sous une rafale d’obus et de balles. A un croisement de route, on avait vu deux mitrailleuses.

Enfin on se croyait perdu, de partout crachait la mitraille. A deux cents mètres de Saint-Rémy, on s’arrête dans un repli de terrain, et écoutant les sifflements des obus qui se croisaient, nous restons là tout l’après-midi. En avant de nous, Saint-Rémy brûlait et en arrière, c’était La Salle qui jetait des lueurs dans le silence qui revenait avec la nuit.

A neuf heures du soir, on se rapproche de Saint-Rémy et nous passons la nuit dans des tranchées au bas d’un vallon. Ce jour-là notre capitaine Bernard fut cassé et notre chef qui était passé adjudant commandait la Compagnie, mais le soir il était blessé à la tête et au bras par un éclat d’obus, ainsi que le fourrier.
A la Compagnie on avait eu quatre-vingts morts, il ne restait plus que deux sergents pour nous commander. Les cadavres, en putréfaction, étaient très nombreux sur le champ de bataille et empuantissaient l’air.

2 septembre  :
De bon matin, l’artillerie ennemie ouvre le feu, les obus tombent très près de nous et bien souvent on entend crier et c’est un des nôtres qui est blessé par un éclat. Les mitrailleuses, qui nous avaient repérés, nous tirent dessus, et on entend le sifflement des balles passer à deux doigts de nos têtes.

Enfin on reste là sans pouvoir presque se défendre jusqu’à midi. A ce moment, les blessés sont de plus en plus nombreux et la place n’est plus tenable. On se replie en rampant à plat ventre et à travers une pluie de balles et d’obus, nous arrivons dans les tranchées occupées par notre bataillon.

Nous restons là toute la journée sans pouvoir tirer un coup de fusil, car aussitôt que nous levons la tête, les balles sifflent et nous causent des pertes. On avait à ce moment pour commandant de la Compagnie le lieutenant Lubin de la 12’ : la nuit arrive et le combat cesse. On nous distribue des vivres car il y avait trois jours qu’on jeûnait et nous avons mangé au clair de lune.

Dans cette journée, nous avions subi de lourdes pertes. Lorsque nous avons traversé le plateau de Saint-Rémy ; il y avait une vingtaine de morts alignés dans chacune de nos tranchées, tués par les obus. De voir ces cadavres éparpillés et si nombreux, le spectacle était navrant mais il donnait à tous une idée de vengeance" .

Mort sans sépulture ?

Les soldats "tués à l’ennemi" dans les premières semaines de la guerre sont souvent sans sépulture identifiée.Le corps de Jean Francisque Feuillet ne fut pas retrouvé après les combats sur le terrain bouleversé par les bombardements.

Il fallut un jugement en janvier 1917 pour qu’il soit officiellement,déclaré "Mort pour la France". Le texte de ce jugement n’est retranscrit dans les registres de sa commune de naissance que le 15 février 1918 !

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Sur la tombe de la famille Feuillet au cimetière de Saint Clair du Rhône

[2Né le 4 novembre 1856 « Fils légitime de feu Feuillet Jean décédé à Saint Clair » le 21 juin 1867 et « de vivante Bernard Jeanne » 56 ans,

[3Née le 19 juin 1862, fille de Guillaume Coste, 67ans, propriétaire-cultivateur, et d’Antoinette Paret, 62 ans, cultivatrice.

[4Leur contrat de mariage a été passé le 25 octobre 1884 devant Maître Denolly « notaire à la résidence de St Alban du Rhône ».

[5Claude Marius meurt "à la guerre" en septembre 1917. Un article sur cet artilleur tombé à la Cote du Talou est en préparation.

[7J.M.O 26 N 644/1

[8d’après "Les Armées françaises dans la Grande Guerre" et l’excellent site "Parcours de guerre des régiments français".

[9Merci à Eric Mansuy pour la communication de ces pages

[10D’après la présentation du livre sur le site du C.R.I.D. Sur Franck Roux, voir :
http://www.crid1418.org/temoins/2008/07/26/roux-franck-1893-1964/

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