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Le voyage à Addis

Le vendredi 27 septembre 2024, par Léon Moron, Michel Carcenac

Dans ce douzième épisode de leur croisière en Mer Rouge en 1933, nos marins vont quitter les flots pour monter en train jusqu’à la capitale de l’Ethiopie. Monfreid les distrait par ses longs discours pendant le voyage. Le travail de représentation diplomatique auprès du Négus et de l’impératrice n’est pas vraiment drôle et Moron se promet qu’on ne l’y reprendra plus. Avec son impertinence habituelle il décrit les réceptions et les personnages d’une façon pas souvent entendue.

27 Février :
Réveillé à 5 heures ce matin. Il y a moins de mer qu’hier soir, mais nous roulons encore. On aperçoit Musha et Maskali et les feux de l’alignement. Nous mouillons à 6 heures dans le sud du Fontainebleau, le Vimy à 200 mètres dans le sud à nous. Il fait chaud dès le lever du soleil.

Un chargeur, le Cap Saint Jacques est rentré en même temps que nous. Il va prendre notre courrier pour la France et Beyrouth.

Descendu cet après-midi avec Marliave et fait quelques courses. Je trouve vraiment épatant ces femmes somalis ; des corps fins, souples, une peau sèche et bien tendue et souvent de beaux visages au sens du vulgaire. La comparaison est fâcheuse avec les quelques représentants de la race blanche que l’on voit circuler dans les rues.

L’Amiral est allé voir le gouverneur qui l’a retenu deux heures pour lui raconter une histoire pour laquelle il eut suffi de quelques minutes. Voici cette histoire :

Notre adjudant, chef de groupe méhariste de Dikil s’étant avancé jusqu’à 23 km de notre frontière s’est trouvé en présence d’une force qu’il a estimé à 3 ou 4000 hommes et commandée par Yayou, le sultan des Aoussas, suzerain de la zone voisine de notre colonie.

Le Yayou était retenu à Addis depuis le couronnement de l’empereur Hailé Selassié 1er et il est possible qu’il n’ait eu la liberté qu’à la condition de servir les dessins de l’empereur sur notre colonie.

Yayou a prié notre chef de poste de se retirer. Celui-ci a refusé en disant qu’il était en territoire français. Il semble que cette attitude de résistance a un peu calmé le sultan, qui ne paraitrait pas très disposé à entrer en conflit.

Le gouverneur ayant fait affirmer notre droit sur le point où se trouvait notre chef de poste, lui a donné l’ordre de se replier sur Dikil, mais il a envoyé sur les lieux le capitaine d’infanterie coloniale avec 100 hommes et des fusils mitrailleurs.

Chapon Baissac n’est pas inquiet et il est persuadé que les choses en resteront là, mais il n’en est pas moins vrai que cet incident est une nouvelle preuve des intrigues qui se nouent autour de nous et qu’il est nécessaire de ne pas différer les mesures de défense de notre colonie.

J’étais invité à dîner ce soir chez le Directeur des Salines ; je me suis dégonflé au dernier moment. J’ai réfléchi que je n’avais rien à faire chez ces gens que je ne connais pas et chez qui je me serais embêté. J’irai me reposer de bonne heure pour me préparer à la nuit prochaine qui se passera dans le train et la suivante également.

28 février :
Préparatifs de départ pour Addis. Badens est à 6 heures à la gare pour l’embarquement des bagages. Le train part à 8h20. L’Amiral et moi sommes un peu en retard comme d’habitude. Toute la milice de Djibouti est à la gare et on sonne aux champs. Il est juste de dire que le gouverneur part aussi ce soir et doit s’arrêter à Ali Sabieh où nous avons un poste qui risque d’être attaqué si les histoires de Dikil se développent.

A peine partis, panne. La lumière s’éteint. C’est parait-il un lorry qui est resté sur la voie. Il n’est peut-être pas venu seul surtout si près de la gare.

Le compartiment est confortable. Deux sièges rabattables, transformables en couchette, une armoire penderie, des waters propres et une glacière.

On peine sur la voie ; il y a autour du lorry une centaine de bouniouls trop heureux de s’occuper. On repart enfin et nous sommes copieusement secoués.

Le soleil se lève sur le désert. Le ciel est parfaitement pur et je vois de ma couchette deux grosses étoiles. Les herbes séchées du plateau sont blondes sur le fauve du sol. Des arbres épineux. Des petites gazelles qui ne se dérangent même pas au passage du train. Le paysage m’apparait moins laid qu’à mon premier voyage. Peut-être est-ce la saison qui me fait trouver la nature moins brulée.

Nous arrivons à Dire Daoua pour le petit déjeuner. Foule sur le quai. Monfreid est là. Il monte avec nous à Addis. Il commence à faire chaud. Troupeau de buffles gardés par une femme noire à demi-nue, les cheveux tressés et bouffants.

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Henri de Monfreid 1936 Studio Harcourt Wikipedia Commons

Henri Monfreid est né en 1879 dans l’Aude. Son père, grand bourgeois et peintre reconnu, est l’ami fidèle de Gauguin. Henry fait copier deux tableaux offerts par Gauguin à son père. Les vrais sont vendus en douce. Les copies serviront de gage à Monfreid pour emprunter une grosse somme. La supercherie ne fut dévoilée qu’après la mort d’Henry.

Dans sa jeunesse Henry fait des petits boulots et il échoue à l’entrée de quelques grandes écoles, Centrale entre autres ! Il ne tient pas à faire le service militaire et il y échappe en présentant dans un flacon des crachats qu’il a récupérés chez un tuberculeux.

Une place lui tombe du ciel : négociant en gros de café en Ethiopie. Il est basé à Diré-Daoua. Mais il doit payer son voyage, qu’importe, à nous l’aventure au pays du Négus. Le paquebot des Messageries maritimes le débarque à Djibouti. Son poste est loin dans les terres et il ne se presse pas de le rejoindre. Il veut découvrir l’Afrique, traîne dans le village et admire les femmes, des noires à la peau lisse qu’elles exposent, presque nues.

Il passe beaucoup de temps sous les arcades blanches du bar le Palmier en zinc. C’est le rendez-vous des colons français. Monfreid ne peut les supporter, ils passent le temps à jouer aux cartes et à siroter le Pernod.

Monfreid se promène sur le port, voit les indigènes s’affairer autour de leur boutre, un bateau à fond plat excellent pour naviguer entre les récifs.

Hors des Pernod et des cartes, point de salut. Les compatriotes se méfient de lui. Les Anglais le prennent pour un dangereux individu.

Très vite, le petit négociant en café trouve une occupation bien plus lucrative. Il vend des peaux de léopards, des huîtres perlières. Mais surtout il trouve le négoce qui au cours des siècles, a toujours rapporté gros : marchand d’armes et de munitions. Ses acheteurs sont des bédouins, des somalis et des arabes. L’administration française interdit strictement la vente des armes. Des soldats français risquent leur vie. Aucun Européen ne se livrerait à ce trafic. Seuls les indigènes insaisissables peuvent se le permettre.

En 1969 Monfreid déclarait à Jacques Chancel et donc à des milliers d’auditeurs : “J’ai toujours voulu être un monsieur tout le monde. “

Il était gonflé de se déclarer Français moyen, alors qu’à la même époque il convoyait quantité d’armes sous le nez des soldats et des douaniers Français et Anglais.

La grande guerre se déclare et notre héros n’a pas envie de s’embourber dans les tranchées, le climat de la Corne de l’Afrique est plus agréable. Son père, honorablement connu, obtient l’appui des députés de l’Aude pour le faire réformer. On invoqua les services qu’il rendrait en espionnant les Turcs sur la côte du Yémen !

Monfreid avait cinquante ans quand un aventurier de haut vol le rencontre. C’était Joseph Kessel, envoyé par un journal pour enquêter sur la traite des esclaves entre l’Afrique et l’Arabie, via l’Ethiopie. Kessel rencontra Monfreid, qui mieux que n’importe quel Européen pouvait le guider dans ces marécages puants.

Quand Kessel découvrit le carnet de notes de Monfreid, Il déclara au vieux pirate (il avait 20 ans de moins) qu’il lui fallait mettre en musique ces notes et les faire éditer. Il lui trouverait un éditeur.

Les Secrets de la mer Rouge sort en 1932. Le succès est énorme. Ces divers écrits sur l’Ethiopie déplurent au Négus, il expulsa Monfreid.

Monfreid plia bagages en vitesse, abandonnant sa maison et s’établit à Neuilly, ses énormes droits d’auteur le permettaient. Monfreid voulait-il se venger du Négus ? Quand l’Italie manifesta ses projets de conquête en Ethiopie, il se découvrit une passion pour l’Italie fasciste et pour le Duce. Il était de toutes les apparitions publiques de celui-ci et il se fit remarquer par son zèle. Tellement bien qu’il rencontra quatre fois Mussolini. Dès le début des hostilités en Ethiopie, il devint correspondant de guerre pour Paris-Soir. Il fut par la suite décoré de la croix de guerre italienne, lui, l’ancien trafiquant d’armes et de drogue. Pendant cette guerre contre le premier pays chrétien, bien avant Rome, au catéchisme de Belvès le curé Avesou nous faisait dire des prières pour les soldats italiens qui combattaient des sauvages païens… Le Négus réfugié en Angleterre, Monfreid regagna sa maison en Ethiopie. Un peu plus tard, à la libération de l’Ethiopie en 1942, il fut assigné à résidence par les Anglais.

Monfreid n’a pas directement participé au trafic des esclaves entre l’Afrique et l’Arabie, mais il était au courant par son compagnon qui le trimbalait partout, Cheik Issa, le grand organisateur de ce commerce lucratif. Kessel a bourlingué avec Monfreid et il en a tiré un récit d’après les histoires de Monfreid (Fortune carrée). Monfreid a rendu des services et fermé les yeux. Il ne s’est pas caché d’avoir organisé d’énormes trafics de drogue. Pendant que ses camarades se faisaient tuer dans les tranchées en 1915, lui, organisait un trafic de haschich entre la Grèce et l’Egypte. L’écrivain parfois moralisateur convoya douze tonnes de cannabis entre les Seychelles et l’Egypte. Il fit aussi passer par le canal de Suez des caisses de cocaïne et de morphine fabriquées en Allemagne. Il savait fort bien ce qu’il y avait dans les caisses et probablement il a soudoyé des douaniers, car dans le canal de Suez on ne peut se cacher comme entre les récifs des côtes de la mer Rouge. Monfreid lui-même fumait de l’opium depuis son arrivée à Djibouti. Il le déclare au micro de Jacques Chancel.

A un âge très avancé il fumait six pipes par jour et grâce à ça il n’a jamais eu de rhume, disait-il. On croit entendre le capitaine Haddock vantant les bienfaits du whisky sur ses artères.

Monfreid était une mine de renseignements pour Hergé. Il s’en inspire en 1932 pour un personnage de capitaine contrebandier dans Les Cigares du Pharaon. En 1958 il s’inspire de ses histoires pour Coke en stock.

A 69 ans Monfreid prit sa retraite dans un coin perdu du Berry. Il ne trafiquait plus mais comme un vieux châtelain il se distrayait en peignant des aquarelles, noblesse oblige. Il tapait du piano et entretenait une ménagerie : un chacal, deux mangoustes et un mainate apprivoisé.

Pour le commandant Monfreid était un affabulateur, tout ce qu’il racontait était faux, mais il parlait très bien. Le commandant pensait que ses talents de marin ne devaient pas être bien grands. Il fait toute une histoire de son passage dans les récifs avec un boutre alors que le commandant y a amené des vaisseaux de guerre à fort tirant d’eau. C’est amusant de voir évoluer son opinion avec les rencontres successives.

Monfreid vient nous raconter des histoires. Comme nous regardons sur la voie des petites filles à la tête rasée, sauf une petite mèche, il nous dit qu’elles ont cette coiffure parce qu’elles ne sont pas encore cousues, n’ayant pas encore 7 ans. Elles ne doivent être décousues étant devenues femmes que par le mari, qui les opère d’abord avec le pouce enduit de beurre et n’ouvre que juste assez pour la dimension de son membre.

Les femmes sont d’ailleurs indifférentes parce que dès leur jeune âge on leur a ôté le clitoris et elles ne jouissent pas. On le leur enlève parce que les indigènes pensent que c’est un organe destiné à attirer les voleurs.

Chez les Dankalis, quarante jours avant l’accouchement d’une femme, on la recoud afin que le mari n’ait plus de rapport avec elle. C’est que quarante jours avant la naissance, l’enfant reçoit une âme et il ne faut pas que l’esprit malin vienne la troubler. En réalité, c’est pour éviter l’introduction de microbes dans le vagin. Il est un fait que ces femmes n’ont jamais de fièvre puerpérale.

Monfreid pour montrer l’indifférence sexuelle de ces femmes nous raconte, qu’étant jeune il avait un ascaris dont la femme, très belle, lui faisait envie. Il avait expédié le mari ailleurs et était entré le soir dans la case de cette femme. Elle avait un enfant dans les bras. Elle se prêta au coït dans l’indifférence et comme son enfant pleurait, elle se mit à lui donner le sein pendant qu’elle faisait l’amour.

Ces femmes trouvent d’ailleurs tout naturel d’être prise par un homme puisque c’est à leur mari de les défendre. Monfreid raconte qu’il y a longtemps, alors qu’il était dans la purée et qu’il vivait sous la tente dans les montagnes au-dessus d’Obock, il eut un jour à s’éloigner pour ses affaires. Sa femme restée seule vit entrer le soir un indigène armé qui lui demanda avec qui elle couchait. Elle lui répondit que c’était sa bonne qui lui tenait compagnie. L’indigène lui donna l’ordre de l’éloigner parce qu’il avait décidé ce soir-là de coucher avec elle. Effroi. La femme de Monfreid se précipite au village et demande la protection du chef. Réunion, palabre. On capture le bonhomme. Celui-ci était parait-il d’autant plus dangereux qu’il était pourvu d’un membre énorme et qu’il éventrait toutes les femmes qu’il approchait.

Un européen vivant dans ce pays peut avoir une femme indigène, mais à la condition qu’il ne la découse pas. Tout le reste lui est permis.

Monfreid parle ensuite de Kessel et se moque de sa Fortune carrée qui est une salade littéraire de tout ce qu’il lui a raconté. Il reconnait néanmoins que c’est Kessel qui lui a donné l’idée d’écrire.

Il nous dit la nostalgie qu’il a de ces pays dès qu’il les quitte et combien il se trouve malheureux lorsqu’il est au milieu de la société.

Une famille de singes cynocéphales détale dans la brousse. Et la brousse défile. Toujours les mimosas et les épineux étalés. Des cactées en broussailles, en cierges, des aloès médicinaux. Monfreid nous indique un arbre, dont les feuilles sont utilisées par les indigènes pour tuer et je reconnais l’arbuste de notre jardin de Beyrouth qui porte ces fruits pleins de fibres cotonneuses. Et bien il parait qu’ils mettent ici une des feuilles de cet arbre au fond d’une jatte de lait. L’homme qui boit ce lait enfle de la bouche et de la gorge et meurt asphyxié.

Il me revient en mémoire qu’hier soir, au moment où le train se mettait en branle, Badens nous a appris que nous étions Mardi Gras. Je crois rêver quand je pense qu’il existe encore par le monde des gens qui, ce jour-là, s’affublent d’oripeaux. Il leur faudrait un peu de vie errante pour se rendre compte de leur bêtise.

1 Mars :
Déjeuner à Afdem. L’Amiral avait invité Monfreid à déjeuner, mais celui-ci n’a pas eu le courage d’attendre et a déjeuné dans le train avant nous. Nous sommes tous à la même table, Constans, Duroux, Detroyat, Verdier (le second du Vimy), la femme de l’attaché militaire à Addis et sa fille, le fils du Ministre de France (de Raffy).

Sieste. Il fait chaud.

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Par tribord la belle chaine des Monts Assabot. Monfreid me dit que c’est là que se trouve le couvent où l’on prépare les poisons sous le nom de mauvais café. C’est en réalité un parchemin sur lequel on écrit avec un liquide empoisonné et qu’on met à tremper dans les aliments.

Les histoires de Monfreid sont intarissables. Il nous parle de Lidj Yassou, petit-fils de Ménélik qui est actuellement à l’ombre et qui pris le pouvoir en 1917. Il paraitrait que son grand-père était mort depuis deux ans sans que personne ne le sût. Depuis sa mort on présentait simplement un sosie au peuple. Lidj Yassou, informé secrètement de la vérité vint à Addis, arriva au ghibi et demanda à voir son grand-père. Comme on lui contait des histoires il appela ses troupes, emprisonna le général commandant le palais et prit le pouvoir.
Malheureusement on lui fit faire des bêtises, et les Anglais, d’après Monfreid, ayant envoyé Lawrence comme agent provocateur lui firent déclarer son amitié toute à l’Islam. Il fut renversé.

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Monfreid nous raconte également la visite de notre ministre à Harrar. Au lieu d’y arriver comme les autres notabilités, escorté d’ascaris à cheval, notre ministre s’était contenté d’un pauvre cheval. Il ne put faire évacuer les ruelles de la ville et fit son entrée à l’hôpital français à la suite d’un troupeau épouvanté qui courait devant lui. Prestige.

Au sujet de la défense des intérêts des Français par la Légation, il nous cite également l’aventure déplorable arrivé l’an dernier à un employé de chemin de fer de Dire Daoua. Pour une raison de haine, des soldats abyssins firent irruption chez lui un matin, saccagèrent la maison, le frappèrent, sortirent son petit gosse du bain et le jetèrent dans la rue. Après de longs pourparlers, les Français réussirent à avoir une indemnité de 28000 F, mais notre ministre acceptât que la victime payât une amende de 2000 F ; Il trouva – le ministre – la transaction bonne, déclarant qu’il restait encore 23000 F de bénéfices à l’employé. Prestige.

Monfreid est très intéressant, mais il parle trop et je crains qu’il ne soit hâbleur.

Toujours la brousse de mimosas et de cactus. C’est très vert et on voit des traces récentes de pluies abondantes. J’entends Monfreid qui continue ses histoires dans le couloir. Le ménage impérial irait assez mal et le fils aîné de 17 ans, actuellement gouverneur d’une province aurait récemment tiré un coup de revolver sur son père.

Arrêt de plus de deux heures à Aouache pour le dîner. Comme nous avons du temps devant nous, fait une petite promenade vers le cañon de la rivière. Très beau paysage d’un fleuve qui doit être puissant à la saison des pluies, mais qui est actuellement à peu près à sec. On dit que ce fleuve est très habité : crocodiles, hippopotames. Monfreid nous apprend que sur les terrains qui surplombent la gorge, on trouve des quantités de morceaux d’obsidienne taillée qui prouveraient l’existence d’une civilisation ancienne très active. Nous ne restons pas là longtemps, parce qu’il parait que les indigènes ne sont pas sûrs dans la région. Nous traversons la voie pour faire un petit tour dans le village indigène. Monfreid blague avec des Dankalis qui sont en train de déblayer les restes d’une case qui a brûlé, puis il nous mène dans une petite maison abyssine où se trouvent deux femmes très sales. L’une d’elle joue un air monotone sur une espèce de lyre dont la caisse de résonance est un vase de nuit sur lequel on a tendu une peau. Dans la maison des poules et des chats qui circulent et se battent.

Monfreid fait servir de l’hydromel à l’amiral. Je m’abstiens de ce breuvage.

En repassant la voie nous restons à regarder des femmes qui prennent de l’eau à la fontaine.

Toutes portent sur le dos une grosse cruche de terre.

Dîner au buffet. Comme apéritif nous prenons de la quinine car les moustiques sont particulièrement mauvais ici. Nous sommes tous assez fatigués.

2 Mars :
Nous devons débarquer en grande tenue. Remue-ménage dans les compartiments dès l’aube. Beau lever de soleil. Il fait froid et les indigènes sont emmitouflés jusqu’aux yeux. La lumière est très crue, le sol blond de seigle qui vient d’être coupé. Beaux lointains montueux.

Le train se traine jusqu’à la gare. Arrivée à 7 h 30. Sur le quai, compagnie avec musique et drapeau. Le Secrétaire des Affaires Etrangères, en pèlerine de velours bleu, reçoit l’Amiral. Le Ministre de France est en grande tenue. Escorte à cheval. Présentation de la colonie française dans le salon de la gare.

Les voitures partent avec un peloton devant et un derrière. Des troupes tous les cent mètres présentent les armes. La foule abyssine, pouilleuse, refoulée sur les trottoirs se prosterne.

Arrivée au petit guibi où nous devons loger après un parcours de plus de 20 Km au ralenti.

Petit déjeuner très copieux avec le Ministre de France et Badens, son secrétaire.

Les serviteurs nombreux ont sous leur chamma la ceinture garnie de cartouches de guerre.

11h : Visite à la Légation. Je constate que ma visite d’il y a quatre ans n’a pas fait grande impression, parce que personne ne se souvient réellement de cette visite.

12h : Visite au Ministre des Affaires Etrangères. Homme âgé aux cheveux blancs frisés en boule ; pèlerine en drap gris, col bleu de roi. Il a l’air assez malin et il ne nous aime pas, parait-il.

Comme nous avons une vingtaine de minutes avant l’heure du déjeuner, nous nous précipitons dans un bain. C’est délicieux de pouvoir faire une toilette complète après deux jours de train.

13h : Déjeuner à la Légation.

15 h : Conversation au guibi avec le colonel Guillon, notre attaché militaire. C’est un gros bonhomme, un colonial, bien brave, mais aussi bien près de la retraite.

Il nous dit, comme tout le monde, que la politique douanière de Chapon Baissac à Djibouti est désastreuse et que, pour payer de nombreux fonctionnaires, il risque de tuer la colonie par son intransigeance à l’égard des Abyssins.

Chapon Baissac soutient que les facilités qui seraient données à l’Ethiopie seraient la ruine de Djibouti. Reste à savoir si le détour du commerce sur Berbera ou Assab, qui est menaçant, n’aurait pas les mêmes effets et peut-être plus rapidement. Le colonel Guillon, lui, propose de rattacher administrativement Djibouti à Madagascar, ce qui me parait pour le moins être une idée bizarre.

En ce qui concerne le SR, notre attaché militaire a l’air de ne rien savoir. Il déclare qu’ici tout est mystère et que les plus maigres renseignements ne s’obtiennent qu’après des semaines de conversation. Peut-être est-ce l’excuse du paresseux.

Il y a à Addis une mission belge. La garde de l’Empereur est habillée à la belge et c’est tordant. Les commandements sont faits en français. La mission belge limite jusqu’ici son activité à l’instruction du maniement d’armes, mais ne donne à ces gens aucune idée de la tactique.

Pourquoi n’avons-nous pas là une mission à nous ? Parce que, probablement, nous avons craint de mécontenter nos amis anglais et par hypocrisie nous avons demandé aux Belges de venir à notre place. C’est peut-être astucieux, mais cela n’empêche pas que l’armement et les uniformes ne seront pas achetés chez nous.

D’ailleurs, il est connu à Addis que ces gens habillés à l’européenne n’ont aucune valeur et que les vrais soldats sont les pouilleux en chamma qui portent le fusil par le mauvais bout qui sont la force militaire. Bien que sans éducation militaire, ils excellent dans la manœuvre de surprise et l’encerclement.

Il y a révolution dans la colonie française parce que l’Empereur a logé les officiers français à l’Hôtel Impérial qui est tenu par un grec au lieu de les mettre dans un des deux hôtels français. Ces deux hôtels se sont mis en grève et nous nous demandons encore ce soir si l’Amiral pourra donner un dîner. C’est une maladresse de l’Empereur, évidemment, mais, tout de même, on ne va pas exiger de celui qui invite de mettre ses hôtes où ceux-ci le désirent.

16 h : Audience de l’Empereur. Départ du petit guibi avec l’escorte à cheval. Dans l’enceinte du grand guibi, le bataillon de la garde avec musique.

L’ensemble des bâtiments du palais est affreux, avec toitures en tôle ondulée.

Nous sommes reçus par le Grand Chambellan qui nous introduit dans une salle rectangulaire, longue, genre serre tendue de toiles rouges et blanches analogues à celles qui servent aux bateaux lorsqu’ils reçoivent à bord. Nous n’y restons pas longtemps, on vient nous en extraire pour nous conduire à la salle du trône. Enorme salle, dont le sol est recouvert de tapis genre soie, très épais. Deux rangées de fauteuils dorés font la haie vers le trône. Ceux de droite sont occupés par les dignitaires de la cour.

Au fond de la salle, un dais très lourd aux colonnes ioniennes dorées et baldaquin rouge à dessous blanc. Au centre, dans une mer de coussins, le Roi des Rois est assis comme un personnage d’icone. Figure très fine, œil langoureux, jolie barbe. A chacun de ses cotés, les hauts fonctionnaires et un de ses fils, un gamin de huit à neuf ans.

Aux pieds du Roi, un affreux roquet aux poils longs rouges et blancs. Le Roi est tête nue ; il porte une grande pèlerine de velours violet à col montant. Notre ministre présente l’Amiral, qui adresse quelques mots à SM puis reste devant elle pour lui présenter ses officiers. Profondes salutations. Le petit prince rigole.

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Ras Tafari 1923 Wikipedia commons

Nous descendons à reculons les marches du trône et on nous fait assoir dans les fauteuils de la rangée gauche. L’Empereur fait demander à l’Amiral par son interprète (Il parle très bien français mais utilise toujours un interprète pour les conversations officielles) s’il ne souffre pas de l’altitude. L’Amiral lui fait répondre qu’il n’a jamais mieux respiré. Il n’en est pas tout à fait de même pour moi car je sens quelque lourdeur à l’inspiration.

C’est fini. Nous gravissons à nouveau les trois marches du trône. SM nous tend la main et nous quittons la salle.

Nous rentrons au petit guibi. La chambre de l’Amiral et la mienne sont belles ; leurs salle de bain confortables. Le sol est recouvert de faux tapis persans, pas beaux mais très épais. Mobilier européen de palace, des fauteuils de cuir confortables, des portières de velours gris foncé.

Je m’aperçois que la robinetterie de la salle de bain n’est que pour la parade. Il n’en coule rien et si l’on veut un bain il faut prévenir deux heures à l’avance parce qu’on va chercher l’eau à une source chaude près de la gare. Et la gare est à 12 km du guibi. C’est ingénieux mais pas très commode. Malgré ce petit inconvénient, j’ai été très surpris en bien par l’aménagement de ce palais. Je croyais y trouver un ensemble délabré comme cela arrive si souvent en Orient. Non, tout est confortable. Belle vaisselle à filets d’or, belle argenterie avec la couronne impériale en or. De beaux fruits et de belles fleurs sur la table de la salle à manger.

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Ordre de la Sainte Trinité

Vers 7 h, alors que nous devons être rendus au palais à 7 h 45 pour le dîner de l’Empereur, Badens vient nous annoncer que le Chancelier vient d’arriver avec des décorations pour tous les officiers. Malheureusement l’Amiral est en visite et les autres officiers sont en ville, à plusieurs kilomètres. On téléphone de tous les côtés et enfin à 7 h 30 nous sommes tous réunis dans un petit salon. L’Amiral reçoit le grand cordon de la Trinité, moi un collier du même ordre, Badens la commanderie de Ménélik, etc. Tout le monde en a.

Nous nous affublons de cette quincaillerie pour le dîner. C’est mis un peu n’importe comment car l’heure nous presse.

En route, l’Amiral m’annonce une bonne nouvelle. Il a réussi à arracher au Directeur Général des Chemins de Fer un train de nuit entre l’Aouache et Dire Daoua, ce qui va nous permettre de monter lundi à Harrar.

Dans la grande salle rectangulaire du Palais, les invités, les abyssins, sont tous en pèlerine noire à col de velours. De belles têtes, mais aussi des vieillards simiesques et des visages bouffis. Tous les blancs sont français.

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L’impératrice Mennen. Wikipedia Commons

Introduction dans la grande salle du trône. Cette fois, l’Impératrice est à la droite du Roi des Rois. C’est un gros tas graisseux aux lèvres épaisses et aux yeux exorbités. Elle porte une pèlerine blanche et un voile blanc sur la tête comme en portent les enfants de Marie pour les grandes occasions. A côté d’elle, debout, sa dame de compagnie, une sage-femme allemande aux fesses rebondies. L’Impératrice a vraiment une sale gueule et elle n’est même pas sympathique.

Défilé, génuflexion des dames. Les souverains se lèvent et se dirigent vers la salle à manger. L’Impératrice marche pesamment et à la manière d’un canard, marque de grande distinction, parait-il.

Nous sommes cinquante à table. Grand fer à cheval au sommet duquel les souverains sont encadrés de la femme de notre Ministre et de l’Amiral. Derrière l’Empereur un dais bleu et or où se tenait la vieille Zewditou lorsqu’elle donnait à dîner car elle ne venait jamais à table.

Aux murs, un portrait de Makonen, père de l’Empereur, un autre de Ménélik, un paysage acceptable représentant le passage de l’Aouache par une caravane et un affreux tableau d’amours ventripotents et flasques.

Vaisselle plate, lourde, chargée mais belle. Table ornée de surtouts riches, mais affreux. Argenterie de vermeil.

Le dîner n’en finit plus et n’est guère amusant. Les abyssins mangent leur affreuse nourriture de carême. La musique militaire joue des polkas.

Après le dîner, le cortège se met en branle et se dirige vers la salle du trône. Les souverains reprennent leurs places. L’Amiral converse avec l’Empereur. Les invités se groupent en petits paquets. Les minutes sont longues.

Vers 20 h, alors que nous pensons être quittes et que le mouvement de départ s’amorce, on nous annonce que nous allons assister à une séance de cinéma. Re-salle à manger. Des images tremblotantes nous montrent l’assassinat de Doumer, ou du moins les instants qui l’ont suivi, un défilé de l’armée éthiopienne… On se croirait dans un petit village du centre de l’Afrique.

A onze heures, salutations, départ.

3 Mars :
Nous avions donné la consigne à la foule des serviteurs de nous réveiller à 7 h mais rien ne s’est produit. A 8 h je suis encore couché. L’Amiral est déjà prêt. Breakfast encore plus copieux que la veille ; un vrai repas avec deux plats de viande.

A 9 h 30 une voiture nous conduit chez le colonel Guillon. Je lui remets un certain nombre de documents et un questionnaire. Il m’avoue franchement qu’il ne sait rien sur les pays limitrophes et qu’il compte beaucoup sur nous pour le renseigner. Il est bien isolé ici, évidemment et en outre, je crois que j’ai une fois de plus affaire à un type endormi dans le confort et la paresse. Enfin, j’arrange tout de même avec lui un système d’échange discret de correspondances.

A onze heures, je pars avec lui en voiture pour faire quelques achats, mais il n’a pas le courage de quitter la voiture pour entrer dans les boutiques. Je trouve quelques anneaux d’ivoire et deux croix d’argent quelconques.

Déjeuner chez le colonel.

L’après-midi, je retourne à la poste pour avoir une série de timbres. Cela ne va pas tout seul. Le conseiller technique, un français, est obligé de menacer un employé de punition si je n’ai pas ces timbres immédiatement.

Passé chez Gleize. Toujours le même bandit. C’est un peu triste de penser que notre ministre est à tu et à toi avec un pareil individu.

Thé abyssin chez Nessibou dont la femme est une métisse d’abyssine et de russe. Elle est assez bien, mais le russe n’a guère marqué. Elle est foncée et a les cheveux crépus et en boule.

Dîner chez Badens. Nous sommes tous fatigués. Le Ministre s’est endormi chez lui avant de venir dîner.

La maison de Badens est assez bien arrangée. Une jolie collection d’icônes, les tapis inintéressants, par exemple. C’est extraordinaire le peu de jolis tapis qu’on rencontre chez les gens. Rares sont ceux qui savent ce que c’est.

Badens est intoxiqué de la Chine et du Japon. Il possède une abondante bibliothèque sur ces deux pays et une série de livres anciens de voyage qui me faisaient envie : Tavernier, Chardin, Voyage au Nord, Voyage aux Indes Orientales, Voyage au Siam, etc…

Aussitôt sortis de table, nous souhaitons tous aller nous coucher. Mais B. s’est lancé avec Badens dans la confection d’un plan de table et il n’en sort plus. L’Amiral se fâche et nous emmène.

4 Mars :
L’Amiral est parti de bonne heure faire une promenade à cheval. Je n’en suis pas, naturellement. On avait voulu m’entrainer d’un autre côté en voiture, mais comme je ne tenais pas à me faire secouer sur les routes abominables d’Ethiopie et qu’on m’avait averti par avance que le paysage n’était pas très intéressant, j’ai décliné l’invitation, préférant rester tranquille toute la matinée. La voie de chemin de fer m’en a assez appris sur la brousse abyssine.

Tout le monde d’ailleurs est d’accord pour dire que le pays n’est vraiment beau que dans la direction du Nil bleu et du lac Tsana, mais il faut des semaines de caravane pour y atteindre.

L’Amiral donne aujourd’hui un déjeuner chez Gleize, faute d’un hôtel plus convenable. Je me demande comment ça sera. Les préparatifs de la salle que j’ai pu voir hier me laisse rêveur et je crains que la salle à manger ne soit décorée de petits drapeaux et de guirlandes, comme dans les bordels. Enfin il n’y aura que nous à en être choqué puisque tous les grands diners se donnent là. Nous aurons quelques abyssins avec leurs femmes, mais on leur servira du poisson et des piments assaisonnés.

Cet après-midi, vin d’honneur à l’Amicale française et le soir, dîner à la Légation, auquel le couple impérial daigne assister.

J’en ai assez d’Addis, même dans le luxe du guibi et il faudra me payer cher pour que j’y revienne. Les gens ne me plaisent pas du tout. C’est le nègre sans l’exotisme. Les costumes sont curieux, c’est certain, mais on en a vite fait le tour. L’animation qui est grande, est sans intérêt. Et puis, ils ont tous l’air si veules. On devient difficile quand on vient de séjourner chez des Arabes ou même des Somalis. Ceux-ci sont des êtres élégants, bien faits et d’allure énergique. Il n’y a pas de commune mesure entre l’Abyssin dans sa chamma et ses pantalons ridicules trop serrés et les types d’hommes à moitié nus qu’on voit le long du chemin de fer portant la sagaie et non le vieux fusil démodé par le mauvais bout.

J’entends, pendant que je suis à écrire à mon bureau, la musique de la garde qui répète des marches militaires d’allure française. Tous ces musiciens sont des esclaves, parce que l’Abyssin ne veut pas faire ce métier. Ils jouent, et ma foi pas mal du tout, sans connaître une note de musique. Leur chef est un suisse.

Dans la courette sur laquelle donnent mes grandes fenêtres, des oiseaux chantent. De temps en temps, le milan balayeur de rues pousse son cri plaintif analogue à celui de la mouette.

Je reste tranquille toute la matinée.

L’Amiral rentre avant le déjeuner de sa promenade à cheval. Il a un peu de la peau du derrière enlevée.

Nous allons chez Gleize pour le déjeuner. Il y a là tous les gens avec qui nous dinons depuis notre arrivée et quelques abyssins. Nessibou et sa femme, le Ministre des Affaires Etrangères et le Ras Kassa. Celui-ci a sa chemise en bannière hors du pantalon et il porte la grosse pèlerine à capuchon pointu, inutile puisque sur le côté.

Le Ministre des Affaires Etrangères que nous étions allés voir a l’air d’un curieux homme, intelligent d’ailleurs. Il porte toujours la pèlerine bleue et est chaussé de petits souliers bas vernis. Il marche avec ses instruments en se dandinant et avec peine.

Gleize est magnifique en jaquette.

Je suis à côté de Monsieur Gerbal, le directeur des Chemins de Fer. Il me dit que les Abyssins sont des gens impossibles, demi-juifs, demi-nègres, âpres au gain, fourbes, ingrats et sans parole. En l’écoutant il me semble nous entendre parler des Polonais.

Rentré au guibi un instant, puis reparti prendre le thé chez le Ras Kassa. Route entre les eucalyptus, qui pourrait ne pas être mal, mais qui est empierrée de cailloux pointus sur lesquels la voiture fait des bonds terribles.

La villa du Ras est sur une éminence qui domine le grand paysage de la ville et des montagnes avoisinantes. Une haie de soldats aux pèlerines rouges et bleues, très chics rend les honneurs. Le Ras nous attend sur le perron. C’est un énorme type, noir cendré, belle tête brutale, mais très peu nègre. Salams. Nous sommes introduits dans une grande salle aux meubles européens et aux vilains tapis. Très belle argenterie moderne que je ne dédaignerai pas. Thé, petits gâteaux, caviar.

On demande au Ras l’autorisation de voir le coup d’œil de sa fenêtre donnant sur la ville. Nous traversons une enfilade de pièces sordides dans un désordre impressionnant. Belle vue sur les lointains. De la ville on ne voit que très peu de choses dans les eucalyptus.

De là chez Hallot, cousin des de Foucauld, au vin d’honneur. Il y a quatre ans j’avais rencontré la femme du jeune Hallot. Elle a beaucoup maigri et est moins bien quoiqu’encore jolie. Son mari est parti en France se mettre sous l’aile de de Foucauld qui doit lui procurer une situation.

De là, au mausolée de Ménélik. Monument affreux, courant d’air de mort. Descente dans la crypte où sont alignés trois énormes sarcophages de marbre blanc, très massifs et pas trop laids. L’Amiral dépose deux gerbes, l’une sur le tombeau de Ménélik, l’autre sur le tombeau de Zaoditu. Il se demande s’il n’aurait pas dû en faire autant pour le troisième tombeau qui est celui de la femme de Ménélik, mais le Ministre de France lui dit que la cérémonie a été ainsi arrangée, que d’ailleurs la femme de Ménélik n’était qu’une personnalité de seconde zone et par surcroit hostile aux étrangers…

Il y a là deux prêtres, dont un vieux à l’air malin qui nous fait visiter. Dans le fond de la crypte il y a un lit de parade sur lequel est placé un cercueil de soie verte. C’est celui de l’abouna Matros, le patriarche copte du temps de Ménélik.

La petite église du mausolée qui est au-dessus de la crypte est une rotonde avec en son centre un parallélépipède aux rideaux tirés : le saint des saints.

Sur les murs près du plafond, quatre fresques en lunules, assez moches mais curieuses :

Ménélik recevant les clés de la ville d’Harrar des mains de Makounen ; Salomon recevant la reine de Saba ; le couronnement de Ménélik par Matros et enfin la victoire de l’Adrra. Ce dernier tableau est assez curieux. On y voit Ménélik à la tête de guerriers à pied soufflant dans de longues trompettes et poursuivant les Italiens qu’on voit fuir dans le lointain. Il fait un froid noir dans ce monument.

A propos de l’Adrra, dont les Abyssins parlent tout le temps, nous avons appris que nous étions arrivés à Addis le jour anniversaire de cette victoire. Nous n’y sommes pour rien, évidemment, mais je crois que les Abyssins y ont porté quelque attention. Cette victoire est certainement la cause du mépris que professent ces gens pour les Italiens.

Dîner à la Légation. Les souverains arrivent avec leur cabot. L’impératrice avance avec peine. Elle a le même costume qu’à son dîner, l’empereur aussi. On les installe sur des fauteuils devant le feu. Salutations. Silence glacial. L’impératrice est réellement ignoble.

Pendant le diner, les jeunes font du chahut et racontent des saletés au bout de la table. C’est assez curieux et assez français dans un diner aussi solennel. L’après-diner est sinistre. Les souverains ne s’en vont plus et je dors debout. Nous rentrons à onze heures, assez fatigués.

Enfin nous avons terminé ces corvées. Il ne nous reste plus qu’à faire nos bagages et à nous mettre en route demain matin.

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Pièce d’or offerte par le Négus au Commandant Moron

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