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Les portraits de navires dans les ex-voto marins peints de Notre-Dame de la Garde à Marseille

Le jeudi 10 juin 2010, par Philippe de Ladebat

2 juillet 1832. Ouragan dans l’océan Indien. Ciel tourmenté, noir avec trouées claire, trombes d’eau. Un brick fuit sur une mer courte, hachée, mousseuse ; les paquets de mer balayent le pont emportant des débris qui flottent à bâbord. La voile de misaine, celles du grand mât et des focs ont explosé et leurs lambeaux accrochés aux vergues et aux ralingues claquent dans le vent. L’invocation de la Vierge sauvera-t-elle le navire ?

« Si tu veux apprendre à prier, va sur la mer », Sancho Panza, Don Quichotte, Cervantes.

« Qui ne sait pas prier doit aller en mer et qui ne sait pas dormir doit aller à l’église » Proverbe danois.

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Ex-voto NDdlG : Le brick Le Pierre (1822), Capitaine Louis Joseph Rebuffa, pris dans un ouragan dans l’océan Indien, en réchappe. Antoine Roux père.

Toutes marines confondues, on a dénombré 13000 naufrages dans le monde entre 1824 et 1962, soit un peu moins de 100 par an, et 1,7 millions de victimes. Quelques données moins solides pour la période antérieure rendent compte aussi de la fréquence de ces catastrophes. Avant d’affronter la mer et ses périls les gens de mer recouraient souvent à différents rituels religieux appelant la bénédiction sur le navire, son équipage et la navigation prévue. Une fois en pleine mer, quand la tempête survient avec l’éventualité du naufrage, le marin catholique refusant la fatalité de la mort implore la Vierge ou son saint patron. A cette occasion il peut aussi faire un vœu sous forme de promesse de don en cas de sauvegarde. Les différents ex-voto marins que l’on trouve dans nos chapelles et églises témoignent de la force de l’espérance dans l’effroi.

Spécifiquement les ex-voto marins peints offrent des représentations imagées et mémorielles du genre d’évènement qu’a du affronter le navire et son, ou ses rescapés. Réalisés sur commande ces tableaux tentent de faire ressentir au spectateur l’atmosphère du drame qui se jouait et le sentiment d’impuissance et de frayeur de l’équipage qui voyait sa dernière heure arriver.
Avec ses 760 ex-voto recensés dont 163 se rapportent d’un façon ou d’une autre à la mer et peuvent donc être qualifiés de marins, la Basilique Notre-Dame de la Garde à Marseille est l’un des sanctuaires français les plus riche en ex-voto marins peints. C’est aux plus remarquables d’entre eux qu’est consacré cet article.

À propos d’ex-voto

Ex-voto, littéralement « selon le vœu fait », désigne un objet déposé dans une chapelle ou une église en remerciement d’une intervention divine sollicitée. Concrètement, au milieu d’un péril ou dans une épreuve l’homme demande une protection surnaturelle et fait la promesse d’un acte de reconnaissance s’il est épargné : l’ex-voto constitue l’accomplissement de la promesse et matérialise l’exécution du vœu.

Historiquement l’ex-voto serait apparu en France au XVIIe siècle et développé avec le culte marial. Beaucoup d’ex-voto ayant disparu pendant le Révolution la plupart des ex-voto visibles aujourd’hui datent des XIX et XXe siècles. La production des ex-voto marins a évidemment suivi une courbe parallèle à celle du nombre des évènement de la mer dont la fréquence a culminé à la fin du XIXe siècle.

Face au déchaînement de la nature (ouragans, trombes d’eau, orages, tempêtes, etc.) ou à d’autres infortunes de mer (abordages, échouages sur des récifs, avaries, voies d’eau, chutes de mâts, incendies, explosions, combats navals, naufrages, etc.) le marin se trouve spécialement concerné par cette pratique votive liée, chez les catholiques, à sa confession religieuse [1]. Le marin protestant ne disposant pas, en théorie, de ce genre de recours à un intercesseur bienveillant est renvoyé à un strict face-à-face avec son Dieu : les objets votifs ne se rencontrent donc pas dans les pays protestants [2].

Tout peut être objet d’ex-voto, du monument grandiose (Sacré-Cœur de Montmartre en tant que basilique du « vœu national »), à l’humble graffiti votif sur la paroi d’un sanctuaire.

Les ex-voto marins pour leur part se présentent sous différentes formes :

  • des plaques de marbre blanc fixées aux murs portant l’indication d’une date et éventuellement de l’évènement causal.
  • des objets liés à l’évènement : bouées, brassières, ancres, morceaux d’épaves, barils, etc.
  • des maquettes, demi-coques, bateaux en bouteilles ou sous globes, dioramas, etc.
  • des représentations picturales avec ou non un personnage céleste (Vierge ou saint patron) : tableaux (huiles, gouaches, aquarelles), gravures, lithos, dessins, mosaïques, photos,…

Ces différents objets, maquettes ou représentations picturales, portent parfois une référence explicite (date, lieu, nom du navire ou/et du capitaine) à l’évènement, aux circonstances, avec, ou non, pour les tableaux l’image de la Vierge ou du saint invoqués peinte en haut à droite.

En France les chapelles et églises de nos côtes atlantique et de la mer du nord conservent surtout des maquettes de bateaux suspendus ; les ex-voto marins peints se trouvent principalement sur la côte méditerranéenne. Quand le caractère religieux et votif des tableaux était accessoire les capitaines de navires et les armateurs les accrochaient à leurs murs. Aussi bien tous les voeux ou engagements formulés dans la plus extrême terreur pouvaient s’oublier quand on retrouvait la terre ferme."Passato pericolo, gabbato il santo", dit l’Italien.

L’ex-voto marin peint

L’expression « ex-voto » dans le milieu des antiquaires dénote souvent le dénigrement d’une œuvre pieuse, un jugement péjoratif sur la valeur d’un tableau ou du peintre parfois qualifié de « peintre de sacristie » ou de « naïfs de la mer ». Sans doute nombre d’ex-voto par leur facture, la naïveté des scènes qu’ils représentent, leur caractère édifiant voir pieux, l’anonymat, l’absence de notoriété ou l’amateurisme de leurs auteurs, leur petite dimension ou même la simplicité de leur support en toile de voile, carton ou papier, ne suscitent guère l’intérêt des amateurs d’art ; aussi bien comme la plupart sont encore accrochés aux murs d’églises ou de chapelles et incessibles, ils sont soustraits au marché : dépourvus de valeur marchande, ils n’auraient dès lors pas de valeur artistique.

Dans le même esprit on a pu dire que ces tableaux avaient été peints par des marins ignorant tout de la peinture ou par des peintres ignorant tout de la mer. Une visite de la basilique Notre-Dame de la Garde à Marseille et, tout particulièrement l’examen de la soixantaine d’ex-voto marins peints qui y sont exposés, convainc rapidement du contraire : ces « portraits de navires » pris dans la tempête ou faisant naufrage n’ont rien à envier à des marines exposées dans des musées, mis en vente chez les antiquaires ou dans les ventes aux enchères. Il est vrai qu’ici nous sommes gâtés puisque au moins douze d’entre eux ont été réalisés par des membres de la famille Roux, célèbres peintres de marine marseillais qui n’ignoraient rien de la mer ni des navires [3].

En professionnels de la mer, maniaques de l’exactitude, ils cherchaient la vérité et la précision des détails techniques dans leurs portrais de navires et n’ignoraient rien des gréements ni des manœuvres de gros temps qu’ils représentaient : fuite, cape sèche, prise de ris, etc. Le navire, plus que les hommes, était le sujet principal de leurs oeuvres. On remarquera aussi leur sens de la mise en scène, le choix impressionniste des couleurs, des ciels nuageux en arrière-plan et des creux et mouvements de vagues en premier plan etc. Autant d’arguments qui nous incitent à présenter ici une douzaine d’ex-voto que nous avons photographiés pour Histoire Généalogie.

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Vue d’ensemble des soixante ex-voto marins peints de la basilique Notre-Dame de la Garde

Œuvres d’Antoine Roux père (1765 – 1835)

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Le brick L’aimable (1814), Capitaine Pierre Bertrand, pris dans un violent coup de Mistral au cap Sicié, parvient à se mettre à l’abri.
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Le brick La Caroline (1826), Capitaine Pierre Joseph Guise, démâté dans la tempête au large des Açores, fuit avec un gréement de fortune, pris dans un coup de vent devant Ajaccio, finit par s’échouer près des Salins d’Hyères..

Œuvres d’Antoine Roux fils aîné (1799 – 1871)

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Le brick Pithéas (1862), Capitaine Jean Baptiste Pesante, pris dans la tempête au large du cap Teulada (Sud-ouest Sardaigne), cales noyées, sombre rapidement. L’équipage se sauve dans une chaloupe.
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Le vapeur Amérique (1866), Capitaine Caboufigue, à l’approche des Dardanelles et ensuite dans la mer Egée, essuie de violents coups de meltem : démâté, chaudières en panne, parvient à gagner Le Pirée.

Œuvre de François Roux fils (1811 – 1882). Peintre officiel de la Marine en 1875

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Le brick Archibald ( 1841), Capitaine Periau, 2e capitaine Jean Joseph Mistral, s’échoue sur un banc dans le Pas-de-Calais puis, balayé par le vent et les vagues, doit être abandonné. Le capitaine et sept marins s’en échappent dans un canot.
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Le trois-mâts barque Le Baobab (1853), Capitaine Bernard Messier, se sorts d’une violente tempête dans l’Atlantique, rallie les côtes d’Afrique mais coule à l’ancre en rade de Forecariah (Guinée)

Œuvres diverses

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Le brick La Confiance (1856) anonyme, Capitaine Bocognani, pris dans la tempête au large de Messine où il finit par se réfugier en raison de très nombreuses avaries.
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Le trois-mâts La Fortune (1876) par Louis Roux (Homonyme), Capitaine Vincent Gastaldi. Dans le détroit de Gibraltar et en raison de la vétusté du navire on invoque le secours de la Vierge pour mener à bien le voyage vers le Bénin où on arrivera finalement sans encombre.
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Le trois-mâts Maddalena (1880) par Louis Roux (Homonyme), Capitaine Matteo Gunich fuit dans la tempête dans le golf du lion. Un homme tombé à la mer a appelé la Vierge à son secours : il parvient à remonter à bord.
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Paquebot mixte L’Eridan (1901) par Jacques Joseph Solari, Capitaine Ristorcelli, ramenant des troupes de l’expédition de Chine est pris dans un typhon au large de Haïnan. C’est comme une épave qu’il parvient à gagner la rade de Da Nang (Vietnam).
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Schooner Le Douaumont (1920) par François Olivieri, Capitaine Roullois, pris dans un coup de vent d’Est s’échoue sur une plage du cap Creux. Le navire se fendit en deux et le capitaine et quelques matelots parviennent à gagner la côte à la nage.

Du portrait de navire peint à la photographie...

« Lorsque je contemplais ces ex-voto, ces peintures de naufrages suspendues autour de moi, je croyais lire l’histoire de mes jours » Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe.

Pour le curieux, l’historien ou l’ethnologue, les ex-voto constituent une mine de renseignements : si les personnes ou les faits qu’ils évoquent n’on en général laissé aucune trace dans l’histoire, dans les archives administratives, voire dans les mémoires familiales, ils nous renseignent pourtant précisément sur la vie quotidienne de nos ancêtres et sur les drames qu’ils ont vécus ou les périls auxquels ils ont échappé. Spécifiquement les ex-voto marins nous renseignent sur l’évolution des navires, les progrès de la navigation et l’histoire maritime des côtes de France jusqu’au début du XXe siècle.
Ensuite les ex-voto marins peints ont peu à peu disparu : les évolutions des pratiques et du sentiment religieux, ainsi que la diminution des accidents de mer ont sans doute contribué à l’abandon progressif de ces coutumes votives, tandis que la fin de la marine à voile si photogénique, et plus encore l’arrivée de la photographie annonçaient le déclin parallèle de la peinture du « portrait de navire ».

Sources et bibliographie :

  • Catalogues des expositions du Musée national de la marine : 1976 (Ex-voto marins du Ponant), 1978/79 (Ex-voto marins en méditerranée) et 1981 (Ex-voto marins dans le monde de l’antiquité à nos jours)
  • Michel Mollat du Jourdin : Les attitudes des gens de mer devant le danger et devant la mort, Ethnologie française, T. 9 n°2, 1979
  • Philippe Masson : La mort et les marins, Glenat, 1995
  • René Creux : Les ex-voto racontent, Fontainemeore, 1979
  • Chantal Paisant : L’ex-voto marin : structure et fonctions, Pirates et miracles, Presse Université Paris Sorbonne, 2002
  • Felix Reynaud : Les ex-voto marins de N-D de la garde, Neptunia N° 155 et La Thune à Marseille. Les références des navires proviennent de ces ouvrage.
  • Bernard Cousin : Le miracle et le quotidien, Université de Provence, 1983
  • François et Colette Boullet : Ex-voto marins, ed. Ouest France, oct. 1996
  • Ex-voto marins en Bretagne et en Galice, ed. Ouest France
  • Catherine Lopez et Jean-Claude Gaussent : Piété des gens de mer. Ed. Domens, 1994
  • Emile Poulat : Art votif et peinture religieuse, CNRS, 1979
  • Elise Carbou : Les ex-voto marins en Europe, Cahiers de L’ATAN, Nice, 2003
  • Voir aussi documentation de l’Association pour la sauvegarde et l’étude des ex-voto marins et fluviaux (Service documentation du Musée national de la Marine)
    Sur la famille Roux de Marseille :
  • La merveilleuse Provence des peintres, André Alauzen di Genova, ed. Auberon, 2003.
    -The artful Roux, Marine painters of Marseille, Philip Chadwick Foster Smith. Peabody Museum of Salem Massachusetts, 1978.

Sites web :

Iconographie : photographies numériques de l’auteur (mars 2010).


Il serait peut-être intéressant qu’Histoire-Généalogie lance une chasse photographique aux ex-voto chez ses abonnés : le site recueillerait ainsi une masse de documents iconographiques sur les modes de vie, comportements, etc. de nos proches ancêtres et les genres d’accidents qu’ils rencontraient. Datés et situés, ils pourraient constituer un complément illustré de l’ouvrage « Contexte » de Thierry Sabot.


[1Voilà ce que préconisait un abbé de Caen en 1595, dans son Hydrographie (éd. de 1667), lorsqu’on se trouvait sur mer en danger de mort :

  • 1. S’humilier profondément, et se convertir sérieusement à Dieu.
  • 2. Se réconcilier d’affection avec tous ceux avec qui nous étions mal.
  • 3. Faire vœu de chastier ou corriger les désordres commis.
  • 4. Invoquer les Saints, spécialement la Sainte Vierge et St François Xavier.
  • 5. Se conformer à la volonté de Dieu.

[2L’abandon radical du culte des saints et de leur possible intercession, la condamnation sévères des superstitions romaines, images pieuses, cierges, pèlerinages, reliques et autres eaux bénites place le croyant réformé dans un strict face à face avec Dieu. Pour autant les marins luthériens, calvinistes ou anglicans ne pouvaient ignorer l’épreuve du naufrage et l’angoisse de la mort en mer ; aussi les livres de prières de ces différentes confessions réformées contiennent des oraisons particulières pour la tempête en mer et les naufrages. En substance ces textes font ressortir la toute puissance de Dieu et la faiblesse de l’homme qui ne peut que s’en remettre à la miséricorde divine pour le sauver face aux flots déchaînés. (Voir : « Book of Common Prayer » et citation dans « Fortunes de mer », Alain Cabantous, BNF-Seuil 2004).

[3La dynastie des Roux à Marseille : Voir article à venir du même auteur dans Histoire Généalogie.

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