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Les opérations dans le Pacifique pendant la guerre de Crimée 1854 – 1856

Campagne du Kamtchatka et des bouches de l’Amour

Le lundi 1er septembre 2008, par Jean-Yves Le Lan

Ce texte est la transcription d’un mémoire du lieutenant de vaisseau Erulin qu’il a rédigé lors de ses études à l’Ecole Navale (1933-1934). Il concerne les opérations dans le pacifique pendant la guerre de Crimée (1854-1856) et en particulier la campagne du Kamtchatka et des bouches de l’Amour.

Introduction

La guerre de 1854 – 1856, que nous appelons ordinairement guerre de Crimée, et qui mit aux prises d’une part la Russie, de l’autre la France et l’Angleterre alliées à la Turquie, a vu ses principales opérations navales se dérouler dans les mers d’Europe : Mer Noire, Baltique, Mer Blanche.

Cependant il y a eu également des opérations dans l’océan Pacifique et, bien qu’elles n’aient mis en jeu que des forces relativement faibles et qu’elles n’aient pas eu d’influence sur l’issue même de la guerre, elles ne sont pas sans intérêt militaire et il n’est pas inutile de les décrire ni de chercher à dégager les enseignements qu’elles peuvent comporter.

Chapitre I

La situation dans le Pacifique – Caractères
généraux dans la zone d’action.

La zone où se déroulent les événements que nous allons exposer, embrasse à peu près tout l’océan pacifique.

Les opérations de guerre proprement dites ont pour théâtre les régions les plus septentrionales de cet océan, celles où il baigne les îles Kouriles et Aléoutiennes, les côtes de Sibérie et d’Alaska. Mais les forces que nous verrons opérer dans ces mers ont leurs points normaux de stationnement, leurs bases, leurs ports de ravitaillement sur les côtes de Chine ou de Californie et jusqu’en Amérique du Sud.

La zone d’action est donc très vaste et les distances y sont considérables (du Chili au Kamtchatka il y a près de 10 000milles) ; les traversées sont très longues.

Par ailleurs, à cette époque où l’on ne connaît pas la T.S.F., où le réseau des câbles est encore inexistant, les liaisons sont très lâches et difficiles à établir, entre forces opérant dans ces mers.

Avec l’Europe les communications sont longues ; il n’existe ni canal de Suez, ni canal de Panama. Les points où les correspondances arrivent avec le plus de rapidité sont, sur la côte Asiatique, Ayan, dans la mer d’Okhotsk, relié à St-Pétersbourg en deux mois par courrier terrestre ; sur la côte américaine, Panama qu’un court trajet par terre sépare de Colon, ce dernier port étant lui-même desservi par des services réguliers de paquebots venant de France et d’Angleterre (délai : un mois environ).

Un fait qui caractérise l’ensemble de la zone d’action c’est que l’on y rencontre les quatre types de climat ; équatorial et tropical, tempéré et polaire. Les conditions climatiques ne sont pas sans action sur l’état sanitaire des équipages, donc sur les possibilités des bâtiments.

Mais ce qui d’une manière plus profonde encore influe sur les opérations navales, c’est le fait que les possessions russes se trouvent toutes dans une région très froide où les côtes sont bloquées par les glaces durant plusieurs mois de l’année. Une action dans ces parages ne pourra être entreprise que de mars à octobre.

Chapitre II

La situation politique et économique en 1854.

En 1854, la situation politique des territoires de la côte américaine du Pacifique est encore assez trouble.

Il s’est écoulé de trente à quarante ans depuis que les diverses colonies espagnoles d’Amérique se sont rendues indépendantes. Elles ont déjà à peu près constitué les états qui existent à l’heure actuelle : Chili, Pérou, Equateur, Colombie, Mexique. Mais tous ces états ont des frontières mal définies ; ils sont le siège de révolutions et d’insurrections continuelles.

Ils font cependant un commerce maritime assez important. Les ports les plus fréquentés sont Valparaiso, Callao, Panama.

Dans la partie septentrionale de l’Amérique, la situation n’est pas beaucoup plus claire que dans l’ancien Empire Espagnol.

Il y a seulement six ans qu’en 1848, dans leur poussée vers l’Ouest, les Etats-Unis ont enlevé au Mexique la Californie. Cette dernière région est en pleine fièvre de l’or. Elle est en grande partie peuplée d’aventuriers et n’a pas d’autorité publique bien assise. San Francisco n’a que quelques années d’existence. Elle compte cependant déjà 60 000 habitants (dont 10000 Français). Son port supplante de plus en plus l’ancien port de Monterey.

Plus au nord, entre les Etats-Unis et le Canada, la limite est définie par le parallèle 49°. Les régions en question n’ont encore que peu d’importance économique et sont peu peuplées ; les Anglais ont cependant quelques établissements dans l’île de Vancouver.

Plus au nord encore, sur les côtes de l’actuelle Alaska, s’étendent les territoires russes.

Partis de la Sibérie Orientale, les Russes, à la fin du 18e siècle et au début du 19e, se sont peu à peu installés dans les îles Aléoutiennes et sur la côte d’Amérique. Un moment leur pavillon a flotté tout près de la baie de San Francisco.

En 1854 leurs possessions ne s’étendent plus, vers le sud, que jusqu’au détroit d’Hécate.

Ils n’ont du reste pas pénétré l’intérieur du pays, peuplé de tribus sauvages. Ils ont seulement créé des établissements dans quelques unes des innombrables baies et îles qui s’étendent sur 60° de longitude, du méridien 130 W au méridien 170 E.Gr. Ils y font le commerce des pelleteries et, sur une moindre échelle, celui de la glace. Ces divers champs d’activité sont exploités par la compagnie Russo-Américaine, créée à la fin du 18e siècle. Le port principal est Stika, dans l’île Bararof.

Leurs territoires d’Amérique ne sont, pour les russes, qu‘un prolongement de leurs possessions de l’Asie septentrionale.

Ils sont en effet depuis longtemps établis sur la côte orientale de Sibérie et, à la fin du 17e siècle, ils ont soumis le Kamtchatka.

Maîtres du nord de Sakhaline, ils ont des visées sur la partie sud de l’île, qui appartient au Japon. Mais ce ne sera qu’en 1858 qu’ils s’établiront dans la baie d’Aniwa. Ils ont également des vues sur l’archipel japonais des Kouriles et, en 1852, ils se sont emparés de l’île d’Urup.

La poussée russe vers le sud, sur la côte de Mandchourie, cette poussée vers la mer libre, qui aboutira plus tard à Vladivostok et à Port Arthur, se fait également déjà sentir. Partis d’Irkoust sur le lac Baïkal, de petits vapeurs ont, en 1852, atteint l’embouchure du fleuve Amour, à l’extrémité septentrionale de la Manche de Tartarie. A la suite de cette expédition, la Russie a obtenu de la Chine, qui n’exerce sur ces contrées qu’une souveraineté nominale, l’autorisation de naviguer sur le fleuve et un droit, assez mal défini du reste, de s’établir dans la province de l’Amour, dans la région située au nord du parallèle 50° environ.

Les ports principaux de l’Asie russe en 1854 sont : au Kamchattka, Petropavlosk ; en mer d’Okhotsk, Ayan, qui a supplanté le port d’Okhotsk, situé plus au nord. Enfin, à l’embouchure de l’Amour, commence à se construire Nicolaievsk.

L‘activité économique de ces régions réside surtout dans le commerce des peaux et dans la pêche à la baleine, laquelle est pratiquée par de nombreux voiliers russes, américains, français et anglais.

Au sud des territoires russes et jusqu’à la presqu’île de Malacca, les côtes du continent asiatique appartiennent à l’empire chinois ou à des états sur lesquels la Chine exerce une suzeraineté plus ou moins effective : Manchourie, Royaume de Corée, Empire d’Annam.

Les relations de la Chine, avec les puissances occidentales sont encore peu développées.

En 1841 – 42 a eu lieu, la guerre de l’opium, à la suite de laquelle l’Angleterre s’est emparée de l’île de Hongkong à l’embouchure du Si-Kiang, en face du vieil établissement portugais de Macao.

L’Angleterre, puis la France et les Etats-Unis se sont également fait donner des embryons de concessions à Shanghaï, par des traités que le gouvernement chinois veut ignorer officiellement. Le pays tout entier est d’ailleurs profondément troublé, depuis 1850, par l’insurrection des Taï-Ping, qui durera 15 ans.

Le ministre de France en Chine réside à Macao ; le ministre d’Angleterre, à Hongkong. La France, l’Angleterre et les Etats-Unis ont des consuls à Shanghai et dans quelques autres ports.

La France n’a, en 1854, aucune possession territoriale en Extrême-Orient. Rien n’existe encore de ce qui sera l’Indochine française.

Quand au Japon, ce n’est pas encore une puissance mondiale. Depuis deux siècles, les shoguns de la dynastie Tokugawa le tiennent fermé au mode extérieur. Il ne commerce avec l’Europe que par la petite factorerie hollandaise de Nagasaki.

Mais son isolement est de moins en moins strict et les navires étrangers commencent à relâcher dans ses ports, (Nagasaki et Hakodate en particulier), sans avoir le droit toutefois d’y faire du commerce ni même de mettre leurs équipages à terre.

Nous sommes à l’époque où les grandes nations blanches vont successivement essayer de conclure avec le Japon des traités de commerce. L’année 1854 est celle de l’expédition américaine du commodore PERRY et des premières démonstrations navales anglaises et russes.

Dans le reste du Pacifique, les Etats européens ont déjà de nombreux établissements.

Depuis le 16e siècle, les Espagnols sont aux Philippines, les Hollandais aux îles de la Sonde.

Les Anglais tiennent Singapour. Installés en Australie depuis la fin du 18e, ils le sont en Nouvelle-Zélande depuis 15 ans.

La France, déjà maîtresse de Tahiti et de îles Marquises, a pris, à la fin de 1853, possession de la Nouvelle Calédonie, gagnant de vitesse l’Angleterre.

Les îles Sandwich sont encore indépendantes. Elles sont l’objet de visées de plus en plus nettes des Etats-Unis, visées que l’Angleterre et la France cherchent à contrecarrer.

L’exposé que nous venons de faire, montre que, dans le Pacifique en 1854 les intérêts territoriaux français et anglais sont encore relativement de faible importance, (l’Australie elle-même n’est pas encore devenue une colonie du peuplement). Mais les deux puissances ont, par ailleurs, de nombreux intérêts politiques et économiques.

Leur commerce maritime et les entreprises de pêche à la baleine dans les mers septentrionales sont susceptibles de subir les atteintes de l’ennemi. Mais d’autres affaires imposeront des servitudes aux amiraux alliés.

La situation troublée dans laquelle se trouvent les divers états de la côte américaine nécessite souvent des démonstrations militaires. Il en est de même en Chine, où il faut parfois monter de véritables expéditions contre les pirates. Enfin les traités, en cours de conclusion avec le Japon, seront loin d’être étrangers, même pendant la guerre, aux préoccupations des belligérants, Russes et Anglais surtout.

Quant à la Russie, ses intérêts territoriaux sont très importants dans le Pacifique Nord. Ils sont assez faciles à atteindre, mais ils sont en partie protégés par les notions peu précises que, tant les Anglais que les Français, possèdent sur l’hydrographie, dans ces régions, et par le fait qu’ils ne sont accessibles que pendant les mois d’été.

Les intérêts économiques les plus importants de nos adversaires sont ceux de la compagnie Russe-Américaine, et le gouvernement de Saint Pétersbourg n’est pas sans inquiétude à leur égard. Mais le gouvernement britannique, quelqu’extraordinaire que cela semble, a, de son côté, des craintes au sujet des intérêts analogues de la Cie de la baie d’Hudson. Dès le début des hostilités, entre les deux belligérants, sera conclue une convention, par laquelle ils s’engageront à ne porter respectivement aucune atteinte aux établissements des dites compagnies.

Chapitre III

Les forces en présence – La situation initiale.

Les forces françaises :

Au début de 1854, la France a, dans le Pacifique, deux forces navales.

La première porte le titre de « Division Navale de l’Océan Pacifique ». Elle est placée sous le commandement du contre-amiral FEBVRIER-DESPOINTES, qui a la charge des intérêts français sur toute la côte américaine et dans le Pacifique Oriental.

La division comprend :

  • La frégate « LA FORTE », de 50 canons, commandée par le capitaine de vaisseau de MINIAC, et portant le pavillon amiral.
  • La corvette « l’EURYDICE », de 28 canons, commandée par le capitaine de vaisseau de la GRANDIERE, le futur gouverneur de la Cochinchine.
  • Le brick « l’OBLIGADO », de 18 canons, commandé par le capitaine de frégate de ROSENCOAT.
  • La frégate « l’ALCESTE », de 52 canons, commandée par le capitaine de vaisseau LE GUILLOU-PENANNROS, et qui vient de France en renfort.

L’amiral FEBVRIER-DESPOINTES a également sous son autorité le gouverneur des Etablissements Français d’Océanie.

Ce dernier est le capitaine de vaisseau FAGE, qui sera remplacé à la fin de 1854 par le capitaine de vaisseau DUBOUZET. Il a l’administration des îles françaises (Tahiti, Marquises, Nouvelle Calédonie), et commande également une « subdivision » comprenant : la corvette « l’ARTHEMISE », de 32 canons ; la corvette à vapeur « PRONY », de 56 canons et l’aviso à vapeur « DUROC », de 4 canons, plus quelques goélettes sans valeur militaire.

La situation du gouverneur des Etablissements d‘Océanie par rapport au commandant du Pacifique est assez complexe.

Le Cdt PAGE dépend de l’amiral DESPOINTES en ce qui concerne l’entraînement militaire de ses bâtiments et leur emploi à des opérations de guerre. Mais, en ce qui regarde son gouvernement territorial, il relève directement du ministre, qui, à cette époque, est à la fois ministre de la Marine et des Colonies.

Le Pacifique Occidental est le domaine d’une autre force navale française, la « Division de la Réunion et de l’Indochine », commandée, par le contre-amiral LAGUERRE.

Sa zone normale d’action comprend la Mer Rouge et l’Océan Indien, les Mers de Chine et du Japon et les parages des îles de la Sonde.

Au début de la guerre, la composition de la division est la suivante :

  • La frégate « JEANNE D’ARC », de 44 canons, commandée par le capitaine de vaisseau JAURES et portant pavillon amiral.
  • La corvette « LA CONSTANTINE », de 30 canons, commandée par le capitaine de vaisseau TARDY DE MONTRAVEL.
  • La corvette à vapeur « COLBERT », de 6 canons, commandée par le capitaine de frégate de BAUDEAN.
  • La frégate « LA SIBYLLE », de 50 canons, commandée par le capitaine de vaisseau de MAISONNEUVE, quitte à peine la France.

Les forces Anglaises :

Les forces navales britanniques dans le Pacifique sont également divisées en deux groupes.

« L’Escadre des Côtes Américaines », sous le commandement du contre-amiral PRICE, comprend :

  • La frégate « PRESIDENT », de 50 canons, portant pavillon amiral.
  • La corvette « AMPHITRITE », de 32 canons.
  • La corvette « DIDO », de 24 canons.
  • Le brick « TRINCOMALE », de 18 canons.
  • La corvette à vapeur « VIRAGO », de 6 canons (vapeur à roues).
  • La frégate « LA PIQUE », de 44 canons, qu’on envoie d’Angleterre.

La seconde force navale porte le titre « d’Escadre des Indes Orientales ». Elle est commandée par le contre-amiral SIR JAMES STIRLING, qui vient de succéder au vice-amiral FLESWOOD PELLEW. Elle a pour zone d’action l’Océan Indien et les Mers de Chine.

Sa composition est la suivante :

  • La frégate « WINCHESTER », de 50 canons, portant pavillon amiral.
  • La corvette « SPARTAN », de 24 canons.
  • La corvette « COMUS », de 14 canons.
  • La corvette hôpital « MINDERN ».
  • Les brick « BITTERN » et « GRECIAN », de 6 canons (à roues).
  • La corvette à vapeur « ENCOUNTER », de 14 canons (à hélices).
  • Les avisos à vapeur « RATLER », de 9, et « STYX », de 6 canons.
  • En outre une frégate la « SIBYLLE » arrive, en renfort, d‘Angleterre.

Les forces Russes :

La Russie n’a normalement de forces navales que dans le Pacifique septentrional et les Mers de Chine. Elles sont placées sous le commandement de l’amiral POUTIATINE et comprennent :

  • La frégate « PALLAS », de 52 canons portant pavillon de l’amiral
  • La corvette « DWINA », de 20 canons.
  • La corvette « OLIVOUTZA », de 30 canons.
  • L’aviso à vapeur « VOSTOCK », de 8 canons (à hélice).

Cette escadre sera renforcée par des transports de la Cie Russo-Américaine, vapeurs et voiliers qui sont au nombre d’une dizaine, tous armés de quelques canons. Dès les temps de paix du reste, l’amiral utilise déjà comme ravitailleurs, certains de ces navires.

Arrivent en outre, d’Europe, au début de 1854 :

  • La frégate « DIANA », de 50 canons.
  • La frégate « AURORA », de 44 canons.

Quant aux forces terrestres que la Russie entretient dans ses possessions, elles sont réparties entre les diverses garnisons de Petropavlosk, d’Ayan, de Nikolaievsk, et se montent à environ 5000 hommes.

La situation initiale :

La guerre est déclarée le 28 mars 1854. Etant donné l’éloignement et la lenteur des communications, la nouvelle n’en sera connue dans le Pacifique qu’avec des retards de plusieurs semaines ou plusieurs mois, retards variables selon les lieux et les positions des navires.

Les amiraux PRICE et FEBVRIER-DESPOINTES sont informés le 8 mai. A cette date, la situation de leurs forces est la suivante :

  • En ce qui concerne les Français, la frégate « FORTE » et le brick « OBLIGADO » sont à Callao, la corvette « EURYDICE » est à Valparaiso, la corvette « ARTHEMISE » est à Nouka-Hiva (I. Marquises), la corvette à vapeur « PRONY » à la Nouvelle Calédonie, l’aviso à vapeur « DUROC » à Tahiti. La frégate « ALCESTE », partie de France en mars seulement est encore dans l’Atlantique.
  • Du côté anglais : la frégate « PRESIDENT » et la corvette à vapeur « VIRAGO » sont à Callao, la corvette « AMPHITRITE » est à Valparaiso, la corvette « DIDO » au Mexique, le brick « TRINCOMALE » aux I. Sandwich, la frégate « PIQUE » aux environs du Cap Horn.
  • Dans les parages de l’Extrême-Orient, la division française de la Réunion et de l’Indochine, au moment où la guerre commence, est très dispersée.
  • La frégate « JEANNE D’ARC » est, en mars à St Denis de la Réunion ; elle ne sera à Singapour qu’en mai. En mars également, la corvette à vapeur « COLBERT » est à Shanghai, la corvette « CONSTANTINE » est en Nouvelle-Calédonie depuis décembre 1853. Quand à la frégate « SIBYLLE », elle ne quitte Brest que le 29 mars 1854.
  • L’escadre anglaise des Indes Orientales est, au contraire assez bien groupée. L’amiral STRIRLING, est à Singapour le 4 avril. Il concentre dans les mers de Chine la plus grande partie de ses bâtiments, la frégate « WINCHESTER », la corvette « SPARTAN » , le brick « BITTERN » et ses quatre navires à vapeur.
  • Les bâtiments alliés en Extrême-Orient ne seront, dans l’ensemble, touchés par la nouvelle de la déclaration de guerre que dans le courant du mois de juin 1854.

En ce qui concerne les forces russes, leur situation à la fin de mars est la suivante :

  • La division de l’amiral POUTIATINE est dans les parages des îles LEW-TCHEW, au sud du Japon.
  • La frégate « DIANA » a quitté Valparaiso le 23 mars. La frégate « AURORA » fait route sur Callao, où elle arrivera à la mi-avril.

Chapitre IV

L’attitude des Russes – Leurs mouvements durant les premiers mois de la guerre.

Avant même l’ouverture des hostilités et dès le début de la tension politique en Europe, de grandes craintes, se manifestent en Amérique et dans le Pacifique au sujet de l’intention qu’auraient les Russes de faire la guerre de course. Après la rupture, les craintes ne feront que s’accentuer et l’on verra circuler les informations les plus diverses, dont les consuls se feront les échos, et qui concerneront des armements de corsaires aux Antilles, en Californie, aux I. Sandwich.

Ce qui donne naissance à ces bruits, c’est le séjour à New-York, au début de 1854, d’officiers de marine Russes, venus négocier un achat de matériel de guerre. Puis ce sont deux goélettes de la Cie Russo-Américaine, armées de quelques canons, qui arrivent à San Francisco ; elles y resteront d’ailleurs désarmées deux ans sans tenter d’en sortir. Interviennent aussi pour accroître les craintes la présence de nombreux aventuriers, en Californie et aux I. Hawaii, et les sentiments russophiles que l’on prête au gouvernement des Etats-Unis.

Il est bien difficile de dire si le gouvernement russe a eu réellement l’intention de délivrer des lettres de marque et d’effectuer des opérations de course. Toujours est-il que ces projets, s’ils ont existé, n’ont été suivis d’aucune réalisation.

En dehors de ces velléités d’offensive au commerce, les Russes, dans le Pacifique, se tiendront, durant toute la guerre, sur la défensive. Leurs mouvements seront dirigés par l’idée d’éviter le combat à la mer. Ils chercheront un port sûr pour abriter leurs navires, une position qui soit ou qu’ils puissent rendre à près inexpugnable. Ils seront ainsi conduits à abandonner successivement toutes leurs possessions et à concentrer leurs forces terrestres et navales au point le plus inaccessible aux escadres françaises et anglaises, l’embouchure de l’Amour.

Le ralliement des bâtiments russes vers le Pacifique septentrional s’effectue avant même que ses navires aient été touchés par la nouvelle de l’ouverture des hostilités.

La frégate « AURORA » appareille de Callao le 29 avril 1854 pour Petropavlosk, où elle arrive le 2 juillet.

Deux transports de la Cie Russo-américaine, le « KAMTCHATKA » et le « SITKA », qui se trouvaient à Valparaiso, quittent ce port respectivement les 11 avril et 7 mai, faisant route vers les Aléoutiennes.

La frégate « DIANA », qui a quitté Valparaiso le 23 mars, s ‘est rendue aux I. Sandwich. Elle y séjourne jusqu’au 30 juin. A cette date, elle quitte Honolulu, après avoir appris la déclaration de guerre. Elle fait voile vers le Japon, d’où elle ralliera l’amiral POUTIATINE.

Ce dernier qui, avec la « PALLAS », le « VOSTOCK » et le transport « MENCHIKOFF », se trouvait à Shanghai, est parti le 9 mars. Il reste quelque temps dans les mers de Chine et du Japon où l’occupe le traité à conclure avec ce dernier pays. A l’annonce de la guerre, il remonte vers le nord.

Il a envoyé, dès le mois de mars la corvette « OLIVOUTZA » à Stika. Ses autres bâtiments reçoivent les destinations suivantes :
La corvette « DWINA », à la mi-juin, après avoir touché Ayan, est expédiée à Petropavlosk, avec 500 hommes de troupes, pour la défense de la place.

La frégate « PALLAS » se rend dans le nord de la Manche de Tartarie. Elle essaye de gagner l’embouchure de l’Amour où l’on compte s’en servir comme batterie flottante, mais son tirant d’eau l’empêche de passer les bancs. Elle est alors mise à l’abri dans une baie profonde de la côte continentale. Elle y échappera aux recherches des alliés, mais de toute la guerre elle n’interviendra directement en aucune manière dans les opérations.

L’amiral POUTIATINE lui-même quitte la « PALLAS ». Il met son pavillon sur l’aviso à vapeur « VOSTOCK ». Il passera ultérieurement sur la « DIANA ».

Chapitre V

Les opérations des alliés – Inaction des forces Franco-Anglaises d’Extrême-Orient en 1854.

En face de l’attitude défensive des Russes, la stratégie des alliés va se donner comme but la recherche des forces navales adverses dans le Pacifique Septentrional, ainsi que la destruction des ports et établissements de l’ennemi.

La supériorité d’ensemble des forces Franco-Anglaises est très grande ; mais les forces sont réparties entre quatre chefs, qui ont la charge d’intérêts multiples et divers et qui sont entièrement indépendants les uns des autres. Ces conditions sont peu favorables à la concentration des efforts, concentration que viennent encore rendre plus difficiles les très grandes distances et la lenteur des moyens de communication.

Par ailleurs, la nature et le climat eux-mêmes travaillent pour les Russes. Les alliés ne disposeront que de quelques mois par an pour effectuer leurs opérations et ils devront chaque année entreprendre une nouvelle campagne.

Durant l’année 1854 ni l’escadre anglaise des Indes Orientales, ni la division française de la Réunion et de l’Indo-Chine n’effectuait d’opérations contre les forces russes.

Il est vrai que la nouvelle de la déclaration de guerre ne leur est pas connue avant juin ; mais il restait encore trois mois de belle saison pour tenter d’atteindre l’ennemi, et là n’est pas la seule ni la principale cause de l’inaction des forces alliées. D’autres facteurs sont entrés en jeu, qui ne sont pas le mêmes pour les Français que pour les Anglais.

L’escadre anglaise, au début de la guerre, s’est trouvée, comme nous l’avons vu, très rapidement et presque toute entière concentrée dans les mers de Chine. L’amiral STIRLING, arrivé à Singapour le 4 avril, est à la fin du mois à Hongkong, d’où il repart le 25 mai pour Shanghai, il y séjourne jusqu’en septembre et n’en repart que pour Nagasaki.

Plusieurs considérations expliquent cette manière d’agir.

Outre le désir que l’amiral a pu avoir de ne pas trop s’éloigner de Hongkong, afin d’être en mesure d’apporter à la colonie la protection qu’elle réclame de l’escadre, une raison très sérieuse l’a maintenu à Shanghai : les troubles dont la cité chinoise est le siège et qui créent une très grave menace pour la concession britannique.

Mais, fait beaucoup plus important, tous les actes de l’amiral STIRLING tournent autour de son désir de se rendre au Japon. L’amiral, en effet, a reçu de son gouvernement des pouvoirs diplomatiques pour négocier un traité de commerce [1]. Il est d’autant plus désireux d’accomplir rapidement cette mission que déjà il a été devancé par le commodore PERRY et même par l‘amiral POUTIATINE. A cause des affaires de Shanghai, c’est seulement au mois d’octobre que l’amiral STRIRLING peut partir pour le Japon et y conclure un premier accord. Ceci fait, il est trop tard pour songer à aller à la recherche des Russes et l’amiral britannique rallie Hongkong en novembre.

En ce qui concerne la force navale française d’Extrême-Orient, la question ne se présente pas de la même manière.

Son chef, l’amiral LAGUERRE, à un vif désir d’entreprendre des opérations contre les forces russes [2] . Dès son arrivée dans les mers de Chine, il cherche à se mettre d’accord à ce sujet avec l’amiral STIRLING, mais il trouve celui-ci peu décidé à agir et occupé d’intérêts tout autres. Il écrit également au mois de juillet à l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES dans le but de chercher à combiner leurs actions respectives ; mais cette tentative n’est susceptible d’aucune suite pour l’année en cours.

Seul l’amiral LAGUERRE est à peu près hors d’état d’agir. En effet, comme nous l’avons vu, sa division est très dispersée.

La « CONSTANTINE », qui s’est rendue en décembre 1853 en Nouvelle Calédonie prendre possession de l’île au nom de l’Empereur, y a manqué de peu l’amiral DESPOINTES qui est venu de son côté en septembre 1853 accomplir la même mission, et qui a laissé derrière lui le « PRONY ». « CONSTANTINE » et « PRONY » installent des postes, font de l’hydrographie. Ils ne seront touchés par la nouvelle de la guerre qu’en septembre 1854. La « CONSTANTINE » repartira pour la Chine en octobre ; elle atteindra Macao en décembre.

Quand à la « SIBYLLE », qui vient de France, elle arrivera à la Réunion en septembre 1854, mais ne sera pas sur les côtes de Chine avant le printemps de 1885.

Restent le « COLBERT », qui stationne à Shanghai, et la frégate « JEANNE D’ARC ».

A bord de ce dernier bâtiment, l’amiral LAGUERRE est arrivé à Singapour le 11 mai, venant de la Réunion. Reparti le 12 juin, il séjourne en juillet à Macao et Hongkong. Mais un malheureux accident de navigation vient le priver de son navire.

Partie de Hongkong pour Shanghai le 2 août, la « JEANNE D’ARC », le 12, s’échoue sur les bancs en entrant dans le Yang-Tsé [3] . Il faut pour le dégager cinq jours de travail et le concours du « COLBERT » et du « BARACOUTA ». Le 21 août, les deux vapeurs peuvent enfin la remorquer à Shanghai, mais elle a des avaries graves et la perspective de longs mois de réparations.

La division française réduite au seul « COLBERT », il ne peut être question de tenter quoi que ce soit contre les Russes.

Eut-il eu du reste des forces plus importantes, l’amiral LAGUERRE eut sans doute été retenu à Shanghai par les troubles qui s’y produisent. La concession française en effet, subit, dans l’été et l’automne 1854 de graves déprédations, qui amènent d’abord l’amiral à bombarder la cité chinoise, en décembre de la même année, et à tenter de s’en emparer au début de janvier 1855.

Chapitre VI

Les opérations en 1854, des forces alliées du Pacifique Est – Première campagne du Kamtchatka.

A l’encontre de celles du Pacifique Occidental, les forces navales alliées du Pacifique Oriental, lorsque l’ouverture des hostilités en Europe leur est connue, se mettent à la recherche des Russes.

C’est la première campagne du Kamtchatka, au cours de laquelle se livrent les seuls véritables combats que l’on ait à enregistrer, de toute la guerre, sur le théâtre d’opérations que nous étudions.

Au début de mai 1854, la frégate française, « LA FORTE » portant pavillon de l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES, est au mouillage du Callao. L’amiral vient de mettre un heureux terme « par sa conduite ferme et modérée tout à la fois » [4] à un grave différent qui s’était élevé entre le Ministre de France et le Gouverneur Péruvien.

La frégate anglaise « PRESIDENT », portant pavillon de l’amiral PRICE, est également au Callao depuis peu.

Les dernières nouvelles reçues d’Europe datent de plus d’un mois. Elles indiquent que la guerre avec la Russie est imminente et les deux amiraux ont tout lieu de penser que les hostilités sont déjà commencées.

Le 8 mai, le vapeur anglais « VIRAGO », que l’amiral PRICE maintenait à Panama, rallie avec des dépêches ; la guerre est déclarée depuis le 28 mars.

L‘amiral FEBVRIER-DESPOINTES reçoit des instructions assez vagues [5] .Elles lui prescrivent de protéger le commerce. Elles indiquent comme objectif éventuel les possessions russes du Pacifique Nord. Elles envisagent comme possible une concentration des forces françaises du Pacifique Oriental avec les forces de Chine, concentration dont l’opportunité est laissée à l’appréciation des amiraux. Elles prescrivent une attitude offensive à l’égard des forces navales ennemies. Elles insistent tout particulièrement sur l’étroite union, dans laquelle les escadres française et anglaise doivent mener leurs opérations.

L’amiral PRICE de son côté reçoit des instructions analogues et l’ordre d’agir conjointement avec les forces françaises.

Les renseignements que les deux amiraux possèdent sur l’ennemi sont peu précis [6] . Ils connaissent à peu près la composition des forces russes. Ils ont vu la « DIANA » à Valparaiso en mars, l’« AURORA » au Callao en avril, et ils savent qu’elles ont pris des lettres de crédit pour les Sandwich et la Californie.

Par ailleurs, depuis plusieurs semaines, le bruit court que les Russes vont armer des corsaires.

C’est sur l’hypothèse d’une concentration de l’ensemble aux I. Sandwich que les amiraux alliés établissent leur premier projet d’opérations. Ils décident de se porter vers les îles, après avoir rassemblé leurs propres forces.

Le point de ralliement choisi est l’île française de Nouka-Hiva, dans les Marquises.

La force navale, alliée n’est pas pourvue d’un commandement unique. Les décisions sont prises « par accord » des deux amiraux, entre lesquels du reste règne la meilleure entente.

Après avoir envoyé à Valparaiso des ordres pour « l’EURYDICE » et « l’AMPHITRITE » qui se trouvent dans ce port, et des instructions pour le « PIQUE » et « l’ALCESTE », qui vont arriver d’Europe, l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES, avec la « FORTE » et « l’OBLIGADO », l’amiral PRICE, avec la « PRESIDENTE » et la « VIRAGO » appareillent du Callao le 17 mai.

Les quatre bâtiments naviguent d’abord de conserve ; mais les voiliers sont bons marcheurs, le vapeur ne peut suivre qu’avec peine. Aussi, à partir du 20, l’amiral anglais laisse-t-il la « VIRAGO » naviguer seule. Les deux frégates et le brick arrivent à Nouka-Hiva le 8 juin.

En exécution des ordres qu’il a envoyés au Cdt PAGE, l’amiral DESPOINTES compte trouver à Nouka-Hiva l’aviso à vapeur « DUROC ». Mais il n’y a que « l’ARTHEMISE », au mouillage depuis plus d’un an. Le 16 juin on voit arriver de Tahiti la goélette « PREVOYANTE » et l’on apprend par elle que le « DUROC » est indisponible pour cause d’avarie machine.

La concentration se poursuit cependant. La « VIRAGO » rallie le 15 juin. Le 27 juin c’est le tour de « l’EURYDICE » et le 30 celui de « l’AMPHITRITE » ; ces deux bâtiments viennent de Valparaiso, qu’ils ont quitté respectivement les 31 et 30 mai.

L’amiral DESPOINTES fait alors compléter l’équipage de la corvette « ARTHEMISE » avec des matelots de la « PREVOYANTE » et des soldats de la garnison. Le 3 juillet il quitte Nouka-Hiva avec l’amiral PRICE, et toute l’escadre alliée, fait route sur les I. Sandwich [7] .

La traversée se passe sans incident, sinon qu’il faut encore, le 6 juillet, donner liberté de manœuvre à la « VIRAGO ».

Le 15 juillet, l’escadre est aux Sandwich. Elle n’y trouve aucun navire ennemi.

Le 17 la « VIRAGO » rallie et tous les bâtiments mouillent à Honolulu.

L’escadre russe ne s’est donc pas, comme on l’escomptait, rassemblée aux I. Hawaii. Seule la « DIANA » y a été vue récemment et en est partie le 30 juin. Les amiraux décident alors de se rendre au Kamtchatka.

Voici les raisons de cette détermination, telles que les donnera l’amiral FEBVRIER DESPOINTES, dans un rapport ultérieur [8] . « Mon intention », écrit-il, « et celle de l’amiral PRICE, en allant à Avatcha, était d’abord de permettre aux baleiniers français et anglais de quitter les lieux de pêche sans être inquiétés par l’ennemi. Ensuite de tenter une attaque de vive force contre Petropavlosk et de combattre la division russe que nous comptions trouver mouillée à Avatcha ».

Peu après son arrivée à Honolulu, l’escadre alliée est renforcée par la frégate « PIQUE ». Entré à Valparaiso le 31 mai, ce bâtiment y a trouvé les instructions laissées pour lui et il rallie le 27 juillet. Quant à « l’ALCESTE », il n’est pas question de l’attendre, car il doit à peine arriver au Chili.

On a déjà perdu du temps depuis que, le 8 mai, on a appris la déclaration de guerre. La saison s’avance et il ne faut plus tarder si l’on veut tenter quelque chose avant l’hiver.

Aussi, le 25 juillet, l ‘escadre franco-anglaise prend-elle la mer. Elle fait route sur le Kamtchatka.

Cependant, si, pendant le séjour aux Sandwich, on n’a pas eu de renseignements précis sur ce que font les navires de guerre ennemis, on a recueilli des nouvelles, qui ne semblent pas dénuées de fondement et qui concernent l’armement, par les Russes, de corsaires en Californie. Or il n’y a plus, sur, la côte d’Amérique, depuis le mois de juin, que le brick « TRINCOMALE » et la corvette « DIDO ».

C’est pourquoi, quelques jours après l’appareillage d’Honolulu et après d’assez longs échanges de vues, les amiraux alliés détachent deux nouveaux bâtiments à la protection du commerce. Les navires désignés sont les corvettes françaises « ARTHEMISE » et anglaise « AMPHITRITE », qui se séparent de l’escadre le 30 juillet et font voile vers San Francisco.

Le reste de la force navale poursuit sa route vers le nord-ouest. L’ensemble des navires alliés comprend maintenant 3 frégates, 1 corvette, 1 brick et une corvette à vapeur. Pour n’avoir pas à s’en séparer de nouveau, l’amiral PRICE à pris la « VIRAGO » en remorque du « PRESIDENT ».

A mesure que l’on s’élève vers le nord, on trouve du froid, de la pluie, des brumes épaisses et fréquentes, qui retardent la navigation.
Le 24 août les amiraux s’estiment à 40 ou 50 milles de terre ; mais la brume ne permet pas d’en approcher.

Le temps s’éclaircit pourtant le 27, et le 28, au lever du jour, on reconnaît la baie d’Avatcha où s’abrite le port de Petropavlosk.

Chapitre VII

Première campagne du Kamtchatka (suite) L’attaque de Petropavlosk [9] .

La baie d’Avatcha est située sur la côte orientale du Kamtchtka par 53° de latitude N. et 159° de longitude est Gr.

De forme à peu près circulaire et d’un diamètre d’environ 10 milles, elle est entourée de côtes rocheuses que dominent des volcans élevés aux sommets toujours couverts de neige. Elle communique avec la mer par un goulet très sain de 3 milles de long et d’une largeur de 1,5 à 2 miles. Ce serait un magnifique mouillage, s’il n’était bloqué par les glaces la moitié de l’année.

Dans la partie Est de la baie, un des nombreux replis de la côte forme un véritable port naturel, au fond duquel est bâtie la ville de Petropavlosk. Le port est fermé à l’ouest par une pointe rocheuse et élevée d’environ 1500 mètres de long sur 200 mètres de largeur moyenne, orientée nord-sud et appelée Pointe Shakoff. La fermeture du port est complétée vers le sud par une langue de sable basse et étroite, d’une longueur d’environ 600 mètres, qui laisse, entre son extrémité ouest et la pointe Shakoff, une passe de 150 mètres de large. L’ensemble du plan d’eau a, comme dimensions, 600 mètres environ, sur 600.

Sous l’énergique impulsion du contre-amiral ZAVOIKA, gouverneur, les défenses, à la fin d’août, 1854, ont été considérablement renforcées. Les Russes n’ont cependant pas eu le temps de fortifier le goulet de la baie d’Avatcha. Il n’y a qu’un vieux canon auprès du phare de l’entrée. Mais aux abords mêmes de Petropavlosk il existe de nombreux ouvrages.

L’entrée du port est défendue par un groupe de quatre batteries : A et A’, à l’extrémité de la pointe Shakoff ; B à la naissance de la langue de sable ; C à 1500 mètres dans le sud de B.

En outre la frégate « AURORA » et la corvette « DWINA » ont été embossées, cap à l’ouest, derrière la langue de sable, par-dessus laquelle elles peuvent tirer. Le transport « KAMTCHATKA » se trouve également dans le port, mais il est désarmé.

Deux batteries ont été installées sur la côte ouest de la pointe Shakoff ; une batterie D, à la naissance de la pointe ; une autre, E, un peu plus au sud, barre une sorte de col, coupant la ligne de collines qui couvre la pointe de bout en bout.

Enfin quelques autres ouvrages défendent la ville dans le nord et l’est.

La garnison, renforcée par les 500 hommes que la « DWINA » a amenés d’Ayan à la fin juin, et par les équipages des navires de guerre, compte environ 2000 hommes.

Le 28 août, le calme ayant immobilisé, vers le milieu de la matinée, les bâtiments à voile de l’escadre franco-anglaise qui se disposaient à entrer dans la baie d’Avatcha, les amiraux dans l’après-midi, font reconnaître la place par le vapeur « VIRAGO ».

Le 29, la brise se lève. Les navires alliés pénètrent dans le goulet. Vers 14 heures ils sont devant Petropavlosk. Ils défilent, salués de quelques coups de canons par les Russes, et ils vont mouiller hors de portée des batteries.

Un conseil réunit les amiraux et les commandants. On prend la décision de commencer par détruire au canon les ouvrages A, B et C, qui défendent l’entrée du port, et d’agir ensuite suivant les circonstances.
La matinée du 30 est consacrée par les alliés à des reconnaissances rapprochées par embarcations.

Vers 11 heures, les bâtiments commencent à appareiller pour aller prendre poste en face des batteries russes.

C’est à ce moment qu’un canot britannique apporte à l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES une grave nouvelle : l’amiral anglais vient de se tirer un coup de pistolet dans la région du cœur…

Les opérations sont suspendues. L’amiral DESPOINTES se rend à bord du « PRESIDENT ». L’amiral PRICE ne peut lui dire que quelques mots : « J’ai commis une faute grave……je vous remercie de votre collaboration…… ». Il mourra vers le soir sans avoir indiqué les motifs de son suicide, qui restent assez obscurs. Il semble que l’amiral, de caractère à la fois irrésolu et impulsif, voyant les défenses de Petropavlosk beaucoup plus fortes qu’il ne l’avait pensé, ait craint de ne pouvoir se tirer à son honneur de l’opération entreprise et se soit donné la mort dans un moment de découragement.

Du fait du décès de l’amiral PRICE, c’est le capitaine de vaisseau NICHOLSON, commandant la « PIQUE », qui prend, dans la division anglaise, les fonctions de commodore. En accord avec lui, l’amiral DESPOINTES décide que l’attaque sera reprise le 31 sur les bases précédemment arrêtées.

La journée du 31 août est marquée par une tentative de destruction du groupe de batteries russes indiqué plus haut. Les bâtiments alliés engagés sont les frégates « FORTE », « PIQUE » et « PRESIDENT », et la corvette à vapeur « VIRAGO ».

Au matin de cette journée, il fait calme. Dès huit heures, la « VIRAGO » prend en remorque les trois frégates, deux à couple, une en flèche. Le bombardement doit en effet se faire au mouillage et le vapeur doit conduire d’abord la « FORTE » et le « PRESIDENT » à leur poste, situé à 1000 mètres dans le SSW de la pointe Shakoff.

Un violent courant de jusant porte au sud. La « VIRAGO » n’avance qu’avec peine, elle dérive beaucoup et ne peut gagner le point prévu.

Vers 9h15, l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES fait larguer les amarres de la « FORTE » et du « PRESIDENT » et décide de s’embosser là où il se trouve, c’est-à-dire à 1700 mètres dans le SSW de la pointe Shakoff, laquelle masque les frégates du tir de l’« AURORA » et de la « DWINA ».

Quand à la « VIRAGO » et à la « PIQUE », elles vont mouiller à 1200 mètres dans le SW de la batterie C.

Aussitôt mouillés les navires ouvrent le feu. La « FORTE » et le « PRESIDENT » démontent quelques pièces de la batterie A, que ses occupants évacuent vers 10 heures. Les deux frégates tirent également sur la batterie B, mais sans grands résultats. Elles-mêmes ne sont pas touchées.

Pendant ce temps la « PIQUE » et la « VIRAGO » bombardent la batterie C, qui est évacuée à 10 heures. Le vapeur se rapprochant de la côte met à terre une petite troupe de 150 hommes, mi-français, mi-anglais, qui s’emparent de l’ouvrage inoccupé et enclouent les pièces. Un détachement russe dessine une contre-attaque, mais il n’arrive sur les lieux que lorsque les marins alliés ont regagné leur navire.

Il est 11 heures ; on fait dîner les équipages. Les bâtiments alliés n’ont pour ainsi dire pas été touchés. Il est convenu que les opérations continueront l’après-midi et que cette fois, les trois frégates attaqueront la batterie B et l’ « AURORA ».

A 13h15, le vent s’étant levé, la « FORTE » appareille sous voiles. Mais il y a toujours du courant de jusant et la frégate mouille à 14 h en un point situé à 1000 mètres de la pointe Shakoff, mais d’où l’« AURORA » est toujours masquée.

La « FORTE » entreprend de détruire la batterie B, qui riposte énergiquement et fait au navire d’assez graves avaries. La batterie de son côté, à plusieurs pièces démontées et, vers 15 heures, ses occupants l’évacuent.

C’est à ce moment seulement que le « PRESIDENT » vient mouiller près de la « FORTE » et tirer à son tour sur la batterie B silencieuse.

Quand à la « PIQUE », elle n’a pas quitté son mouillage du matin devant la batterie C détruite.

Finalement, vers 17 heures, l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES décide de renvoyer mouiller les bâtiments hors de portée des canons de la défense et il signale à la « VIRAGO » de venir remorquer la « FORTE ».

Le vapeur prend la frégate à couple et essaye de s’éviter mais sans y parvenir. La renverse du courant s’est faite et il y a maintenant flot, portant vers le nord. Les deux navires cap à l’Est sont rapidement drossés vers l’entrée du port. Ils sont bientôt dans le champ de tir, non seulement des batteries, mais de l’« AURORA » et de la « DWINA ». Les Russes pourtant à la grande surprise des Français et des Anglais n’ouvrent pas le feu sur la cible magnifique qui leur est offerte.

Cependant, tandis que la « FORTE » et la « VIRAGO » continuent à dériver, à leurs bords règne un grand tumulte [10] : altercations entre Français et Anglais, flot d’ordres et de contrordres…….., jusqu’au moment où l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES donne l’ordre de mouiller. On est à 500 mètres de la pointe Shakoff [11] .
Un peu de calme revient devant l’inaction des Russes. La « VIRAGO » prend la « FORTE » en flèche à 18h15, et peut ainsi la conduire aisément au mouillage choisi pour la nuit.

Le vapeur aide ensuite la manœuvre du « PRESIDENT » et de la « PIQUE » et bientôt toute l’escadre se trouve réunie.

Ainsi se termine cette journée où les bâtiments alliés, après avoir tiré près de 2000 coups de canon, ont seulement mis hors d’usage une batterie de 3 pièces et n’ont fait à deux autres batteries que des avaries facilement réparables, cependant que la « FORTE » était sérieusement touchée et avait un mort et de nombreux blessés.

Mais il s’est produit un fait grave : un manque très net d’unité dans l’action. Les navires britanniques n’ont pas exécuté les instructions de l’amiral DESPOINTES et, à bord des navires français, les esprits sont très montés contre les Anglais.

Aux conférences qui, le 31 août au soir et le 1er septembre, réunissent chez l’amiral, le commodore NICHOLSON et les commandants des bâtiments des deux nations, de longues et amères discussions éclatent [12] . Finalement, aucun accord n’ayant pu se faire sur le plan d’opérations à adopter, il est admis que la place est imprenable, avec les moyens dont on dispose, et les chefs des forces alliées décident qu’après avoir donné quelques jours de repos à leurs navires en baie d’Avatcha, ils rallieront San Francisco.

Le 2 septembre cependant, le commodore NICHOLSON écrit à l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES, pour lui proposer d’enlever la place dans une opération de débarquement.

Des pêcheurs américains, que la « VIRAGO » a rencontrés, en allant faire l’eau dans le fond de la baie d’Avatcha, lui on dit en effet qu’au NW de la ville existe une route ; cette route passe non loin de la côte, à proximité du col, que commande la batterie E. Le plan du commodore est de débarquer près de ce col et d’atteindre la route, puis de gagner la ville et de s’en emparer.

Ce plan ne sourit guère à l’amiral DESPOINTES. Il juge l’entreprise téméraire et l’écrit au commodore NICHOLSON. Alors se poursuit, pendant vingt quatre heures, entre les deux chefs, un échange de lettres assez aigres, où le commodore laisse nettement entendre que le manque d’audace de l’amiral compromet l’honneur des pavillons alliés .

L’amiral FEBVRIER-DESPOINTES finit par être ébranlé [13] . Le 3 septembre, il réunit les commandants en conseil de guerre et, sur leur avis presque unanime, il décide que l’on tentera l’opération de débarquement proposée par le commandant supérieur britannique.

La date choisie est le 4 septembre. On mettra à terre une troupe de 700 hommes : 300 Anglais (tant matelots que « marines ») et 400 Français. On ne donne à la troupe un chef unique ; il y a un chef Anglais et un chef Français : le capitaine de vaisseau BURRIDGE, commandant le « PRESIDENT » et le capitaine de vaisseau de LA GRANDIERE, commandant l’« EURYDICE ».

Le 4 septembre au matin, il fait beau. Dès 5 heures, les troupes embarquent sur la « VIRAGO ».

A 7h15, la « FORTE » s’embosse à 700 mètres de la batterie D, le « PRESIDENT » à 900 mètres de la batterie E. Les deux frégates ouvrent le feu sur les ouvrages russes, qui sont évacués au bout de ¾ d’heure. Le débarquement peut s’effectuer.

Il est 8 heures. La « VIRAGO » a mouillé à 300 mètres du rivage. Les troupes, dans les embarcations, gagnent la plage et mettent pied à terre sans encombre à 8h30.

Le plan est d’enlever d’abord un mamelon, qui domine, au nord le col et la batterie E.

Français et Anglais, pleins d ‘ardeur, se lancent à l’escalade. Mais le terrain est beaucoup plus difficile qu’on le supposait. Il est coupé de rochers et de crevasses, couvert de fourrés épais. Les hommes disparaissent et se dispersent dans les buissons, échappant à la vue et à l’action de leurs officiers.

Les Russes, qui ont vu le débarquement se préparer, ont envoyé des troupes pour contre-attaquer. On tiraille sous les couverts. Cependant des groupes de marins et soldats alliés finissent par arriver au faîte de la colline. Mais ils tombent alors sur un important détachement ennemi, qui arrive de la ville en renfort et qui vient de gravir les pentes est du mamelon, beaucoup moins abruptes que les pentes ouest.

Les Russes sont servis par leur connaissance du terrain. Chez les alliés, de graves méprises se produisent, dues aux différences de langage, à des similitudes d’uniformes entre « marines » anglais et soldats russes. Le manque de liaison entre les chefs, les pertes subies, mettent peu à peu le désordre dans les rangs alliés. Français et Anglais commencent à refluer vers la plage et leurs chefs ordonnent la retraite.

Le rembarquement s’opère sous la protection des canons des navires. L’ennemi renonce à la poursuite, mais, des hauteurs il dirige un feu plongeant sur les embarcations, faisant encore de nombreuses victimes.

Vers 9h45, les derniers canots poussent de terre et rallient les bâtiments. L’affaire a duré un peu plus d’une heure.

Elle coûte à la division française 30 morts et 70 blessés ; 3 officiers ont été tués, 4 grièvement blessés.

Les Anglais ont également une trentaine de morts, dont un officier ; ils ont 75 blessés.

Cette opération mal préparée, sur des renseignements incertains, n’avait que peu de chances de succès. Elle a coûté cher et cet échec n’est pas fait pour resserrer l’entente entre l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES et le commodore NICHOLSON.

Après un échange de lettres courtoises, où ils se félicitent mutuellement de la bonne tenue, réelle du reste, qu’ont montré, leurs équipages au feu, les commandants des deux divisions alliées décident définitivement de quitter le Kamtchatka et de rallier la Californie.

Puisqu’on a renoncé à prendre Petropavlosk, il est du reste trop tard dans la saison pour tenter autre chose cette année contre les possessions russes.

Cependant, au moment où elle se retire, l’escadre alliée sans le savoir, passe à côté d’un succès [14] .

En effet, le 6 septembre au soir, l’aviso à vapeur « VOSTOK » portant l ‘amiral POUTIATINE et venant d’Ayan, donne dans le goulet d’Avatcha. Il aperçoit dans la baie des bâtiments suspects. A la nuit il est renseigné par le phare. Il s‘éloigne aussitôt vers le sud.

Les alliés ont bien aperçu le « VOSTOCK », mais ils ne l’ont pas identifié. Quand ils appareillent, le 7 au petit jour, le vapeur russe est déjà loin. Deux navires sont cependant en vue à l’ouvert du goulet [15].

On les capture. Ce sont le transport « SITKA », qui arrive lui aussi d’Ayan avec des renforts et des munitions pour Petropavlosk, et la goélette « ANADIR » qui revient des Aléoutiennes chargée de vivres.

Les alliés brûlent l’« ANADIR » et emmènent le « SITKA ». Avec ce maigre trophée, ils font route vers la Californie.

Le 19 septembre, Anglais et Français se séparent. Les premiers se dirigent sur l’I. Vancouver, les seconds sur San Francisco, où ils mouillent le 4 octobre.

La guerre dans le Pacifique est finie pour 1854.

A San Francisco, la division française trouve l’« ARTHEMISE » et l’« AMPHITRITE », qui avec la « DIDO » et le « TRINCOMALE », surveillent depuis deux mois la côte américaine et les Sandwich, et dont la présence dans ces parages a peut-être mis fin aux velléités qu’avaient les Russes d’y armer des corsaires.

L’amiral FEBVRIER-DESPOINTES envoie ses rapports, exprime ses besoins en hommes et en matériel, expose ses desseins pour 1855. Mais il est épuisé, par la campagne qu’il vient de faire et les déceptions qu’elle lui a apportées. Le 10 décembre, il demande à être relevé de son commandement à cause de l’état de sa santé [16] , et à rallier la France avec sa frégate. Il mourra à bord de la « FORTE », en mars 1855.

Chapitre VIII

Les opérations de 1855. Dispositions préliminaires des alliés.

Les événements du Pacifique et l’attaque malheureuse de Petropavlosk sont connus en Europe à la fin de 1854.

Le gouvernement anglais, pour succéder à l’amiral PRICE, désigne le contre-amiral BRUCE.

Mais l’amirauté britannique désire que l’année 1855 soit marquée par des succès très nets et le nouveau commandant de l’escadre des côtes américaines reçoit des instructions très précises [17] .

« Vous vous concerterez », lui est-il dit en substance, avec l’amiral français, afin d’entamer les opérations au printemps 1855, dès la débâcle des glaces. Vous vous rendrez à Petropavlosk. Vous prendrez ou détruirez les bâtiments de guerre que vous trouverez. Vous ne vous attarderez pas à détruire les batteries. Vous ne ferez pas de débarquement en un point éloigné du soutien de vos navires.

Si vous ne trouvez pas les frégates russes à Petropavlosk, vous vous rendrez à Sitka.

L’amiral STIRLING qui commande en chine, mettra à votre disposition deux bâtiments à vapeur.

On va même jusqu’à fixer à Londres la date et le lieu d’un rendez-vous initial. La date est le 25 avril 1855. Le point est situé par 50° de latitude nord et par 160° de longitude est, c’est-à-dire à 200 milles dans le sud d’Avatcha.

L’amirauté écrit en outre :

« Entretenez la meilleure entente avec l’amiral français. Les forces des deux puissances n’en doivent faire qu’une seule dont l’emploi et la distribution seront réglés d’un commun accord, pour la défense et le triomphe des communs intérêts de l’Angleterre et de la France sur ce point du globe ».

En France la nouvelle de l’échec subi par notre division au Kamtchatka, provoqua un certain déplaisir. Accusant réception, le 27 novembre 1854, des rapports de l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES, le Ministre de la Marine écrit à ce dernier [18] :

« Qu’il ne doit compromettre ses forces qu’en vue d’une entreprise considérable et surtout d’un succès presqu’assuré, que sinon, il les épuisera prématurément ; qu’il ne doit pas exposer des matelots à une entreprise à terre, sur un terrain accidenté ».

Surtout le ministre « regrette » que l’amiral n’ait usé de l’autorité que lui confédérait son grade, et qu’il ait fait effectuer, sur l’avis d’un conseil de guerre, l’opération de débarquement du 4 septembre, à l’exécution de laquelle il était lui-même nettement opposé.

Au mois de janvier, le gouvernement français décide de rappeler l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES, dont la santé est de plus en plus chancelante et dont le temps de commandement est expiré, et lui désigne pour successeur le contre-amiral FOURRICHON [19] .

Les instructions qui sont adressées à ce dernier, en date du 12 février 1855, prévoient, d’une façon très nette les opérations à effectuer au cours de l’année qui commence [20] .

Il doit faire une nouvelle attaque contre Petropavlosk et contre Sitka.

Il doit coopérer avec l’amiral anglais et on lui indique le rendez-vous que l’amirauté a fixé, pour le 23 avril, aux forces britanniques.

On lui fait connaître également que les forces alliées de Chine vont se porter sur l’embouchure du fleuve Amour pendant que lui-même, avec l’amiral BRUCE, opérera au Kamtchatka.

En effet l’intention du gouvernement français, comme du gouvernement anglais, est que les forces navales que les deux puissances ont en Extrême-Orient, ne restent comme l’année précédente, étrangères aux opérations.

On ne les concentre pas avec les forces du Pacifique Oriental. On ne donne pas à l’ensemble un commandement unique. Il s’agit, comme le disent les instructions adressées à l ‘amiral FOURRICHON, d’une « recherche simultanée des bâtiments russes par deux groupes d’alliés, opérant dans deux zones distinctes. Aux forces d’Amérique du sud le Kamtchatka et l’Amérique Russe ; aux forces de Chine, la mer d’Okhotsk et la Manche de Tartarie ».

L’amiral STIRLING, commandant de l’escadre anglaise des Indes Orientales, reçoit, datés du 6 décembre 1854, des ordres précis, qui lui enjoignent d’envoyer deux vapeurs à l’amiral BRUCE et de se porter lui-même vers le nord, « Où leurs seigneuries pensent qu’il s’est déjà rendu en accord avec l’amiral français », pour attaquer les bouches de l’Amour . [21]
La division française d’Indo-Chine reçoit des instructions analogues. Mais l’amiral LAGUERRE, arrivé au terme de son commandement, est remplacé par le contre-amiral GUERIN. La date et le lieu où les deux amiraux doivent se rencontrer, sont tels que ni l’un, ni l’autre ne sera là pour participer à l’expédition contre les Russes. Le commandement sur le théâtre des opérations sera exercé par le capitaine de vaisseau TARDY DE MONTRAVEL, commandant la « CONSTANTINE ».

Du fait des dispositions prises, il y aura donc en 1855, aux séries d’opérations, les premières sur les côtes du Kamtchatka et de l’Alaska, les secondes dans la Manche de Tartarie et la mer d’Okhotsk. Mais, avant, de les exposer, il y a lieu d’examiner où en sont, à la fin de l’hiver, les forces navales russes et quels mouvements elles effectuent.

Chapitre IX

Le repli des Russes sur l’Amour. [22]

Après les tentatives Alliés en 1854, les Russes n’ont pas douté un seul instant de leur renouvellement pour l’année suivante, et, cette fois, avec des moyens suffisants pour rendre toute résistante impossible.

L’évacuation de Petropavlosk a donc été décidée, ainsi que la concentration de toutes les forces à l’embouchure de l’Amour.

Dès la fonte des glaces, l’amiral ZAVOIKA fait rallier la corvette « OLIWOUTZA », le vapeur »VOSTOCK » et le transport « IRTICH », qui viennent s’ajouter à la frégate « AURORA », à la corvette « DWINA » et au transport « KAMTCHATKA ».

Le personnel européen, les objets précieux, le matériel de guerre sont entassés sur les six navires, tandis que la population indigène de la ville est transférée dans l’intérieur du pays.

Les bâtiments russes appareillent le 17 avril. A la hauteur du Cap Lopatka, dans la brume et les grains, ils entrevoient les deux vapeurs anglais de l’escadre de Chine, qui attendent déjà l’amiral BRUCE au rendez-vous. Mais le contact est fugitif ; les Anglais ne peuvent identifier les navires qu’ils aperçoivent et les perdent bientôt de vue.

Les Russes franchissent le détroit de Lapérousse et remontent en Manche de Tartarie. Ils vont mouiller dans la baie de Castries, car il faut les décharger avant de leur faire franchir les bancs qui encombrent les bouches de l’Amour. C’est dans cette baie qu’un détachement de l’escadre britannique d’Extrême-Orient, sous les ordres du commodore ELLIOT, les trouvera le 20 mai, mais les laissera échapper, ainsi que nous l’exposerons plus loin.

Un événement s’est produit, par ailleurs, durant l’hiver 1854 – 1855, qui a privé la force navale russe de ses plus importantes unités.

En effet, au mois d’octobre 1854, l’amiral POUTIATINE a quitté le « VOSTOCK » et mis son pavillon sur la frégate « DIANA », avec laquelle il s’est rendu au Japon en mission diplomatique. En décembre 1854, il est mouillé en baie de Shimoda, au sud de Tokio.

Le 23 décembre, par une magnifique journée calme et ensoleillée, se produit un violent tremblement de terre, accompagné d’un épouvantable ras de marée. La frégate est détruite, mais son équipage est sauvé.

Ce sont encore les bouches de l’Amour que l’amiral, ses officiers et ses hommes vont alors tenter de gagner.

L’amiral POUTIATINE lui-même, avec une partie des naufragés, ralliera la baie de Castries sur la goélette « HOEDA » construite par lui au Japon. Le reste du personnel de la « DIANA » s ‘embarquera sur le brick brémois « GRAETA », mais sera capturé par les anglais à quelques milles de son but.

Chapitre X

Les opérations des forces alliées en 1855. Deuxième campagne du Kamtchatka . [23]

L’amiral BRUCE a hissé son pavillon sur la frégate « PRESIDENT » au Callao en février 1855. L’escadre britannique est renforcée de l’aviso à vapeur « BRISK » et le sera bientôt par un vaisseau, le « MONARCH ».

L’amiral BRUCE aurait bien désiré s’entendre avec l’amiral français, mais la division française est privée d’amiral.

Le 5 mars en effet, avant d’arriver lui-même au Pérou, l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES est mort en mer. L’amiral FOURRICHON n’a pas encore rejoint.

S’il veut profiter de la belle saison pour agir contre les Russes, l’amiral anglais ne doit pas trop tarder à remonter vers le nord. Après avoir indiqué à ses bâtiments, qui sont disséminés sur toute la côte d’Amérique, deux rendez-vous successifs ; les Sandwich et le point fixé par l’amirauté au sud du Kamtchatka, il appareille du Callao le 11 mars.

Dans la division française, à la mort de l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES, c’est le commandant de « l’ALCESTE », le capitaine de vaisseau LE GUILLOU-PENNAROS, qui prend les fonctions de commandant supérieur. Il n’a pas participé aux opérations de 1854, car il n’est arrivé au Callao qu’au mois de juillet et a trouvé l’ordre d’y rester.

Il pousse les réparations de la « FORTE » et s’attache à maintenir concentrés au Pérou les bâtiments de la division. Mais étant donnée la prochaine arrivée de l’amiral FOURRICHON, il ne peut emmener ces bâtiments vers le nord. Il décide de se joindre aux Anglais avec sa seule frégate « l’ALCESTE » et il appareille du Callao le 13 mars.

Une première concentration se fait à Honolulu à la mi-avril, où « l’ALCESTE » rejoint les frégates « PRESIDENT » et « PIQUE », la corvette « DIDO » et l’aviso à vapeur « BRISK ».

Les cinq navires se dirigent isolément sur le deuxième rendez-vous, à 200 milles d’Avatcha, rendez-vous où, depuis le 7 avril, les attendent les corvettes à vapeur « ENCOUNTER » et « BARACOUTA » détachées par l’amiral STIRLING.

Entravé par le mauvais temps ce n’est que le 23 mai que peuvent s’opérer au point fixé le regroupement des navires venant des Sandwich et leur ralliement aux deux vapeurs de l’escadre de Chine.

Les jours suivants la brume gène la navigation. Le 31 mai seulement les sept bâtiments alliés se présentent devant Petropavlosk.

Pas un navire dans le port, pas un bruit, pas un mouvement dans les batteries ni dans la ville. Sur une maison flotte un pavillon aux couleurs des Etats-Unis.

On envoie un détachement à terre. La ville porte les traces d’un abandon hâtif et récent. Elle est à peu près inhabitée et l’on n’y trouve que deux commerçants américains.

C’est par eux que l’on apprend comment l’amiral ZAVOIKA est parti, le 17 avril, avec six bâtiments, pour gagner dit-on, la mer d’Okhotsk.

Tandis que se déroule ces événements, l’amiral FOURRICHON est arrivé le 25 mars au Callao, et a mis son pavillon sur la « FORTE ».

Le 5 avril l’amiral repart, avec la « FORTE » et « l’OBLIGADO ». A la mi-mai, il rallie, aux Sandwich, « l’EURYDICE », qui vient de Valparaiso, le brick anglais « TRINCOMALE » et la corvette »AMPHITRITE ».

Tous ces bâtiments font voile vers le Kamtchatka. Le 13 juin, l’amiral entre dans la baie d’Avatcha. Il y trouve l’amiral BRUCE au mouillage avec ses navires.

Après avoir envoyé la « PIQUE », « l’AMPHITRITE » et le « BARACOUTA » en mer d’Okhotsk, où ils doivent renforcer l’amiral STIRLING, dont c’est la zone d’action, les amiraux alliés décident d’aller explorer les I. Aléoutiennes et les côtes d’Alaska.

Entre le 18 et le 20 juin, les divers bâtiments de la force navale franco-anglaise quittent Petropavlosk.

Naviguant dans la brume et le gros temps, ils touchent aux I. des Rats, aux îles des Renards, à Kadiak…

Le 12 juillet le rassemblement s’opère devant Sitka, qui est, comme nous l’avons dit, le centre des établissements russes dans ces régions.

Aucun navire ennemi n’est dans la baie. Une embarcation sous pavillon américain se rend à bord du « PRESIDENT », et les alliés apprennent que Sitka comme Petropavlosk a été évacué et qu’il n’y existe aucune garnison.

L’amiral britannique fait connaître à son collègue français qu’aux termes de l’accord anglo-russe, il lui est interdit de porter atteinte aux établissements à terre, appartenant à la Cie Russo-américaine. Bien que n’ayant pas d’instructions à ce sujet l’amiral FOURRICHON ne croit pas devoir adopter une ligne de conduite différente de celle de l’amiral BRUCE, décision qui sera du reste approuvée par le gouvernement de l’Empereur.

Le 13 juillet, la division française, quitte Stika et mouille le 22 à San Francisco. Quand à l’escadre anglaise, elle reste à Stika attendre le « MONARCH », auquel ce point a été donné comme rendez-vous, et sur lequel l’amiral BRUCE hisse son pavillon. Les navires britanniques rallient, à leur tour San Francisco le 30 juillet.

Les deux forces navales, au mois d’octobre, se rendront en Amérique du Sud, où de nouveaux troubles rendent leur présence nécessaire. Elles ne prendront plus part à la guerre.

Chapitre XI

Les opérations des forces alliées en 1855. Campagne des bouches de l’Amour . [24]

Au début de la 2e année de guerre, les forces anglaises en Extrême-Orient, comprennent les bâtiments suivants :

Les frégates « WINCHESTER » et « SIBYLLE » ; la corvette « SPARTAN » et le brick « BITTERN » ; la corvette mixte « HORNETTE » ; deux avisos à vapeur, « RATTLER » et « STYX » ; un petit vapeur de liaison le « TARTAR ».

Les corvettes à vapeur « ENCOUNTER » et « BARACOUTA » ont été envoyées à Avatcha, comme nous l’avons vu.

L’amiral STIRLING est au Japon, avec la plus grande partie de ses navires. Il continue ses négociations et cherche à compléter les conventions déjà conclues en octobre 1854.

La division française est à Shanghai, où son chef a passé tout l’hiver, occupé par les troubles graves de la cité chinoise.

Le 17 avril 1855, l’amiral LAGUERRE, à bord de la « JEANNE D’ARC », maintenant remise en état, appareille pour Singapour. Il compte y rencontrer son successeur, l’amiral GUERIN, qui arrive de France sur la frégate « VIRGINIE ».

Le commandement intérimaire est assuré par le commandant de la « CONSTANTINE », le capitaine de vaisseau TARDY DE MONTRAVEL, qui conserve sous ses ordres le vapeur « COLBERT » et la frégate « SIBYLLE », dont l’équipage a été malheureusement décimé par une grave épidémie de dysenterie, au cours de ses traversées entre la Réunion, les I. de la Sonde et la Chine.

Conformément aux instructions que l’amiral LAGUERRE laisse avant d’appareiller, les bâtiments français se concentrent à Nagasaki, où ils doivent se joindre à l’escadre anglaise, en vue des opérations contre les Russes.

La « CONSTANTINE » quitte Shanghai le 6 avril, mouille à Shimoda du 20 au 23, et cherche vainement à y recueillir des renseignements sur les rescapés de la « DIANA ». Elle entre à Nagasaki le 8 mai. Le « COLBERT » y arrive quelques jours après. La « SIBYLLE » ne rejoint que le 20 mai, après avoir complété son équipage par des Chinois et avoir failli s’échouer aux îles Goto.

Depuis le début d’avril cependant, l’amiral STIRLING a envoyé un détachement de trois bâtiments, « SIBYLLE », « BITTERN » et « HORNET », sous les ordres du commodore ELLIOT, explorer la Manche de Tartarie.

Le 20 mai, le commodore donne dans la baie de Castries située à 60 milles au sud de l’embouchure de l’Amour.

Il trouve les bâtiments de l’amiral ZAVOIKA, partis, comme nous l’avons vu, de Petropavlosk le 17avril.

Voici découverte cette force navale russe, que personne n’a pu saisir depuis le début de la guerre. L’occasion serait belle si le chef anglais savait que les navires ennemis, encombrés de matériel, ont une grande partie de leurs canons hors d’état de tirer.

Mais l’amiral ZAVOIKA s’est embossé, sur deux lignes, derrière les îlots qui ferment la baie. Le commodore ELLIOT ne s’estime pas en force pour tenter une attaque. Après quelques coups de canon échangés à toute portée, il se retire.

Il envoie le « BITTERN » prévenir l’amiral STIRLING ; et il assure la surveillance avec ses deux autres navires, mais cette surveillance est trop lâche et gênée par la pluie et la brume. Le 28 mai, le commodore constate que l’escadre russe a disparu.

Profitant activement des circonstances et du répit que les anglais lui ont laissé, l’amiral ZAVOIKA a fait décharger ses bâtiments, dont le matériel sera amené par terre à Nikolaievsk ; les navires ont fait route au nord et se sont engagés dans les bancs, qu’il faut franchir pour atteindre l’embouchure du fleuve Amour. Les transports, le vapeur et les corvettes passent sans trop de peine ; il n’en est pas de même de la frégate « AURORA », qui doit débarquer tous ses canons. Le 28 mai, du reste, les Russes ne sont pas encore bien loin de la baie de Castries.

Cependant quand, le commodore ELLIOT constate que l’ennemi lui échappe, il redescend vers le sud, au devant de son amiral. Ce dernier a quitté Nagasaki le 19 mai ; il a trouvé le « BITTERN » à Hakodate et il remonte vers Sakhaline.

Le ralliement des deux groupes anglais s’opère le 7 juin dans le détroit de Lapérousse.

L’amiral STIRLING, d’après les renseignements hydrographiques, qu’il possède, ne croit pas à l’existence d’un chenal permettant d’atteindre l’Amour par le sud. Il croit que c’est au nord, du côté de la mer d’Okhotsk, qu’il faut le rechercher ; mais il décide auparavant d’explorer de nouveau la Manche de Tartarie.

Pendant que ces divers événements se déroulent, le Cdt. de MONTRAVEL, à Nagasaki, pousse les derniers préparatifs de ses navires.

Le 21 mai, il fait partir le « COLBERT » pour Hakodate. Mais peu après son appareillage, le « COLBERT », dans le temps bouché, est drossé par des courants ; les cartes sont imprécises ; le vapeur s’échoue dans les îles Goto.

Avec l’aide des embarcations de la « CONSTANTINE » et de la « SYBILLE », il parvient à regagner Nagasaki le 23, mais il a de graves avaries ; il ne faut pas compter sur lui pour la campagne.

Cet accident, en même temps qu’il le prive de son seul navire à vapeur, cause un sérieux retard au Cdt. de MONTRAVEL.

Il faut en effet réparer le « COLBERT » à Nagasaki, avant de songer à l’expédier à Shanghai, où on pourra le passer au dock. Mais il n’y a pas d’exemple jusqu’ici que des navires de notre pays aient reçu des Japonais une aide telle que celle que nécessitent les réparations du « COLBERT ».

Le commandant supérieur français entreprend des démarches, qui sont couronnées de succès. Il trouve beaucoup de bonne volonté et reçoit de vives marques de sympathie du gouverneur Japonais, qui, chose sortant tout à fait de l’ordinaire, lui accorde à terre, une audience personnelle, entourée d’une grande solennité.

La question du « COLBERT », réglée, le Cdt. de MONTRAVEL quitte enfin Nagasaki le 31 mai 1855, avec la « CONSTANTINE »et la « SIBYLLE ». Le 3 juin, il franchit le détroit de Corée ; le 10, il entre dans le détroit de Tsugaru et arrive devant Hakodate. Le vapeur anglais « STYX » en sort pour lui faire connaître le rendez-vous laissé par l’amiral STIRLING. Ce rendez-vous est le cap Crillon (ou cap Notoro), à l’ouest de la baie d’Aniwa, à l’extrémité sud de Sakhaline.

Les deux navires français longent la côte est d’Hokkaide. Pris par la brume ils ne peuvent traverser les Kourilles que le 28 juin. Le 30 juin ils sont au rendez-vous et font leur jonction avec les Anglais ; L’amiral STIRLING cependant a hâte de partir pour le Japon et d’y entreprendre les conversations relatives à l’ouverture du pays au commerce britannique.

Dès le 30 au soir, il a à la mer, un brève entrevue avec le Cdt. de MONTRAVEL, et, prétextant la crainte que les bâtiments ennemis ne soient partis en mer de Chine faire la guerre de course, il fait aussitôt voile vers Hakodate, avec la « WINCHESTER » et le « BITTERN », laissant la suite des opérations contre les Russes au commodore ELLIOT et au chef de la division française.

Ces derniers mouillent en baie d’Aniwa, avec leurs navires, qui sont au nombre de cinq ; Français : corvette « CONSTANTINE », frégate « SIBYLLE » ; Anglais : frégate « SIBYLLE », corvette « SPARTAN », corvette mixte « HORNET ».

Mais la frégate française « SIBYLLE », qui joue de malheur, est envahie, depuis deux semaines par une épidémie de scorbut, qui prend rapidement des proportions telles qu’il faut la renvoyer au repos à Hakodate.

L’idée du Cdt. de MONTRAVEL serait de remonter en Manche de Tartarie pour aller chercher les Russes dans l’Amour. Mais les instructions que le commodore ELLIOT a reçues de l’amiral STIRLING, lui prescrivent de commencer les opérations par la mer d’Okhotsk. le commandant français, qui n’a plus qu’un seul bâtiment, est bien obligé de se joindre à son collègue britannique, (avec lequel il entretiendra du reste, pendant toute la campagne, les meilleurs relations personnelles).

Les quatre navires alliés appareillent d’Aniwa le 9 juillet. Ils remontent vers le nord, le long de la côte est de Sakhaline, que la brume leur cache presque continuellement. Le 20 ils sont au cap Elisabeth. Par grand hasard, ils y rencontrent la corvette à vapeur « BARACOUTA ».

Comme nous l’avons dit en effet au chapitre précédent, ce navire a été envoyé par l’amiral BRUCE, avec la « PIQUE » et « l’AMPHITRITE », en mer d’Okhotsk. après s’être présenté devant Ayan et n’ayant pas vu paraître l’amiral STIRLING, qu’ils devaient attendre jusqu’au 15 juillet, les trois bâtiments se sont mis en route séparément sur Hakodate.

Le commodore ELLIOT décide de conserver avec lui quelque temps le « BARACOUTA ».

Le 22 juillet, la division, forte de nouveau de cinq navires, arrive devant les bancs, qui, séparent, au nord, l’embouchure de l’Amour de la mer d’Okhotsk. pendant plusieurs jours, avec des embarcations, on sonde vainement, à la recherche d’un chenal.

Le 25, les alliés se séparent en deux groupes.

Le Cdt. de MONTRAVEL, avec la « CONSTANTINE » et le « HORNET », part explorer la partie sud de la mer d’Okhotsk. Il visite les I. Chantar, le golfe d’Isalaghine. Il n’y trouve pas trace de l’ennemi et ne rencontre que quelques baleiniers américains. Le 11 août, il vient mouiller à Ayan, où se trouve déjà le commodore ELLIOT.

Ce dernier a continué les sondages, à la recherche d’un passage. Le 25 au soir, il a aperçu, au milieu des bancs, vers le sud, un brick échoué. Le 28, des embarcations anglaises ont essayé de s’en emparer, mais l’équipage du brick s’est enfui en incendiant le navire et l’on n’a pu faire que quelques prisonniers. Le brick était »l’OKHOTSK », qui venait d’Ayan, avec du matériel pour Nikolaievsk.

Les déclarations des prisonniers, les recherches qu’il a poursuivies quelques jours ont fini par convaincre le commodore ELLIOT que l’on ne peut accéder à l’Amour par le nord, tout au moins avec des navires de la taille de ceux qui composent sa division. Il s’est rendu à Ayan, où il est arrivé le 6 août avec la « SIBYLLE » et le « SPARTAN ». Il a envoyé le « BARACOUTA » à Hakodate.

A peine en route, du reste, le « BAROUCATA », au cap Elisabeth, a rencontré un navire suspect. Il l’a arrêté. C’était le brick brémois « GRAETA », qui amenait du Japon des naufragés russes de la « DIANA ». Le « BARACOUTA » a capturé le brick, l’a conduit d’abord au commodore ELLIOT à Ayan, puis l’a emmené à Hakodate.

Ainsi réunis à Ayan, qu’ils trouvent à peu près désert et sans garnison, le Cdt. de MONTRAVEL et le commodore ELLIOT prennent la décision de repasser en Manche de Tartarie, de chercher l’entrée de l’Amour par le sud et d’aller y attaquer les Russes.

Les Anglais quittent Ayan le 13 août, la corvette française le 15 août. Tous doivent se retrouver à Aniwa.

La « CONSTANTINE » arrive au rendez-vous le 26 août. Elle n’y trouve que le « SPARTANT », dont elle apprend que le commodore ELLIOT, avec tous ses bâtiments, vient d’être rappelé au Japon par l’amiral STIRLING.

Seul avec une corvette, le Cdt. de MONTRAVEL ne peut plus rien. Bien à regret, il rallie à son tour le Japon. Le 10 septembre il mouille à Hakodate.

Cependant l’amiral GUERIN est depuis le mois de juillet en Extrême-Orient. La « CONSTANTINE » reçoit de lui l’ordre de rester à Hakodate.

La saison est déjà avancée. A part une démonstration des frégates « SIBYLLE » française et « PIQUE » anglaise contre l’île d’Urup, et une courte exploration que le commodore ELLIOT, sans rien trouver du reste, refera en octobre, en Manche de Tartarie, aucune opération ne sera plus tentée contre les Russes au cours de l’année 1855.

Chapitre XII

L’année 1856 – Fin de la guerre.

Il n’y a pratiquement, en 1856, aucune opération de guerre dans le Pacifique. Les nouvelles qui arrivent d’Europe, laissent dès le mois de février, pressentir la paix prochaine. Le traité de Paris est signé le 30 mars.

Quand elles reçoivent la nouvelle, vers le 1er mai, les forces navales française et anglaise du Pacifique Est sont sur les côtes d’Amérique du Sud, qu‘elles n’ont pas quittées depuis la fin de la campagne précédente.

En Extrême-Orient, la paix trouve la division française de l’amiral GUERIN dans les parages de l’Indochine où elle s’est rassemblée en décembre 1853.

Le seul fait intéressant à signaler est à l’actif d’un groupe anglais détaché de l’escadre de l’amiral STIRLING.

Ce groupe, placé sous le commandement du commodore ELLIOT, quitte le Japon fin avril. Il est toujours chargé d’explorer une fois de plus la Manche de Tartarie.

Le 15 mai, sur la côte de Mandchourie, la corvette à vapeur « BARACOUTA » découvre une baie très profonde, et où l’on ne peut accéder que par un goulet étroit. Au fond de cette baie gît la frégate « PALLAS » incendiée et abandonnée depuis peu. Elle avait passé deux ans dans ce mouillage ; finalement son équipage, à bout de vivres avait gagné l’Amour dans ses embarcations.

Les anglais ne tentent du reste pas de l’y rejoindre et rallient peu après les Mers de Chine.

La baie en question était inconnue des alliés. Elle porte encore actuellement sur nos cartes le nom de baie de Baracouta.

Conclusions personnelles à l’auteur.

Les opérations qui viennent d’être exposées présentent les caractéristiques suivantes :

  • La zone d’action est très étendue.
  • Les forces mises en jeu sont relativement faibles.
  • L’un des adversaires à des intérêts territoriaux importants, peu d’intérêts maritime, une force navale nettement inférieure à celle de son ennemi.
  • L’autre adversaire a des intérêts territoriaux à peu près nuls, mais de gros intérêts maritimes. Ses forces navales sont très supérieures à celles du premier.

Si l’on fait la balance des forces russes d’une part, anglo-française d’autre part, on constate que, aux premiers mois de la guerre :

Les russes disposent de :

  • 3 frégates,
  • 2 corvettes,
  • 1 aviso à vapeur,
  • quelques transports armés.

En tout une douzaine de navires, dont six ont seuls une véritable valeur militaire.

Les alliés disposent de :

  • 5 frégates,
  • 7 corvettes,
  • 4 bricks,
  • 8 corvettes ou avisos à vapeur.

En tout 24 navires de guerre (dont 9 français et 15 anglais).

Les forces alliées s’accroîtront encore au cours des hostilités et recevront :

  • 2 frégates en 1854,
  • 1 vaisseau et 1 frégate au début de 1855,
  • plusieurs avisos à vapeur en fin 1855.

Les alliés ont donc une supériorité considérable et l’on pourrait estimer que, avant tout combat, ils ont la maîtrise de la mer.

Mais il s’agit d’une maîtrise toute relative. Peut-on même parler ici de maîtrise de la mer ?

Qu’est-ce que 24 navires pour l’immensité de l’océan Pacifique ?… Surtout à cette époque où la navigation est encore lente et soumise aux aléas des vents, et où n’existent pas de moyens de transmissions instantanés à longue portée…

Rappelons quelle a été, dans cette situation, l’attitude des deux adversaires.

Les Russes se sont tenus sur la défensive, sans tenter, aucune action contre les intérêts franco-anglais.

Les alliés ont eu, dans l’ensemble, une attitude offensive, mais ont néanmoins détaché une partie de leurs forces à la défense des communications (sans parler de quelques navires de peu de valeur laissés à la protection de certains territoires comme Hongkong et Tahiti par exemple).

A quel résultat ont abouti les hostilités dans le Pacifique ?

Un fait remarquable est d’abord à noter : au cours de deux années de campagne, il n’y a eu qu’un seul combat véritable, l’attaque de Petropavlosk par l’escadre franco-anglaise, et cette opération n’a duré que du 29 août au 6 septembre.

On constate également que, lorsque la guerre se termine, les forces franco-anglaises sont renforcées par des navires venus d’Europe.

Les forces russes, par contre, sont diminués de deux frégates, mais aucune n’a été perdue du fait de l’ennemi (La « DIANA » a sombré dans un typhon, la « PALLAS » après avoir été vidée de ses canons et approvisionnements a été brûlée par son équipage dans une baie de la côte mandchoue).

Par ailleurs, les intérêts territoriaux et économiques, les lignes de communication de la France comme de l’Angleterre ont été indemnes de toute atteinte.

Les alliés avaient cependant des lignes de communications importantes. Les Russes auraient pu faire quelques tentatives contre elles, soit par des corsaires, soit par une action de leurs forces groupées.

Ces attaques russes étaient fort redoutées et les lettres écrites à cette époque par les consuls français des côtes du Pacifique tant oriental qu’occidental portent le reflet de ces craintes. Les amiraux FEBVRIER-DESPOINTES et PRICE croyaient eux-mêmes à une concentration des forces de l’amiral POUTIATINE dans la région de Sandwich, pour une action contre les communications.

En fait, les Russes n’ont rien tenté.

Du côté de ces mêmes Russes, aucune ligne de communications de quelque importance n’a été sérieusement troublée, car l’arrêt de leur trafic entre le Pacifique et les ports d’Europe est dû, non pas aux forces alliées du grand océan, mais au blocus que les escadres franco-anglaises tenaient en Baltique et en Mer Noire.

Les intérêts territoriaux des Russes ont, par contre subi quelques atteintes. L’attaque de vive force contre Petropavlosk a bien échoué, mais la crainte d’attaques semblables a amené le gouvernement de St Pétersbourg à évacuer toutes ses possessions du Pacifique Septentrional et à concentrer ses forces à l’embouchure de l’Amour.

Les conséquences en ont-elles été néfastes pour la Russie ? Il ne semble pas.

En effet l’attention de cette puissance se détourne déjà de ces pays trop froids, trop difficilement accessibles ; elle se détourne de l’Alaska, qu’elle vendra peu d’années après aux Etats-Unis, du Kamtchatka, des rives de la mer d’Okhotsk. Et ses yeux se tournent vers cette Mandchourie où elle vient de prendre pied, vers le Pe-Tchili, vers la Corée…

Nous nous trouvons ici en présence de la lutte d’une puissance à bloc continental contre des adversaires maritimes. La Russie, semblable à la tortue attaquée, qui se contente de rentrer sa tête et ses pattes sous sa carapace, la Russie, non sans avoir sauvegardé ses intérêts économiques essentiels par un accord diplomatique (Cie Russo-américaine et Cie Baie d’Hudson), abandonne ses territoires les plus en l’air, qu’elle sait bien que ses adversaires n’ont pas les moyens d’occuper et dont elle sait bien aussi qu’aucun intérêt primordial ne les pousse à s’emparer. Elle se replie sur une position pratiquement inaccessible aux forces uniquement navales dont disposent ses ennemis.

En 1904, nous verrons encore l’empire Moscovite en attitude défensive dans sa guerre contre le Japon. Mais ici l’adversaire est tout autre. Certaines des régions continentales, que la Russie occupe, ont pour lui un intérêt considérable. Non seulement il possède une très nette supériorité maritime, mais il dispose aussi d’une forte armée, pour conquérir et occuper les territoires objets du litige. Enfin l’issue de la lutte est pour lui une question de vie ou de mort. On sait la suite …

Remarquons cependant en passant que l’accroissement de puissance et de prestige, que sa victoire de 1905 a donné au Japon, est très supérieur à la diminution qu’a causé à la Russie sa défaite…

Revenons-en, après cette digression, aux opérations de 1854-56.

Les russes exécutent donc leur repli sur l’Amour, au début de 1855, et ils l’exécutent sans encombre. C’est qu’ils réussissent ici à prendre l’initiative des opérations, font montre d’activité et utilisent leur connaissance d’un terrain, dont leurs adversaires ignorent presque tout.

Ainsi leur objectif est atteint. Mais il faut dire que c’est un objectif très limité, puisqu’il consiste à éviter le combat.

Examinons maintenant comment les alliés ont conduit leurs opérations.

Du point de vue tactique nous n’avons pas à entrer dans des observations de détail, les armes employés étant maintenant périmées.

Cependant l’attaque de Petropavlosk permet de faire quelques remarques qui restent encore valables.

On peut, avant d’aller plus loin, se demander si cette attaque contre Petropavlosk se justifiait. En fait on ne voit guère à quoi les alliés voulaient aboutir. S’ils s’étaient emparés de la place en 1854, qu’auraient-ils fait de plus qu’aussitôt la quitter au plus vite, comme ils l’ont fait en 1855 ?

Quoiqu’il en soit, l’opération a été menée sans plan bien défini, au milieu des hésitations et des discussions, sans parler du trouble apporté » par le suicide de l’amiral anglais.

Le bombardement des batteries par les navires ne pouvait détruire celles-ci, mais seulement les réduire temporairement au silence.

Cela aurait pu suffire et aurait pu permettre une entrée de vive force de l’escadre dans le port. C’est ce que craignait l’amiral ZAVOIKA, car « l’AURORA » et la « DWINA » n’avaient d’armé que leur bord du côté du large. Dans la soirée du 31 août, tandis que la « FORTE » et la « VIRAGO » dérivaient vers la pointe Schakoff, il avait cru à cette attaque et peu s’en est fallu qu’il rendit la ville pour en éviter la destruction.

Mais les alliés, abandonnant leurs premiers projets tentent un débarquement, qui se termine par un dur échec.

C‘était normal. Un débarquement de vive force c’est toujours une opération difficile. Mais on aggrave singulièrement sa position en l’effectuant, comme ici, avec des troupes mal cohérentes et sur un terrain non reconnu.

Quant à la stratégie des alliés, elle est, comme nous l’avons dit, animée dans l’ensemble, au cours de cette guerre, d’un esprit offensif très net.

Cependant elle sacrifie un peu trop à l’objectif géographique. Il en est ainsi dans les instructions envoyées aux amiraux par Paris et Londres, instructions où il est plus souvent question d’opérations contre Petropavlosk, Sitka ou les bouches de l’Amour, que d’une recherche active des forces navales ennemies.

Mêmes préoccupations géographiques chez les amiraux PRICE et FEBVRIER-DESPOINTES. Par contre on trouve, chez l’amiral LAGUERRE, le capitaine de vaisseau TARDY de MONTRAVEL et le commodore ELLIOT, l’idée très nette de la prééminence de la force organisée ennemie comme objectif principal.

Comment, par ailleurs, les alliés ont-ils utilisé leur supériorité de forces ?

Nous avons vu que les quatre forces navales opèrent groupées deux à deux.

En 1854, les deux groupes, celui du Pacifique Est et celui du Pacifique Ouest, agissent sans liaison aucune entre eux.

En 1855, la liaison est faite par les amirautés de Londres et de Paris, qui modifient la répartition des navires, délimitant les zones d’action de chaque force navale, vont même jusqu’à fixer des rendez-vous, jouant en quelque manière, le rôle actuel d’un commandant de théâtre d’opération.

On peut dire du reste, en passant, qu’à l’époque considérée, la présence d’un C.E.C. de théâtre dans le Pacifique n’aurait pas avancé les choses, étant donné la déficience des liaisons.

Faut-il critiquer le compartimentage de 1855, qui affectait la mer d’Okhotsk aux forces alliées de Chine, la région du Kamtchatka et de l’Alaska aux forces alliées du Pacifique Est ?

Il ne semble pas. En effet la supériorité des alliés était telle qu’ils pouvaient avoir dans chaque « compartiment » une force supérieure à l’unique force russe.

Ceci étant, le manque de renseignements sur la position et les actes de l’ennemi justifiaient cette recherche simultanée par deux groupes de forces. C’était là une dispersion raisonnée et raisonnable.

Les alliés ont-ils fait preuve d’activité ?

Nous avons parlé du temps perdu par les escadres du Pacifique Est en 1854. Il est évidemment normal que les amiraux PRICE et FEBVRIER-DESPOINTES aient voulu concentrer leurs forces avant de se mettre à la recherche de l’ennemi. Mais, étant donné ce qu’ils savaient de la tension politique, ils auraient pu effectuer cette concentration ou tout au moins la préparer, dès avant la déclaration de guerre.

Nous avons vu également l’inaction des forces françaises et anglaises d’Extrême-Orient en 1854. Mais elle est due à des causes que nous avons exposées et sur lesquelles nous allons revenir un peu plus loin.

En 1855, grande activité des forces alliées. Il faut noter à cet égard la division française du Pacifique Est que commande alors l’amiral FOURRICHON. Mais un exemple particulièrement remarquable est donné par la petite division MONTRAVEL-ELLIOT, dans sa campagne des bouches de l’Amour.

Un fait qu’il est intéressant de noter c’est combien les servitudes politiques ont entravé les opérations des alliés.

La dispersion des forces des amiraux PRICE et FEBVRIER-DESPOINTES, au début de 1854 , s’explique en partie par les troubles du Pérou, du Chili, du Mexique, où sont en péril des intérêts anglais et français.

Un an plus tard, après la campagne de 1855, les amiraux BRUCE et FOURRICHON sont amenés à se rendre de nouveau en Amérique du Sud, avec la plus grande partie de leurs navires, et s’il leur eût fallu entreprendre une nouvelle opération dans le Nord en 1856, celle-ci ne l’eût été qu’avec de gros retards.

Nous avons montré par ailleurs l’influence des troubles de Chine dans l’inaction, à l’égard des Russes, des forces alliées d’Extrême-Orient en 1854.

Nous avons exposé également quels ont été les efforts des négociations en cours avec le Japon, et comment, à causes d’elles, l’amiral STIRLING a obligé la division MONTRAVEL-ELLIOT à interrompre prématurément ses opérations.

Les campagnes du Pacifique nous offrent également l’exemple des difficultés que présente la conduite des opérations dans une coalition.

Malgré les prescriptions des amirautés, il est bien difficile que « les forces des deux puissances n’en fassent qu’une seule ».

C’est en grande partie à la mésentente entre l’amiral FEBVRIER-DESPOINTES et le commodore NICHOLSON qu’est dû l’échec sanglant de Petropavlosk.

En revanche, la bonne harmonie, régnant entre le commandant de MONTRAVEL et le commodore ELLIOT, a eu le plus heureux retentissement sur l’activité de leur division.

Dans une opération où doivent agir ensemble des forces d’états alliés, les questions de personnes ont donc une grosse importance.

Telles sont les quelques remarques auxquelles paraît donner lieu l’étude des opérations de 1854-55-56 dans le Pacifique, opérations qui ne sont qu’un petit épisode des luttes de la puissance de terre contre la puissance de mer.

Annexe 1

Les termes, dans lesquels le Ministre de la Marine fait connaître à l’amiral Febvrier-Despointes qu’il est remplacé par l’amiral Fourrichon, sont assez curieux.

Voici un extrait de la lettre en question, lettre que l’amiral Febvrier-Despointes n’a pas lue, car elle est arrivée qu’après sa mort.

Paris, le 29 janvier 1855

« Quoique les incidents de l‘affaire de Petropavlosk aient eu, en France et à l’étranger, un assez fâcheux retentissement, votre conduite militaire, dans cette circonstance, n’a pas diminué la part d’estime que vous méritez. Vous ne vous méprendrez donc pas sur les véritables motifs de votre rappel. Indépendamment des considérations exposées plus haut (santé défaillante de l’amiral), j’ai dû songer qu’il y a derrière vous plusieurs jeunes officiers généraux, qui attendent avec impatience l’occasion de commander à la mer ».

B.B.4 – 726

Annexe 2

La lettre que le capitaine de vaisseau TARDY de MONTRAVEL adresse au Ministre de la Marine après ses diverses démarches auprès des Japonais et son entrevue avec le gouverneur de Nagasaki, contient nombre de remarques et d’appréciations intéressantes.

En voici un court extrait :

Nagasaki, le 25 mars 1855

« Je suis porté à croire que les Japonais, à qui l’histoire de l’Europe est bien connue et qui placent au-dessus de tout la religion du point d’honneur, la gloire des armes, le courage et la courtoisie, toutes qualités qui se rencontrent chez les Français ; que les Japonais, dis-je, ont pour la France plus de sympathie que pour aucun peuple d’Europe »…

… « C’est un peuple dont le caractère national est, comme le nôtre, militaire, bien plus que mercantile ».

B.B.4 - 701

Liste bibliographique des sources

Archives nationales- séries Marine

  • B.B.2 : 330 – 331 – 332
  • B.B.3 : 683
  • B.B.4 : 682 – 684 – 701 – 702 – 706 – 707 - 708 – 709 – 721 – 724 – 726 – 733
  • E. du Hailly – Campagnes et stations sur les côtes de l’Amérique du Nord (Paris 1864)
  • Souvenirs originaux sur l’expédition de Petropavlosk recueillis par l’Amiral Layrle (Manuscrit communiqué par M Tramond)

Tableau des abréviations

  • Documents des archives nationales : N° de la cote
  • Livre de E. du Hailly : Hailly
  • Souvenirs recueillis par l’amiral Layrle : S.A.L.
  • Ministère de la Marine : M. Marine
  • Amiral Febvrier Despointes : Al. F. Desp.
  • Amiral Fourrichon : Al. Four.
  • Amiral Laguerre : Al. Lag.
  • Capitaine de Vaisseau Tardy de Montravel : C.V.T. de M.

Lecture conseillée

Pour ceux qui souhaitent mettre des images sur le voyage d’un de ces navires ayant participé à cette guerre, je conseille l’ouvrage de Tugdual de Kerros qui reprend le texte et les illustrations originales de Jean-René-Maurice de Kerret (Dessinateur sur La Forte, frégate de la Marine Impériale) . Cet ouvrage s’intitule : "Journal de mes voyages autour du monde -1852 - 1855" et a été édité par les Editions Cloitre en novembre 2004.


[1B.B.4 – 684 – Al. Lag. A M.Marine – 15/09/54.

[2B.B.4 – 684 - Al. Lag. A M.Marine (juillet, août, septembre 1854).

[3B.B.4 – 684 Al. Lag. A M. Marine 23/08/54 .

[4B.B.2 – 331 – M. Marine à M. Affaires Etrangères 29/06/54.

[5B.B.4 – 709 – M. Marine à Al. F. Despointes 22/03/54.

[6B.B.4 – 702 – Al. F. Despointes à M. Marine 7/05/54.

[7B.B.4 – 702 – Al. F. Desp. A M. Marine 30/07/54 + Hailly + S.A.L.

[8B.B.4 – 702 – Al. F. Desp. à M. Marine 27/09/54 + Hailly + S.A.L.

[9B.B.4 – 702 Al.F.Desp. à M. Marine 27/09/54 (et pièces annexées) - Hailly p.23 et suivantes - S.A.L.

[10S.A.L. – ( ?) - B.B.4 - 702 Al.F.Desp. à M . Marine 27/09/54 - S.A.L.

[11Aucune annotation sur le mémoire .

[12S.A.L. + Hailly.

[13B.B.4 – 702 - pièces jointes au rapport déjà cité de l’amiral Febvrier-Despoints.

[14S.A.M.

[15B.B.4 - 702 Rapp. De l’Al.F.Desp.déjà cité - S.A.L. - Hailly.

[16B.B.4 - 702.

[17B.B.4 – 682 – M. Aff. Etrangères à M. Marine communication des instructions de l’AL. Bruce – 03/13/54.

[18B.B.4 – 709 – M. Marine à Al. F. Desp. 27/11/54

[19B.B.4 – 726 – M. Marine à l’Al. Febvrier-Despointes 29/1/55.

[20B.B.4 – 726 – M. Marine à amiral Fourrichon 12/2/55.

[21B.B.4 – 682 – M. Aff. Etrangères à M. Marine – Communication des Instructions à l’AL. Stirling 6/12/54.

[22B.B.4 – 724 – Al. Four. A M. Marine 18/06/55 - Hailly p. 256 - S.A.L.

[23B.B.4 – 724 – Al. Four. A M. Marine. Lettres de mars à juillet 1855. - Hailly p 256 et suivantes - S.A.L.

[24B.B.4 – 701 C.V.T. de M. à Marine. D’avril à septembre 1855 - Hailly p. 265 et suivantes.

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2 Messages

  • Cher Monsieur,

    Je m’appelle Gaston Demarée et je travaille à l’Institut Royal Météorologique de Belgique dans le cadre de la Climatologie historique. J’ai beaucoup apprécié votre texte. Félicitations sincères et un grand merci.

    Dans le cadre des opérations dans le Pacifique au bord de la frégate ’La Sibylle’ se trouvait Jean Barthe, physician de première Classe. Il a tenu un registre d’observations météorologiques.

    Je voudrais savoir où sont conservés (1) ce registre météo
    (2) le logbook du Commandant M. de Maisonneuve, capitaine de vaisseau. Quelles archives Françaises peuvent être en possession de ces documents ?

    Je vous remercie d’avance de votre aide précieuse.
    Je vous prie d’agréer, Cher Monsieur J.-Y. Le Lan, l’expression de mes sentiments très sincères,

    Gaston Demarée
    Institut Royal Météorologique de Belgique
    Avenue Circulaire 3
    B - 1180 Bruxelles, Belgique

    Répondre à ce message

  • l’original du document (y compris les cartes) est sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9760336t/f5.item

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